Le nombre de morts pourrait atteindre 200 000 selon les aveux du gouverneur Bilgin. Il a même déclaré que plusieurs villes touchées par le séisme du 6 février allaient être rayées de la carte et que de nouvelles villes allaient être construites à leur place.
« Nous n’avons reçu aucune aide »
La Turquie se situe au point de rencontre de trois plaques tectoniques différentes, la plaque arabe, la plaque africaine et la plaque anatolienne, donc les secousses y sont fréquentes. Le tremblement d’Izmit, en 1999 avait fait des dizaines de milliers de morts et blessés, et il avait servi de tremplin à Racep Tayip Erdogan dans sa conquête du pouvoir. Il avait à l’époque dénoncé la corruption et le manque de prévoyance du DSP de Bülent Ecevit alors Premier ministre.
Dès son arrivée au pouvoir en 2002, avec son parti l’AKP, Erdogan avait instauré un impôt pour la prévention des risques sismiques qui a rapporté des milliards de livres turques à l’État. « Nous continuons à recevoir les feuilles d’impôt sismique dans nos boîtes aux lettres et, une semaine après le tremblement de terre, nous n’avons reçu aucune aide, les gens dorment dehors tous les bâtiments sont fissurés, ils s’écrouleront à la prochaine secousse » témoigne une amie et militante du HDP de Diyarbakir. « Nous nous organisons nous-mêmes pour fournir aux sinistrés la nourriture et les produits d’hygiène, le lait pour les bébés, nous ne recevons rien ! » La solidarité est aussi très grande du côté des commerçants et restaurateurs qui laissent leurs établissements ouverts toute la nuit pour que les gens puissent se réchauffer (il fait un froid glacial dans la région), se restaurer et utiliser les toilettes.
Mais Diyarbakir, éloignée de l’épicentre, n’a pas été la ville la plus touchée. Certaines villes kurdes comme Adyaman et Marash sont pratiquement rayées de la carte et les secours officiels ont mis des jours et des jours à arriver, aggravant dramatiquement le nombre de victimes.
Des critiques de plus en plus sévères
Pourtant l’élan de solidarité de la société civile a été fantastique, le HDP a organisé des centaines de convois de secours et de volontaires, bloqués par l’armée en raison de l’état d’urgence décrété dans les zones kurdes sinistrées. L’aide a été en grande partie confisquée par l’armée, et distribuée au nom du gouvernement, les volontaires écartés.
Une autre zone très touchée, celle d’Hatay, au sud ouest de la Turquie a été tout aussi délaissée par l’État. La ville d’Antakia (Antioche), détruite à plus de 80 %, a attendu en vain plusieurs jours. Il faut dire que cette province syrienne donnée à la Turquie par la France en 1939 est majoritairement peuplée de Kurdes et surtout d’Alévis, une branche du chiisme particulièrement démocrate, très peu appréciée par l’AKP sunnite.
Fort de ses succès comme médiateur dans la guerre en Ukraine, en particulier dans le déblocage des exportations de céréales ukrainiennes, fort du soutien des États-Unis, Erdogan comptait sur les élections prévues en mai pour repartir sur un nouveau mandat, malgré la situation économique catastrophique, une inflation à trois chiffres et la chute abyssale de la livre turque.
Mais passé l’état de choc, les critiques se font plus sévères : où sont passés les milliards en impôts destinés à consolider les immeubles d’habitation ? Comment se fait-il que des centaines d’immeubles très récents se soient effondrés sur la tête de leurs habitantEs alors que les normes de construction anti-sismique étaient obligatoires ? La corruption et les passe-droits seraient ils donc les mêmes que ceux dénoncés par Erdogan en 1999 ?
Le CHP (parti social-démocrate nationaliste turc), qui a pu remporter les grandes villes comme Ankara, Istanbul et Izmir grâce en grande partie au HDP qui n’a pas présenté de candidatEs donne de la voix en espérant mettre l’alliance AKP-MHP en difficulté.
Pendant ce temps, l’armée turque, apparemment non concernée par le désastre, continue à bombarder le Rojava, Kobané et même le quartier kurde d’Alep, Cheikh Masoud.
Mireille Court