Quito (Équateur).– Après 18 jours de manifestations et de grève générale, le gouvernement et les mouvements indigènes sont parvenus à un accord jeudi 30 juin, dans les bâtiments de la conférence épiscopale équatorienne, désignée comme intermédiaire par les deux parties .
Parmi les dix demandes des peuples et nationalités indigènes, certaines n’ont pas été satisfaites. Pour d’autres, il a fallu négocier (voir le détail dans les annexes en bas de cet article [sur Mediapart seulement]). Ainsi, la baisse réclamée de 40 centimes du prix du gallon d’essence (3,8 litres) a été ramenée à une réduction de 15 centimes.
À l’extérieur de l’institution religieuse, des centaines de personnes s’étaient rassemblées. Certaines se sont dit satisfaites, mais « conscientes de la situation économique du pays », comme Dany, qui reconnaissait que le mouvement ne pouvait pas « tenir plus longtemps ». « Nous partons avec des résultats très positifs », ajoute-t-il. D’autres font part de leur déception d’avoir lutté pour « si peu », à l’image de Dolores. En pleurs, elle explique avoir manifesté pour sa fille, « pour qu’elle ait une éducation ».
Très vite après la signature, rendez-vous est donné à la « Casa de la Cultura » (Maison de la culture), où tout se passe depuis le début de la grève. La caravane de manifestant·es se met en chemin, armée de drapeaux équatoriens. Les conducteurs klaxonnent, tout sourire, à la fois soulagés de la fin des blocages mais également reconnaissants des avancées que les mouvements autochtones ont obtenues.
Arrivés devant l’immense bâtiment, beaucoup se précipitent à l’intérieur. Il ne faudrait pas rater l’intervention de Leonidas Iza. Cet homme charismatique était déjà à la tête des grandes manifestations d’octobre 2019. Flanqué de son borsalino noir et de son poncho rouge, issu de l’ethnie kichwa, Leonidas Iza a été au centre de l’attention pendant les 18 jours de la grève générale.
Il dirige la Conaie (Confederación de Nacionalidades Indígenas del Ecuador, Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur), l’organisation autochtone la plus importante et la plus ancienne du pays. S’il s’est déplacé à Quito avec ses « camarades » de la Feine et de la Fenocin (deux autres organisations autochtones et indigènes), c’est pour exiger l’application des dix demandes adressées depuis plus d’un an déjà au président libéral Guillermo Lasso.
Pendant les deux semaines de mobilisation, la Maison de la culture a été en ébullition, marquée par un va-et-vient permanent d’autochtones amazoniens et andins, d’étudiant·es et d’ouvrières et ouvriers. Dans l’amphithéâtre qui peut accueillir jusqu’à 5 000 personnes, des musiciens enchaînaient des morceaux pendant les après-midi, écoutés d’une oreille par des manifestant·es épuisé·es. Mais chaque fois que Leonidas Iza montait sur l’estrade pour haranguer la foule, l’énergie revenait.
« Ce gouvernement ne comprend que la pression. Si l’on n’était pas venus à la capitale, nous n’aurions jamais été écoutés », explique Juan Belisario, arrivé de la province du Cañar, située aux confins des Andes. Comme lui, des milliers d’Équatoriennes et Équatoriens sont venus, parfois de très loin, pour faire entendre leur voix et exiger l’amélioration de leur situation économique.
Venus de si loin qu’ils n’avaient ni endroit où dormir ni de quoi manger. Et la Maison de la culture les a accueillis, devenant ainsi un endroit clef. « Depuis le début des mouvements autochtones en 1990, la Casa de la Cultura a toujours été un lieu d’accueil, explique Fernando Ceron, son directeur. Au départ, le lieu fournit un toit à ces populations, qui viennent parfois de l’Amazonie. Pour elles, le climat de Quito, à 2 800 mètres d’altitude, est très hostile. »
Les nouveaux venus sont hébergés et nourris. Le grand amphithéâtre, où se tiennent les assemblées, devient « un lieu de référence », souligne le directeur de la Maison de la culture. C’est la raison pour laquelle les autorités ont cherché à s’en emparer. Le 19 juin, après avoir fouillé le lieu à la recherche d’armes et fait chou blanc, la police a réquisitionné la Maison de la culture pour en faire une caserne temporaire. Cela ne s’était vu qu’une seule fois, en 1984 sous le gouvernement autoritaire et répressif de León Febres Cordero.
Le tollé a été immédiat. « Ils ont fait une erreur monumentale avec cette réquisition, raconte Fernando Ceron. Au lieu d’empêcher les peuples et nationalités autochtones de se réunir, ils ont donné une force nouvelle à la grève générale. »
Dès l’annonce de la réquisition, deux universités de la capitale (l’université centrale et l’université polytechnique salésienne) ont mis à disposition leur campus pour l’accueil des manifestant·es. Le recteur de la Salésienne, le père Juan Cardenas Tapia, « fidèle aux valeurs de l’évangile », a invoqué des raisons humanitaires. « Comment pourrions-nous laisser des milliers de personnes, avec des enfants, errer dans les rues de la capitale ? », a-t-il interrogé, en précisant ne pas prendre parti.
Quelques jours plus tard, la Maison de la culture a été « rendue » aux manifestant·es. Et si un accord a finalement été conclu, le bilan est lourd : sept morts en 18 jours, six du côté des manifestant·es et un militaire. Le rapporteur spécial des Nations unies sur l’indépendance judiciaire, Diego García-Sayán, a affirmé « suivre l’événement avec préoccupation ».
Au tout début du mouvement, Leonidas Iza a été placé en détention pendant 24 heures pour « entrave à la circulation » . « Une autre erreur de la part du gouvernement », estime Fernando Ceron. « Cette arrestation a fait prendre de l’ampleur à la mobilisation. »
Jeudi, à la Maison de la culture, dans un discours enflammé, Leonidas Iza s’est excusé de n’avoir pas tout obtenu. Mais il a demandé à « sa base » de ne pas perdre espoir pour construire « une société plus juste et plus égalitaire ».
Alice Campaignolle