Le Télégramme : Quel commentaire faites-vous sur cette vague actuelle de chaleur précoce, un phénomène qui se produit de plus en plus fréquemment ?
Emma Haziza : On voit bien que l’on a des vagues de chaleur de plus en plus importantes en France et dans le monde. Cette succession d’événements majeurs est provoquée par une accumulation de gaz à effets de serre sans précédent. La planète se réchauffe, mais elle se réchauffera plus vite dans l’hémisphère nord et ce, à une vitesse à laquelle on n’est pas capable, aujourd’hui, de s’adapter.
Comment voyez-vous la situation d’ici à la fin de cet été ?
Selon les projections de Météo France, cela ne devrait pas s’arranger dans les trois prochains mois avec des épisodes de pluies orageuses, voire grêleuses, mais ce ne sont généralement pas des eaux efficaces pour les sols et les nappes phréatiques. Ce sera donc un été et une année des plus chauds, sachant que le mois de mai 2022 sera le plus chaud jamais enregistré en France, tandis que juin devrait battre également des records de chaleur.
Comprenez-vous les agriculteurs et spécialistes qui craignent le pire pour cet été ?
Oui, je les comprends et c’est parce que je les comprends qu’il faut que l’on change de modèle. Il y a des modèles qui ne sont plus soutenables. Aujourd’hui, on ne peut plus se permettre de produire des cultures qui, l’été, vont avoir des chutes de rendement. Même le bétail est incapable de tenir à des températures aussi importantes. On voit bien que c’est une fragilité généralisée et il faut repenser nos vallées, nos contrées, nos territoires… Il faut rajouter de l’ombre, de l’intelligence et donner l’importance au vivant.
« La canicule est quelque chose qui tue. »
Avez-vous l’impression que les autorités et la population prennent conscience de l’ampleur du problème ?
Ça commence, du moins je l’espère. Aujourd’hui, on n’est plus sur un faisceau d’indicateurs mais sur des faits tangibles. Il faut donc agir et comprendre que c’est une priorité, car la canicule est quelque chose qui tue. Elle a ainsi tué 19 500 personnes en France, en 2003, et près de 10 000, entre 2015 et 2020. Ce n’est pas rien.
Comment améliorer la situation ?
Il faut mettre de l’ombre partout, rajouter des haies, des arbres… Il faut déminéraliser car plus vous minéralisez, plus vous conservez la chaleur et favorisez l’effet de serre. Il ne faut pas oublier que l’agriculture, dans le monde, est l’un des plus gros responsables du changement climatique. On a, en effet, des terres agricoles importantes partout dans le monde, lesquelles consomment des quantités d’eau astronomiques. C’est ainsi la principale consommatrice d’eau dans le monde. En France, elle consomme 50 % de l’eau disponible et 80 % durant l’été. C’est ce 80 % qui ne sera plus gérable, car il n’y aura plus assez d’eau pour alimenter les robinets.
« 30 % des départements ont des problèmes d’approvisionnement en eau et on pourrait arriver à plus de 50 % »
En France, aura-t-on d’ailleurs toujours de l’eau qui coule du robinet ?
Pas sûr, car ce n’est déjà pas le cas, actuellement, dans certaines communes Aujourd’hui, 30 % des départements connaissent des problèmes d’approvisionnement en eau et on pourrait arriver à plus de 50 %. Nous sommes donc dans une situation d’alerte qu’il faut surveiller attentivement.
En Bretagne, l’île de Groix (56) manque d’eau. Cela vous étonne ?
Cela ne m’étonne pas du tout, car tout ce qui est insulaire manque d’eau. Sur les îles, les ressources sont en effet limitées.
Le recyclage de l’eau de mer et des eaux usées en eau potable ne doit-il pas être davantage développé ?
On n’a pas le choix, mais ça coûte très cher en énergie. À l’heure actuelle, quand on parle énergie, on a aussi besoin de beaucoup d’eau. Derrière l’énergie se cache en effet la question de l’eau à travers les barrages hydroélectriques, le nucléaire… C’est un peu le serpent qui se mord la queue.
« On peut donc croire que la Bretagne est plus protégée, mais… »
La Bretagne est-elle une région moins menacée que les autres par la sécheresse et la canicule ?
Oui et non. Entre 2015 et 2020, on a recensé des vagues de chaleur dans tous les départements de France, sauf dans trois : la Creuse, le Finistère et les Côtes-d’Armor. On peut donc croire que la Bretagne est plus protégée, mais on voit bien que la vague de chaleur actuelle va toucher l’ensemble de la région. Rien n’est donc joué.
Si vous étiez ministre de la Transition écologique, quelle serait votre première mesure ?
J’adapterais l’intégralité des bâtiments, non pas seulement sur le plan de l’efficacité énergétique, mais aussi pour faire face aux inondations, aux sécheresses et aux canicules. J’aiderais les Français à se protéger.