La ministre britannique de l’intérieur, Priti Patel, a officiellement signé, vendredi 17 juin, l’ordre d’extradition du fondateur de WikiLeaks Julian Assange vers les États-Unis pour y être jugé, notamment pour espionnage.
« C’est un jour sombre pour la liberté de la presse et pour la démocratie britannique », a réagi WikiLeaks dans un communiqué publié sur Twitter. « Priti Patel avait le pouvoir de faire le bon choix, poursuit l’organisation. À la place, on se souviendra pour toujours d’elle comme la complice des États-Unis dans leur plan visant à transformer le journalisme d’investigation en entreprise criminelle. »
« Aujourd’hui n’est pas la fin du combat, ajoute cependant WikiLeaks. Nous ferons appel devant le système judiciaire, le prochain appel se fera devant la Haute Cour. Nous nous battrons plus fort et crierons plus fort dans les rues, nous nous organiserons et nous ferons connaître de tous l’histoire de Julian. » Bien que le principe de l’extradition de Julian Assange ait déjà été validé en première instance et en appel, l’ordre d’extradition en lui-même peut en effet faire l’objet de nouveaux recours devant la Haute Cour, puis en seconde instance devant la Cour suprême.
« Permettre à Julian Assange d’être extradé le mettrait grandement en danger et envoie un message de dissuasion aux journalistes du monde entier », a également réagi la secrétaire générale d’Amnesty International, Agnès Callamard. « Si l’extradition se poursuit, Amnesty International est extrêmement préoccupé par le fait que Assange soit confronté à un risque important d’être placé en isolement prolongé, ce qui violerait l’interdiction de la torture et des autres mauvais traitement », a-t-elle ajouté dans un communiqué.
Interrogé sur BFMTV, le leader de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon s’est de son côté engagé à offrir l’asile à l’ex-rédacteur en chef de WikiLeaks en cas de victoire de sa coalition aux élections législatives. « Si je suis élu Premier ministre, lundi Julian Assange sera naturalisé français et accueilli chez nous », a-t-il assuré.
Depuis la décision rendue en appel au mois de décembre dernier autorisant l’extradition de Julian Assange, les soutiens du journaliste avaient multiplié les actions et les appels à Priti Patel afin qu’elle s’abstienne de le livrer aux États-Unis où, accusé notamment d’espionnage, il risque jusqu’à 175 ans de prison pour avoir publié, en 2010, les documents fournis par Chelsea Manning détaillant les exactions de l’armée états-unienne en Irak et en Afghanistan.
Le 10 mai, la commissaire aux droits humains du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, avait écrit à Priti Patel afin de lui demander de renoncer à l’extradition de Julian Assange. « L’inculpation de Julian Assange par les États-Unis soulève des questions importantes relatives à la protection de ceux qui publient des informations classifiées d’intérêt du public, dont des informations qui révèlent des violations de droits humains, écrit la commissaire. Les natures vagues et larges des allégations contre M. Assange, et des infractions listées dans l’acte d’accusation, sont préoccupantes, car beaucoup d’elles concernent des activités au cœur du journalisme d’investigation en Europe et au-delà. »
« En conséquence, poursuit Dunja Mijatović, autoriser l’extradition sur ces bases aurait un effet de dissuasion sur la liberté des médias et pourrait finalement entraver la presse dans la réalisation de ses tâches de pourvoyeuse d’informations et de chien de garde dans les sociétés démocratiques. »
Le même jour, c’est une figure historique du journalisme d’investigation, le Britannique Duncan Campbell, à l’origine de la révélation en 1988 du dispositif de surveillance mondial des télécommunication ECHELON, qui prenait la plume dans The Guardian. « Priti Patel doit maintenant prendre une des décisions les plus importantes de sa carrière, écrit le journaliste. Va-t-elle plier sous la pression des États-Unis et envoyer un homme vulnérable qui n’a été condamné pour aucun crime pour qu’il affronte un nombre indéterminé d’années dans une prison américaine où il pourrait subir des intimidations et l’isolement ? »
« Patel a un choix important à faire, conclut Duncan Campbell, mais il n’est pas difficile. Il faut refuser l’extradition. Assange devrait être libéré et être autorisé à reprendre une vie normale. Quiconque estime sérieusement la liberté d’expression devrait soutenir ce combat. »
Les 17 et 18 mai, l’association Reporters sans frontières déposait au ministère de l’intérieur britannique, ainsi que dans les ambassades britanniques de Washington, Berlin, Madrid, Rio et Alger, une pétition signée par 64 000 personnes appelant à ne pas extrader Julian Assange.
« Le message est clair : une décision d’extrader Assange serait une décision contre le journalisme et la liberté de la presse », a déclaré la directrice des opérations et des campagnes de RSF, Rebecca Vincent, lors du rassemblement organisé à Londres devant le ministère de l’intérieur. « Nous appelons Priti Patel à rejeter l’ordre d’extradition et à sécuriser une libération immédiate d’Assange, et nous continuerons notre campagne mondiale jusqu’à ce qu’il soit libre. »
Cela fait près de dix années que Julian Assange vit reclus ou emprisonné. C’est en effet le 19 juin 2012 que le rédacteur en chef de WikiLeaks s’est réfugié dans les locaux de l’ambassade équatorienne de Londres afin d’échapper à la précédente demande d’extradition déposée par la Suède, où il était accusé d’agressions sexuelles.
Dénonçant une instrumentalisation des accusations portées contre lui, et craignant d’être en réalité extradé vers les États-Unis, Julian Assange vivra durant sept années dans un petit appartement de l’ambassade. Il sera placé sous la surveillance étroite de la police britannique, mais également des services américains, qui iront jusqu’à installer des caméras et des micros dans ses locaux.
Dégradation de son état de santé
La procédure suédoise a finalement été close au mois de novembre 2019 pour manque de preuves. Mais, entre-temps, la justice américaine a officialisé, le 23 mai 2019, l’acte d’inculpation du fondateur de WikiLeaks pour violation de l’Espionage Act lors de la publication, en 2010, des documents fournis par Chelsea Manning et détaillant des exactions de l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Le 11 avril suivant, Julian Assange était extrait de force de l’ambassade équatorienne et envoyé à la prison de haute sécurité de Belmarsh, située près de Londres, où il a depuis été placé en isolement.
Déjà affaibli par ses années de réclusion dans l’ambassade équatorienne, Julian Assange a vu son état de santé, physique et mentale, considérablement se dégrader, selon les médecins et les visiteurs qui ont pu l’examiner. Au mois de décembre 2020, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, avait ainsi comparé ses conditions de détention à « une détention arbitraire, mais aussi à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».
Cette question de l’intégrité mentale de Julian Assange avait été au cœur du procès en première instance en vue de son extradition et lui avait permis d’obtenir une première, mais temporaire, victoire. Durant les audiences, ses avocats avaient en effet souligné les conditions drastiques d’incarcération auxquelles le journaliste serait immanquablement soumis une fois arrivé sur le sol américain. De nombreux experts étaient venus expliquer que les détenus intéressant la sûreté nationale étaient systématiquement incarcérés à l’ADX de Florence, une prison de très haute sécurité, et soumis à des « mesures administratives spéciales » (« SAMs », en anglais), c’est-à-dire des mesures d’isolement extrême.
Assurances états-uniennes
Les défenseurs de Julian Assange avaient invoqué d’autres motifs justifiant de refuser la demande d’extradition américaine, notamment son statut de journaliste, la liberté de la presse, le droit à la liberté d’expression, le caractère d’utilité publique des révélations de WikiLeaks ou encore celui, politique, des poursuites américaines.
Mais la juge Vanessa Baraitser avait refusé de se prononcer sur ces arguments. Elle avait toutefois rejeté la demande d’extradition avec cette explication, en rendant son verdict, que « la condition mentale de Julian Assange est telle qu’il serait abusif de l’extrader vers les États-Unis ».
En réponse, le gouvernement américain avait fait appel de cette décision et transmis à la justice britannique, au mois de février 2021, une « note diplomatique » censée apporter une série « d’assurances ». Ainsi, Julian Assange ne serait pas détenu dans l’ADX de Florence et ne ferait pas l’objet de « mesures administratives spéciales ». La justice américaine a également ouvert la porte à un possible transfert de Julian Assange vers l’Australie, son pays d’origine, afin qu’il puisse y purger la peine à laquelle il aurait été condamné. Enfin, les États-Unis s’engagent à ce que Julian Assange reçoive « un traitement clinique et psychologique approprié » à son état de santé.
Lors du procès en appel, au mois de décembre 2021, les avocats de Julian Assange avaient remis en cause la validité de ces « assurances », sur lesquelles la justice américaine s’est donné la possibilité de revenir en fonction du comportement du journaliste lors de sa détention. Son placement à l’isolement, « ce n’est pas quelque chose qui arrivera dans un futur distant et obscur, ça arrivera au moment où il atterrira », avait prédit lors d’une audience Edward Fitzgerald, l’un de ses avocats.
La Haute Cour de justice de Londres avait pourtant accepté les promesses américaines et annulé le jugement de première instance. « Il n’y a pas de raisons pour lesquelles cette cour ne devrait pas accepter les assurances pour ce qu’elles sont, affirmait le jugement. Il n’y a pas de base pour supposer que les États-Unis n’ont pas donné ces assurances de bonne foi. »
Au mois de janvier dernier, les défenseurs de Julian Assange avaient obtenu le droit de déposer un nouveau recours devant la Cour suprême. Mais, au mois de mars dernier, celle-ci avait refusé de l’examiner et, un mois plus tard, l’ordre d’extradition était transmis à Priti Patel, qui avait deux mois pour décider d’y apposer, ou non, sa signature.
La justice américaine souhaite juger Julian Assange pour son rôle en tant que rédacteur en chef de WikiLeaks dans la diffusion de plusieurs séries de documents classés secret défense, dont ceux fournis en 2010 par Chelsea Manning et détaillant les exactions de l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Visé par 18 charges, dont des violations de l’Espionage Act, il risque 175 années de prison.
Jérôme Hourdeaux