L’Assemblée nationale reste, en 2022, toujours assez éloignée de celles et ceux qu’elle représente. Si la cuvée 2017 avait au moins rassuré sur la parité, certaines mauvaises habitudes reprennent le pas cinq ans plus tard, malgré un hémicycle renouvelé politiquement et inédit dans son équilibre des forces sous la Ve République.
« Sur la parité, c’est un recul, une alerte qu’il faut entendre,estime Mérabha Benchikh, sociologue spécialiste des questions de genre et politique à l’université de Strasbourg. Il ne faut pas banaliser ce qui vient de se passer. »
D’un point de vue socioprofessionnel, l’Assemblée nationale reste encore le lieu privilégié des cadres et professions intellectuelles, malgré la percée notable des classes moyennes, surtout grâce à la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) et le Rassemblement national (RN). Revue de détail.
Plafonnant sous la barre des 20 % jusqu’en 2007, la progression des femmes dans l’hémicycle est continue jusqu’à un pic en 2017, avec 38,8 % de femmes élues. C’est l’un des faits d’armes majeurs d’Emmanuel Macron, qui réussit alors, par une logique d’investiture très ouverte et un appel explicite aux femmes, à féminiser nettement l’Assemblée nationale. Cinq ans plus tard, le chiffre retombe à 37,3 %, ce qui constitue cependant le second taux le plus élevé de la Ve République.
« Le champ politique reste un bastion de l’entre-soi masculin, analyse Mérabha Benchikh , qui a publié en 2013 Femmes politiques : “le troisième sexe” ? (L’Harmattan). Les raisons sont culturelles, historiques mais aussi le résultat de stratèges à l’œuvre, comme le fait d’investir des femmes dans des circonscriptions moins gagnables. Les femmes douées et chevronnées existent, mais on leur met des peaux de banane. »
Les partis sont d’ailleurs plus ou moins vertueux en la matière. Le déséquilibre entre député·es femmes et hommes est moins marqué à gauche, avec 60 femmes et 82 hommes dans les rangs de la Nupes. Les plus mauvais élèves se retrouvent parmi les parlementaires non affiliés pour le moment, comme les élus régionalistes, suivis de LR-UDI (18 femmes, 46 hommes) et du RN (33 femmes, 56 hommes).
Le groupe majoritaire (Ensemble) dominé par La République en marche (LREM, devenue Renaissance) a nettement reculé au regard de 2017, avec 99 femmes seulement pour 147 hommes. Même si au sein d’Ensemble, Renaissance sauve toutefois un peu la mise : 42,9 % de femmes, quand Horizons et Agir plombent le tableau.
Emmanuel Macron, qui a manœuvré en personne, entouré d’une poignée d’hommes, pour décider des investitures au sein de son parti, rate donc cette fois-ci son coup.
« Il s’est présenté en 2017 comme l’ovni de l’échiquier droite-gauche, en tout cas dans sa communication politique,rappelle Mérabha Benchikh. Et dans cette envie de tout exploser, il y avait aussi cette volonté d’inclure le plus possible de femmes, pour instaurer une certaine modernité et ringardiser les autres. Cette stratégie s’essouffle après le premier quinquennat, avec des hommes en place qui s’accrochent. Macron rentre dans le moule de ce qu’il dénonçait. »
Au sein de la Nupes, Europe Écologie-Les Verts (EELV) est le seul parti à être composé de plus de femmes (11) que d’hommes (5), la proportion de députées de genre féminin s’amenuisant, par ailleurs, en même temps que la taille des groupes.
Le RN, longtemps tatillon sur les investitures pour éviter les sanctions financières, prend, en multipliant par dix son nombre de député·es, le mauvais pli de l’Assemblée nationale, avec seulement 37,1 % de femmes élues. Mais ce sont Les Républicains (LR) et l’Union des démocrates et indépendants (UDI) qui sont les habituels bons derniers, « comme s’ils avaient en quelque sorte abandonné ce sujet, résistant systématiquement à la parité », souligne Mérabha Benchikh.
Traditionnellement, les « CSP + » – c’est par ce sigle qu’on désigne les catégories socioprofessionnelles les plus favorisées – sont surreprésentées à l’Assemblée nationale, et 2022 ne déroge pas à la règle. Ensemble bat le record avec 61,4 % de cadres et professions intellectuelles supérieures et ne compte aucun ouvrier, seulement 2 % d’employés, contre 9,3 % de chefs d’entreprise, artisans et commerçants. Les quatre formations principales (Renaissance, Agir, MoDem et Horizons) sont d’ailleurs au diapason sur le plan sociologique, et assez proches en vérité de la droite plus traditionnelle.
La Nupes surreprésente également les cadres, devant LR et l’UDI, qui compensent avec un fort taux de retraité·es (presque 20 %). Les agriculteurs sont partout plus nombreux que dans la population générale… sauf à la Nupes. Enfin, le Rassemblement national est le parti qui compte le plus d’ouvriers dans ses rangs, mais ce chiffre reste très faible (3,4 %).
« La poussée du RN met en évidence que ce parti comme tous les autres s’est professionnalisé, y compris dans ses procédures de sélection,note le politologue Martial Foucault, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po. Le candidat ouvrier, employé, a été plus facilement écarté aujourd’hui que par le passé. » En clair, ce parti, qui a longtemps manqué de « cadres » au point d’apparaître en incapacité de diriger, les a presque tous fait rentrer dans l’hémicycle.
Les deux nouvelles grandes forces, RN et Nupes, ne bousculent donc guère l’image de l’Assemblée nationale, hormis pour la place, notamment au sein de l’Union populaire (ex-LFI), accordée à la classe moyenne. On retrouve en effet dans ses effectifs une proportion plus importante qu’ailleurs de « professions intermédiaires », qui rassemblent les professeurs des écoles par exemple, ainsi que 7 % d’employé·es – le RN fait un peu mieux, avec 11 % d’employé·es. Mais le Parti socialiste (PS) plombe ces tentatives de redéfinition sociologique, avec un taux de cadres et de diplômés qui s’envole à presque 80 % des élu·es.
Comme chez EELV, la part de député·es socialistes ayant indiqué « autre » lors de leur déclaration en préfecture signe aussi une forte proportion de personnes sans profession définie, en réalité souvent salariées par leur parti depuis longtemps, relève Martial Foucault. « C’est une sorte d’avertissement pour repérer des professionnels de la politique. »
L’Assemblée nationale offre donc une image déformée de la société française. Moins de 1 % d’ouvriers et d’ouvrières dans l’hémicycle, quand ils et elles représentent 16 % de la population active. Les cadres plafonnent eux à 18 % sur le marché de l’emploi mais occupent une large moitié des bancs de Palais-Bourbon. Loin de la « représentation résumée », miniature parfaite du pays, selon le concept de la philosophe américaine Hanna Pitkin.
Des chiffres aussi très bavards sur ce que l’on imagine être la fonction et l’attitude de l’élu·e. « Un ouvrier ou un employé serait supposé ne défendre que ses intérêts de classe, un procès d’intention qu’on ne fera pas ou peu à un cadre, relève Martial Foucault. Or cette représentation faussée a un effet dans la culture et le travail parlementaire, qui ne peuvent pas complètement prendre le pouls de la société au sujet de laquelle ils vont devoir légiférer. »
Citant le fameux Maxime Gremetz, ouvrier-député de la Somme pendant trente ans, figure du Parti communiste français (PCF), Martial Foucault interroge aussi la « légitimité » que l’on accorderait ou non à des profils moins diplômés, moins argentés, découragés devant la barrière symbolique dressée devant la porte de l’Assemblée nationale. On se souvient aussi, en 2017, du qualificatif de « Bac -2 » accolé à Caroline Fiat, première aide-soignante à siéger parmi LFI, moquée ainsi par certains députés LREM.
« Maxime Gremetz a fait ses armes étape par étape dans le militantisme politique qui l’ont conduit à s’affranchir de sa condition pour être totalement légitime au Parlement, rappelle le chercheur. Si, plus proche de nous, on regarde les députés LREM qui sont arrivés en 2017, certes très diplômés, il leur manquait quelque chose, une sorte de savoir-faire politique, qu’ils ont payé cher. C’est aussi ce qui risque d’arriver aux élus RN, dont certains viennent à peine de s’encarter. »
L’Assemblée nationale n’a pas non plus beaucoup changé quant à l’âge des parlementaires qui la compose, avec un âge moyen de 49 ans, contre 48,7 en 2017, si l’on se base sur la date de leur élection. Ces données confirment néanmoins une tendance qui s’installe, faisant passer la moyenne des député·es sous la barre des 50 ans. Et c’est encore une fois du fait de l’arrivée massive de la gauche et de l’extrême droite sur les bancs, avec respectivement 45,9 et 46,4 ans de moyenne d’âge pour ses représentant·es. Pour LR et l’UDI, l’âge moyen se monte à 51,6 ans, suivis de près par Ensemble (50,3 ans). Au début de la mandature, 28,4 % des député·es ont moins de 40 ans, en progression de plus de 3 points par rapport à 2017 (25,3 %).
Ce relatif rajeunissement, comme en 2017, se retrouve aussi dans l’arrivée de 302 « primo-député·es » ce qui n’en fait pas pour autant des « novices » en politique, comme le rappelait le chercheur Étienne Ollion dans son ouvrage. Ces élu·es qui font leur premier pas dans l’arène nationale législative sortent le plus souvent des rangs de l’Union populaire-LFI, et du Rassemblement national, ces deux groupes ayant grossi considérablement, ainsi que chez EELV, qui n’avait pas de groupe du tout en 2017.
Chez Renaissance, seules cinquante nouvelles têtes apparaissent en 2022, un chiffre qui baisse considérablement par rapport à 2017, en raison de la logique qui veut que l’on réinvestisse le plus souvent les sortant·es. Les législatives 2022 marquent ainsi le retour des profils politiques plus traditionnels (ministres, élus locaux, collaborateurs parlementaires) au sein du groupe présidentiel. Le parti d’Emmanuel Macron, que ce soit sur la parité ou les CV, se « normalise » donc nettement. Au détriment du renouvellement.
Mathilde Goanec et Donatien Huet