Lorsque Gérald Darmanin déclarait mercredi, devant l’Assemblée nationale, que Hassan Iquioussen serait expulsé « manu militari » vers le Maroc dès que la police mettrait la main dessus, « sans possibilité de revenir » en France, il n’avait pas prévu que la justice gripperait son enthousiasme.
Ce vendredi 5 août, le tribunal administratif de Paris a suspendu l’expulsion de cet imam conservateur âgé de 58 ans, accusé par le ministère de l’intérieur de « provoquer à la discrimination, à la haine ou à la violence ». Les juges du référé, saisis en urgence par Hassan Iquioussen, ont estimé que cette mesure porterait « une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale ».
Né dans le Nord où il a toujours vécu, père de cinq enfants français et grand-père de quinze enfants français, l’imam n’a pas d’attaches au Maroc. Sa famille la plus proche — sa mère comme ses frères et sœurs, de nationalité française – ainsi que son épouse, marocaine, vivent tous en France. Hassan Iquioussen bénéficie ainsi d’un répit.
« Loin des sirènes médiatiques, le droit », s’est réjouie Lucie Simon, l’avocate du prédicateur, à l’annonce de la décision. Le ministre de l’intérieur a immédiatement annoncé qu’il faisait appel devant le Conseil d’État. Dans un communiqué de presse, il se dit « bien décidé à lutter contre ceux qui tiennent et diffusent des propos de nature antisémite et contraire à l’égalité entre les femmes et les hommes ».
L’ordonnance rendue ce vendredi, consultée par Mediapart, souligne que certaines prises de position prêtées par le ministre à Hassan Iquioussen, tels que son rejet des valeurs occidentales ou son soutien supposé à Oussama Ben Laden, ne sont établies par aucune pièce de la procédure.
Les juges estiment par ailleurs que les citations dont l’existence est démontrée, pour controversées qu’elles soient, ne relèvent pas de la provocation à la discrimination ou à la haine. À une exception près : ses considérations « rétrogrades » sur la place des femmes, invitées à rester dans le foyer, voire dans la cuisine. Les juges estiment toutefois que ce seul fait n’est pas suffisant pour « justifier la mesure d’expulsion », compte tenu des conséquences pour sa vie familiale.
Des phrases « coupées, sorties de leur contexte »
Au tribunal administratif, jeudi 4 août, l’audience s’est tenue devant une salle comble. Plus de 70 soutiens à Hassan Iquioussen ont fait le déplacement depuis la région parisienne et le Nord, parmi lesquels plusieurs membres de sa famille, des représentants d’associations musulmanes et des cadres de Musulmans de France (ex-UOIF, organisation religieuse française issue du mouvement des Frères musulmans). L’intéressé, craignant d’être arrêté, a préféré être représenté par son avocate. Un peu plus tôt dans la journée, la Cour européenne des droits de l’homme avait refusé de suspendre son expulsion en urgence.
Comme le détaillait Mediapart mercredi, Gérald Darmanin et la préfecture du Nord fondent leur décision d’expulsion sur des propos tenus par Hassan Iquioussen depuis le début des années 2000 dans ses prêches et ses conférences. La plupart des citations retenues sont très courtes et relativement anciennes.
« Je vous demande de vous méfier des phrases quand elles sont coupées, sorties de leur contexte », a plaidé Lucie Simon, l’avocate de l’imam. Celui-ci fait valoir d’autres extraits de ses interventions, dans lesquelles il semble au contraire ouvert sur différentes questions de société — le dialogue interreligieux, le mariage et la famille, la laïcité. Il dévoile également des réponses adressées à des fidèles qui lui demandaient conseil par mail, « sans jamais savoir qu’ils seraient lus un jour dans ce tribunal », a avancé son avocate.
« Vous n’êtes pas la caution judiciaire des effets d’annonce du gouvernement », a lancé Lucie Simon aux trois juges, invités à « protéger les libertés fondamentales » en se plaçant sur un terrain « purement juridique » : « Est-ce que Hassan Iquioussen représente une menace d’une telle gravité et d’une telle actualité pour la France, alors qu’il y est né et y a passé cinquante-huit ans, qu’il faille absolument l’expulser ? S’est-il rendu coupable d’actes de provocation explicite et délibérée à la violence, à des exhortations tendues vers un résultat ? »
Après avoir alerté le tribunal sur « les conséquences gravissimes et irréparables » que pourrait entraîner son renvoi au Maroc, Lucie Simon a soutenu que cette mesure ne se fondait sur « aucune urgence », si ce n’est celle de « l’opportunisme ».
La Ligue des droits de l’homme, intervenant au soutien de l’imam, défend également cette ligne par la voix de son avocate. Pour Marion Ogier, Gérald Darmanin a voulu « créer un écho médiatique pour promouvoir son projet de loi sur l’immigration », en annonçant l’expulsion d’Iquioussen « publiquement, sur les réseaux sociaux, avant même de la lui notifier ». La Ligue des droits de l’homme, qui dénonce « la méthode utilisée », dit « veiller à ce que l’opinion publique et les motivations politiques ne prennent pas le pas sur l’État de droit ».
« Une rhétorique typique du mouvement frériste »
Démentant toute « instrumentalisation » de cette affaire à des fins politiques, la directrice des libertés publiques et des affaires juridiques, Pascale Léglise, a continué de fustiger le « double discours » de Hassan Iquioussen, capable de dire « tout et son contraire » selon le contexte. La représentante du ministère de l’intérieur y voit « une rhétorique typique du mouvement frériste, qui essaie de prendre possession de l’espace public en s’infiltrant » de manière « subliminale ».
Face aux juges, Pascale Léglise a reproché à Hassan Iquioussen d’utiliser son « aura de chef religieux » pour « inciter à la haine des juifs, des femmes, des Occidentaux » sous prétexte de dénoncer l’islamophobie. Comparant la rhétorique de l’imam à celle du Collectif contre l’islamophobie en France (le CCIF), dont le gouvernement a prononcé la dissolution fin 2020, mais aussi à celle de Dieudonné, elle juge l’imam « encore plus jusqu’au-boutiste que Tariq Ramadan ». D’après la fonctionnaire, ses prises de position « constituent le terreau d’actions terroristes » sans même qu’il ait à « appeler au djihad ».
Face à ces accusations, le public s’est autorisé quelques manifestations d’indignation. Balayant les dizaines d’attestations rédigées pour témoigner de la bonne foi de l’imam, ainsi qu’une pétition en sa faveur riche de 22 000 signatures, Pascale Léglise a estimé que « si cette pétition a 22 000 signataires alors que Hassan Iquioussen a 172 000 followers sur YouTube, il y en a 150 000 qui ne l’ont pas soutenu ».
Sur le fond, l’avocate de Hassan Iquioussen a rappelé que son client, « connu comme défenseur d’un islam du juste milieu », n’a jamais été condamné par la justice pour ses propos. « Il parle en tant qu’homme religieux. Je ne crois pas que les hommes de religion, quel que soit le monothéisme, soient hyper progressistes » sur la place des femmes, a-t-elle avancé, dénonçant « une instrumentalisation de la question de l’égalité hommes-femmes à des fins de discrimination ».
Camille Polloni