Dans une récente tribune, le gynécologue Israël Nisand commente l’évolution de l’exercice des sages-femmes et formule des recommandations pour faire face à la crise que traversent les maternités (« Aujourd’hui, nous en sommes rendus à ne plus avoir assez de sages-femmes pour faire les accouchements », Le Monde du 27 juillet [1]).
Son analyse ne repose sur aucun échange préalable avec les représentants de notre profession et révèle en conséquence une méconnaissance profonde des problématiques que traversent les sages-femmes.
Il est par ailleurs extrêmement regrettable qu’un membre d’un autre corps professionnel que celui des sages-femmes se permette d’émettre des recommandations les concernant, illustrant une nouvelle fois le paternalisme de notre système de santé, particulièrement prégnant pour la profession de sage-femme.
Vision passéiste et mépris
D’autre part, en réduisant l’exercice des sages-femmes à la salle de naissance, il méconnaît notre rôle et nos compétences, révélant une vision à la fois passéiste et erronée de cette profession.
Israël Nisand propose ainsi que tous les étudiants sages-femmes soient dans l’obligation d’exercer en salle de naissance avec un stage interné de douze mois, portant la durée de la formation initiale à six ans, ce qui résoudrait, selon lui, le problème de sous-effectif que rencontrent nos maternités.
Non, nous ne répondrons pas à la désaffection des sages-femmes pour l’hôpital en les contraignant à y exercer. Imaginer une telle mesure témoigne d’un profond mépris face au vécu des étudiants sages-femmes qui présentent actuellement pour 70 % d’entre eux des symptômes dépressifs, selon une étude réalisée, en 2018, par l’Association nationale des étudiants sages-femmes (Anesf). Cette proposition, décrite comme condition à l’investissement professionnel, produirait irréversiblement l’effet contraire.
Israël Nisand estime que l’activité libérale est « moins indispensable en termes de santé publique » et que les sages-femmes s’y orientent pour les raisons suivantes : « Des horaires choisis, l’absence de risque et une meilleure rémunération », en sous-entendant que les compétences en gynécologie de notre profession seraient insuffisantes.
Premiers lanceurs d’alerte
Non, l’activité libérale n’est pas « moins indispensable en termes de santé publique ». Non, nous ne fustigerons pas nos collègues qui choisissent ce mode d’exercice, bien éloigné de la description qu’Israël Nisand en fait. Disqualifier l’exercice libéral des sages-femmes revient à discréditer ce mode d’exercice pour tous les professionnels de santé, témoignant d’une vision hospitalo-centrée et niant le lien ville-hôpital plus que jamais essentiel aux citoyens.
Les sages-femmes investissent le champ de la gynécologie de prévention, et leurs compétences, leur maillage territorial, leur accessibilité en termes de délais et de coût permettent à nombre de nos concitoyennes d’avoir un suivi de qualité, comme en témoigne sur le terrain la collaboration croissante entre médecins et sages-femmes. De nombreuses sages-femmes s’engagent en outre dans le champ de l’orthogénie, apportant aujourd’hui la solution la plus concrète aux problèmes d’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), dans notre pays.
Si la sixième année est une volonté de la profession et des étudiants, cet allongement de la formation ne vise pas à pallier les dysfonctionnements majeurs de nos maternités mais à mettre en cohérence durée des études et contenu de celles-ci.
Les problèmes de notre système périnatal sont profonds et d’une gravité sans précédent. Les sages-femmes ont été les premiers lanceurs d’alerte, pointant la dégradation de la qualité et de la sécurité de la prise en charge des patientes. Nous dénonçons également depuis longtemps nos conditions de travail et notre positionnement inadapté, qui se traduit notamment par une faible rémunération et un statut imparfait.
La crise actuelle ne se résoudra pas par une mesure coercitive
A ce jour, la parole de ma profession, malheureusement souvent considérée « sous-tutelle », comme l’illustre la tribune de M. Nisand, a été rarement prise en compte.
Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une situation grave qui mérite une réflexion profonde : la crise actuelle ne se résoudra pas par une mesure coercitive. Les sages-femmes quittent les maternités, mais également la profession et ce, quel que soit leur mode d’exercice.
Redonnons du sens aux métiers de la santé, donnons enfin de l’attractivité au métier de sage-femme et, plus globalement, repensons notre modèle périnatal qui atteint aujourd’hui ses limites.
Cette refondation devra se faire de façon collégiale en associant les pouvoirs publics, qui doivent prendre leurs responsabilités ; les usagers, qui subissent les dysfonctionnements actuels ; et les professionnels de santé, sans plus jamais permettre aux uns de décider pour les autres.
Isabelle Derrendinger
présidente du Conseil national de l’ordre des sages-femmes