Le 4 décembre 2006, un tribunal régional déclarait le caporal suppléant américain Daniel Smith « coupable hors de tout doute raisonnable » d’avoir violé « Nicole », une jeune femme de 22 ans, le 1er novembre 2005 dans une camionnette en mouvement sur le Subic Bay Freeport et le condamnait à 40 ans d’emprisonnement. Pendant que « Nicole » versait des larmes de joie et de soulagement à l’intérieur du tribunal, des centaines de personnes qui avaient tenu une vigile à l’extérieur au cours de la nuit précédente manifestaient bruyamment leur enthousiasme. Des milliers d’autres, qui attendaient des nouvelles par la radio et la télévision, réagissaient de diverses manières. Une partisane a immédiatement commandé de la pizza pour tout ses collègues de bureau. Par contre, beaucoup se sont déclarées insatisfaites de l’acquittement par manque de preuves des trois autres accusés, des militaires américains qui regardaient et encourageaient Daniel Smith pendant qu’il commettait son crime.
Cette bataille s’est avérée difficile dès le début. Il ne s’agissait pas seulement d’une femme inconnue portant plainte pour viol contre des ennemis très puissants. C’était également une question de souveraineté. Les quatre soldats américains accusés étaient protégés par le Visiting Forces Agreement (VFA) qui octroie au personnel américain des avantages déraisonnables : la garde du détenu est confiée aux Américains et la cause doit absolument être résolue en moins d’une année. Les cas de viols impliquant des militaires américains durant la période où des bases militaires américaines étaient installées aux Philippines auraient atteint le nombre incroyable de 3 000. Aucun de ces cas ne s’est jamais rendu devant les tribunaux. La scène du crime est une ancienne base militaire américaine où la prostitution sévit, minant de ce fait la crédibilité des victimes. Pour couronner le tout, la majorité des accusateurs publics, y compris le Secrétaire du ministère de la Justice lui-même, étaient plus intéressés à maintenir de « bonnes relations » avec les États-Unis qu’à défendre une Philippine victime de violence.
Mais « Nicole » et sa famille ont traversé la tempête et toutes les insultes publiques proférées par de présumés protecteurs gouvernementaux n’ont pas réussi à les détourner de leur but. La mère de la victime a même dénoncé des offres de bradage. Des avocates féministes compétentes, en collaboration avec un juge régional indépendant, ont éventuellement mené au veredict de culpabilité.
Task Force Subic Rape (TFSR)*, un réseau informel d’une quinzaine d’organisations comprenant des membres de la Marche Mmondiale des Femmes des Philippines ont organisé diverses formes de soutien :
Présence quotidienne au cours de la difficile période du procès, protection physique de « Nicole » de l’ingérence des médias et des curieux ;
Publicité auprès du public, soutien élargi et continu par le biais d’une campagne d’éducation et d’information, organisation de manifestations dans différents endroits ;
Surveillance des manigances des procureurs publics pour « liquider » la cause et dénonciation de la partialité évidente du ministère de la Justice et de ses procureurs qui prenaient parti pour les militaires américains plutôt que pour la victime ;
Sensibilisation à l’aspect sexospécifique de la cause.
Sensibilisation du public quant au caractère partisan et aux dispositions astreignantes du VFA, y compris celles qui minent la souveraineté du pays ;
Établissement d’un lien entre le problème des viols et le VFA qui permet aux troupes américaines d’entrer dans un pays et expose les femmes à de potentielles agressions sexuelles et physiques ;
Implication dans la lutte de personnalités juridiques, notamment : un ancien vice-président, un ancien sénateur et secrétaire des affaires étrangères, d’anciens membres du Cabinet, un ancien président d’université, des représentants au Congrès, des dirigeants religieux, des professeurs et des universitaires, des religieuses et des prêtres, des artistes et des personnalités d’ONG.
La cause Subic Rape est historique parce que c’est la première fois qu’un militaire américain est traduit devant un tribunal. C’est également une cause importante en ce qu’elle force la mise en application de la loi anti-viol en vue de renforcer les droits humains des femmes et qu’elle permet de mettre à l’épreuve l’exercice de la souveraineté dans un crime impliquant le VFA.
Mais la cause est loin d’être terminée. Smith a interjeté appel et il est confiné à l’intérieur de l’ambassade américaine, techniquement, hors des Philippines. Et quelle que soit l’issue juridique de cette cause, la lutte contre le viol et les autres agressions criminelles contre les femmes liées à la guerre est également loin d’être terminée.