En novembre 2020, comme responsable Vétérinaire du Parc Zoologique de Paris, je faisais un premier point sur les confrontations entre l’animal et le virus du SARS-CoV-2, fussent-elles imaginées, expérimentales ou « naturelles ». Après avoir prédit de grands risques de contamination sur d’innombrables espèces par le calcul théorique, il s’est finalement avéré que le vison d’Amérique était ce que l’humain avait rendu de plus exposé à ce virus. La raison étant que nous en faisons des élevages si denses qu’ils favorisent la dissémination virale.
En deux ans, la biographie scientifique humaine du SARS-CoV-2 s’est développée pour être particulièrement denses et exhaustive. Rarement un virus n’a été aussi intensément suivi, ses moindres variants génétiques traqués quasiment en temps réel, la plus infime modification spatiale d’une de ses protéines épiée : plus de 180 000 articles ont été publiés depuis le 1er janvier 2020 jusqu’à aujourd’hui.
De ce volume impressionnant, 5 à 6 % des articles portent sur les infections animales, chiffre plutôt stable au fil des mois.
Le lion, le rat et le Covid…
41 : il s’agit du nombre d’espèces sur lesquelles une infection au SARS-CoV-2 a été constatée comme possible jusqu’en juillet 2022. Pour 14 d’entre elles, cette contamination a été provoquée expérimentalement, mais pour les 27 autres, il s’agit d’infections in natura – terme ici plutôt erroné, car ces passages dits « naturels » sont en fait, le plus souvent, originaire d’une source primaire humaine, donc d’animaux vivants en milieu plus anthropisé que « naturels »…
Cela ne représente que 0,75 % des espèces de mammifères décrites sur la planète. Au-delà de ce chiffre probablement sous-évalué mais finalement assez réduit, penchons-nous sur le nombre d’« évènements » identifiés, à savoir les cas où un ou plusieurs animaux d’une même unité ont été diagnostiqués infectés hors étude expérimentale : il est de l’ordre de 700 à 1000 évènements, allant d’un seul animal jusqu’à plusieurs milliers (élevage de visons, cerfs de Virginie, etc.)
La définition d’un animal infecté est déjà une étiquette difficile à poser. Stricto sensu, ne devraient être intégrés que les animaux pour lesquels une multiplication du virus dans les tissus a été prouvée, c’est-à-dire une détection de virus dit « vivant » et en réplication. Ainsi, les études dites « sérologiques », dans lesquelles n’est mise en évidence que la présence d’anticorps, formulent généralement l’hypothèse d’une infection préalable, mais cela reste difficilement vérifiable en l’absence d’un examen clinique antérieur pour constater l’infection.
Certains cas rapportés posent d’ailleurs question quant aux méthodes employées pour conclure à l’infection de l’animal. Citons deux exemples :
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Le premier est un centre de soins de la faune sauvage au Brésil qui rapporte une infection des lamantins en réhabilitation après avoir trouvé du SARS-CoV-2 sur un écouvillon fait dans le nez des siréniens. En réalité, ces animaux en soins sont gardés à l’année dans une eau qui n’est pas stérilisée, dans un milieu très urbanisé où il est très probable qu’un grand nombre de copies virales subsistent dans l’environnement. Trouver de l’ARN viral sur le nez d’un animal aquatique qui passe 24h/24 dans un tel milieu, soigné par des humains, n’est guère très étonnant. Il est ainsi difficile d’en conclure quoi que ce soit sur une infection, une réplication du virus dans les poumons du lamantin, et encore plus sur sa capacité à devenir réservoir.
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Le deuxième exemple est celui de la méthode sérologique employée. Après avoir sorti de nombreuses publications sur les taux de séropositivité SARS-CoV-2 parfois élevé chez les chats périurbains ou les cervidés sauvages, certaines équipes commencent à citer des biais méthodologiques, comme la présence encore non élucidée d’anticorps réagissant aux tests dits « spécifiques » du virus chez certains chats, en particulier sur des échantillons pris bien avant la période pandémique. Il est ainsi possible qu’en recherchant des anticorps dirigés contre certaines régions virales, on découvre une immunité déjà existante contre d’autres (corona)virus possédant des séquences antigéniques similaires, brouillant ainsi les pistes si on ne double pas avec d’autres tests.
Cependant, le Canada et les États-Unis ont bien découvert que le virus circulait chez le cerf à queue blanche depuis des mois. On peut trouver plusieurs raisons à cela : dans les premières hypothèses théoriques de sensibilité au virus, cette espèce de cervidé avait été classée comme à haut risque, du fait de la conformation de son récepteur ACE2. De plus, il s’agit d’un des cervidés les plus nombreux sur la planète : on compte plus de 33 millions d’individus en Amérique de nord.
Cette densité et sa gestion cynégétique locale intensive en font une espèce quasi urbaine dans de nombreuses villes américaines, très proches des activités humaines. Il en résulte un taux d’incidence très élevé, estimé entre 20 et 40 %, portant toujours sur les animaux chassés.
Il est alors intéressant d’observer la situation des cervidés chassés de l’autre côté de l’Atlantique : nos cerfs élaphes, daims ou chevreuils sont certes un moins nombreux (aucune de ces espèces ne dépasse les 10 millions d’individus sur toute l’Europe) et sont eux aussi chassés, mais gérés avec bien moins de proximité humaine. De nombreux pays (Suède, Allemagne, Autriche, France, etc.), alarmés par la découverte américaine, ont mené des études sur leurs cerfs sauvages. Résultat : aucun animal infecté, aucun séropositif.
Signalons d’ailleurs que le Canada a élargi ses recherches à d’autres espèces sauvages connues comme sensibles (raton laveur, vison…) et n’a détecté aucun animal positif en Ontario et au Québec. La diffusion du virus vers la faune sauvage dite périurbaine semble ainsi pour le moment bien plus anecdotique que ne le prévoyaient les simulations alarmistes de 2021.
Des variants et des animaux
Les virus trouvés chez les animaux sont souvent séquencés et répertoriés dans les grandes bases de données génomiques en ligne pour que, selon les principes de la science ouverte, l’information profite à tous en temps réel.
La consultation de ces bases nous apprend que les variants les plus retrouvés chez les animaux sont Alpha, mais surtout Beta et Delta. La majorité des cas où des animaux sauvages en captivité ont démontré des symptômes – très souvent passagers et légers – est d’ailleurs associée au variant Delta, connu pour sa contagiosité augmentée et surtout une sévérité des signes plus importante chez notre espèce. Ce fut particulièrement le cas pour les cas de lions, tigres ou léopard des neiges de zoo en 2021 dans l’hémisphère Nord.
Depuis 2020, les chercheurs savent que la cible cellulaire du virus, le fameux récepteur « ACE2 », en fait une menace importante puisque cette molécule est assez bien conservée à travers les plus de 6000 espèces de mammifères. C’est pour cette raison que l’infection expérimentale finit par fonctionner sur beaucoup d’espèces : en administrant de très grandes quantités de virus, on arrive à obtenir un schéma infectieux qui ne se produit pas ou peu avec des expositions plus réduites sur le terrain. Par exemple, en conditions expérimentales, on arrive très difficilement à infecter les bovins, seul un faible pourcentage se contaminent… mais cela ne se produit heureusement pas naturellement au sein des 1,5 milliard de vaches de la planète.
L’adéquation entre la protéine « Spike » de SARS-CoV-2 et l’ACE2 humain est très précise, une horlogerie fine qui fonctionne donc moins bien avec l’ACE2 des mammifères non humains… sauf si des mutations « améliorent » la situation.
C’est le cas de la fameuse mutation « N501Y », notamment apparue avec le variant Alpha, et qui, même s’il n’y pas de « filiation » entre les variants, existe jusqu’aux variants « Omicron » actuels. La substitution de ce seul acide aminé en position 501, au milieu des 1272 autres que comportent la protéine « Spike », non seulement augmente les capacités de contagion du virus, mais aussi permet quasiment à elle seule la liaison de l’ACE2 de souris avec le virus, ce qui ne fonctionnait initialement pas sur les souches originelles du SARS-CoV-2.
Dans la communauté scientifique, on peut noter deux types de réactions à cette information : certaines équipes y voient un marqueur de l’origine possiblement animale d’Omicron, tandis que d’autres voient surtout le risque de son expansion chez les rongeurs, qui pourrait alors devenir un réservoir majeur sous nos pieds. De très nombreux pays surveillent les rongeurs urbains depuis 2021, et les résultats prouvent jusqu’ici que ces animaux ne sont pas porteurs du SARS-CoV-2.
Les craintes de voir naître un « incubateur à variants » proche de l’Humain se sont focalisées sur les chiens, chats et rongeurs, si nombreux et si proches des activités humaines…
Ce sont toutefois les visons d’Amérique et les cerfs de Virginie qui ont montré les circulations intra-espèces les plus nombreuses et durables. Pour ces deux espèces, comme pour les hamsters d’animalerie à Hongkong, de rares cas de « retour » viral à l’Homme sont documentés ou craints, mais ils restent finalement anecdotiques face aux contaminations interhumaines.
Les suivis réalisés sur les visons et les cerfs de Virginie montrent d’ailleurs que le virus n’a pas drastiquement augmenté le nombre de mutations pour circuler chez ces espèces : au bout de deux ans, il n’y a ainsi aucun signe d’une adaptation à un autre hôte que nous.
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Faut-il vacciner les animaux ?
Sur le socle désormais incontournable du concept « une seule santé » (One Health), le fameux principe de la balance bénéfice-risque, si souvent débattu au sujet de la vaccination humaine, s’applique tout autant pour l’animal. Quelques voix s’élèvent pour proposer de déplacer l’outil vaccinal depuis la population humaine vers les populations animales, de manière à prévenir le risque de transmission et l’apparition de réservoirs.
Historiquement, les premiers vaccins humains furent évalués sur des animaux assez tôt en 2020, menant ensuite à l’injection de milliards de doses humaines de plus d’une trentaine de vaccins différents. Le nombre de vaccins mis sur le marché pour les animaux est au contraire resté très restreint et se compte sur les doigts d’une patte.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que les premières motivations pour mettre ces vaccins sur le marché n’étaient pas tant d’empêcher la création de réservoirs que de sauvegarder la filière d’élevage des animaux à fourrure…
Le vaccin russe Carniva-Cov, le vaccin finlandais Furcovac et même le vaccin américain/européen de chez Zoetis : tous visaient prioritairement les carnivores élevés pour leur fourrure, visons en tête : l’objectif annoncé de ces vaccins est alors un mélange assez flou entre la prévention du risque « réservoir » et surtout la protection d’un élevage économique important, pour éviter une perte sèche comme celle du Danemark où furent euthanasiés plus de 17 millions de visons en 2020.
Au titre des bénéfices à tirer de la vaccination animale, la protection de l’individu ou de son espèce n’est pas vraiment un argument : les formes graves sont rares chez les animaux, et le niveau de protection conféré par les vaccins peu connu et probablement variable entre les espèces. Prenons l’exemple des gorilles ou des tigres : il s’agit d’espèces sensibles à ce virus mais, en deux ans, on ne compte que quelques dizaines de cas – bénins – sur les milliers de tigres ou les centaines de gorilles en captivité, et aucun cas prouvé dans le milieu sauvage. Pas vraiment de quoi déclencher un plan vaccinal massif des individus sauvages comme captifs…
La seule exception pour le moment est celle des furets à pieds noirs aux USA : après être passée « à deux griffes » de l’extinction, la population sauvage reste sous la barre des 350 individus : en 2020 et 2021, plusieurs centres de reproduction fournissant des animaux pour la réintroduction ont vacciné une partie de leur cheptel, mais ont en même temps noté que les furets infectés ne faisaient pas de formes graves et récupéraient facilement seuls.
De même, la protection des animaux domestiques n’est pas non plus un objectif sérieux : si le nombre de chiens sur la planète avoisine le milliard et qu’ils se contaminent parfois auprès de leur maître positif, ils font des formes cliniques courtes et peu importantes et ne transmettent quasiment pas le virus à leurs congénères canins, et encore moins à l’homme. Le chien domestique reste un vecteur « passif » du virus entre deux personnes proches, mais au même titre qu’un tissu ou un objet, ce que le vaccin ne résoudra nullement.
À l’inverse, au titre des risques, la liste est plus longue : impact des injections sur le bien être des animaux sauvages, effets sur le système immunitaire de nombreuses espèces… et surtout l’imprévisible comportement du virus chez une espèce animale vaccinée. On sait par exemple que pour les virus influenza, des vaccinations de masse des oiseaux peuvent avoir un effet pervers d’échappement antigénique et de sélection des souches virales avec le temps. Il paraît ainsi plutôt dangereux de lancer une vaccination préventive massive des chiens, chats ou autres espèces sauvages et de créer un risque plus grand que les cas anecdotiques de passage de l’animal vers l’homme.
Quelle conclusion après deux ans de ping-pong viral entre l’Homme et l’animal ?
Le premier constat est une confirmation virologique de l’origine animale et du profil « généraliste » de ce virus grâce notamment à son récepteur ACE2 très répandu chez les mammifères.
Il s’est adapté et spécialisé sur l’espèce humaine mais conserve un profil global lui permettant toujours de passer, moins facilement, sur d’autres espèces tandis que son profil génétique s’adaptait toujours plus finement à nos cellules. Ce qui fait que nous restons son hôte principal.
Le second constat est d’ordre presque philosophique : le SARS-CoV-2 se révèle un formidable miroir, qui nous renvoie assez brutalement l’image de nos relations actuelles avec l’animal : celles oubliés, comme l’industrie de la fourrure que certains pensaient éteinte, ou celles paradoxales, comme ces 30 millions de cervidés qui sont intensivement chassés mais viennent aussi brouter dans les quartiers résidentiels américains.
Les tribulations de ce virus chez l’animal nous enseignent finalement la même leçon que son apparition en 2019 : nous devons rapidement remettre de la distance avec l’animal, pour notre bien à tous.
Alexis Lécu, Docteur Vétérinaire, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Cet article fait partie de la série « Les belles histoires de la science ouverte », publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Pour en savoir plus, veuillez consulter la page Ouvrirlascience.fr.< !—> http://theconversation.com/republishing-guidelines —>