À New York, le 3 mai, je me suis joint à une manifestation de 3 000 femmes devant une cour de justice où la foule a scandé : « Nous ne reviendrons pas en arrière ». Au cours de la semaine suivante, des milliers de femmes et d’hommes ont manifesté dans des dizaines de villes du pays, tandis que les étudiantEs des universités, des lycées et des collèges ont quitté les cours et se sont rassemblés pour protester. Partout, les oratrices ont affirmé que la décision constituait une violation des droits des femmes, qu’elle affecterait plus que d’autres les femmes noires et latinos, les travailleuses faiblement rémunérées et les femmes pauvres, et qu’elle ouvrait la porte à d’autres atteintes aux libertés individuelles.
Majorité conservatrice à la Cour suprême
Le projet de décision, rédigé en février, mais qui ne devrait pas être finalisé avant juin, est basé sur un vote présumé de 5 contre 4 qui annulerait l’arrêt Roe v. Wade, la décision de la Cour suprême de 1973 qui a garanti constitutionnellement au plan fédéral le droit des femmes à l’avortement. La décision signifierait que les lois de chaque État détermineraient désormais si une femme peut ou non pratiquer un avortement. 19 États ont déjà interdit l’avortement — anticipant la décision de la Cour suprême — et trois autres ont adopté des lois anti-avortement qui entreront en vigueur à l’annonce de la décision. Au total, 26 des 50 États, principalement dans le Sud et le Midwest, interdiront l’avortement. Seize États et le District de Columbia ont par contre adopté des lois qui protègent le droit des femmes à l’avortement.
Les sondages montrent qu’aujourd’hui, entre la moitié et les deux tiers des ÉtatsunienEs sont favorables au droit à l’avortement au cours du premier trimestre de la grossesse. Mais les Républicains, et en particulier les chrétiens évangéliques, ont passé des décennies à s’organiser stratégiquement, en se concentrant sur la prise de contrôle des gouvernements des États et l’adoption de lois anti-avortement, fournissant des cas à porter devant la Cour suprême. Les conservateurs ont soutenu Donald Trump comme candidat à la présidence parce qu’il avait promis de nommer des juges anti-avortement, et quand il a été élu, il l’a fait et désigné trois juges qui assurent une majorité conservatrice à la Cour suprême. Lorsque le Mississippi a adopté une loi de restriction de l’avortement, cela a donné à la Cour l’occasion de reconsidérer la constitutionnalité du droit des femmes à l’avortement. Et de porter un coup mortel à l’arrêt Roe.
Un million d’avortements chaque année
Que signifie cette décision pour les femmes ? Environ 25 % des femmes aux USA ont eu recours à l’avortement. Les femmes y recourent pour de nombreuses raisons : parce qu’elles n’ont pas les moyens de subvenir aux besoins d’un enfant, parce que la grossesse survient à un mauvais moment dans leur vie familiale ou professionnelle, en raison d’un problème de santé de la mère ou du fœtus, parce que la grossesse est le résultat d’un viol ou d’un inceste, et bien d’autres encore. Au cours de la dernière décennie, environ un million de femmes ont eu recours à l’avortement chaque année, bien que ce chiffre soit en baisse, en partie à cause des restrictions imposées par les États, mais surtout, croit-on, en raison de l’amélioration de la contraception et de la disponibilité des médicaments abortifs. Désormais, avec la moitié des États interdisant l’avortement, les femmes n’y auront pas accès, et devront donc se rendre dans des États où l’avortement est légal ou prendre des médicaments pour mettre fin à leur grossesse. Et les États où l’avortement est interdit envisagent maintenant de légiférer pour rendre les médicaments abortifs illégaux. Le voyage vers un autre État est coûteux et prend du temps, et les femmes ayant de faibles revenus et moins de ressources trouveront cela difficile, bien que certaines organisations s’efforcent de fournir un soutien pour ces voyages et services.
L’interdiction de l’avortement est une victoire pour le trumpisme et va solidifier la base de la droite. Le président Biden a été contraint de défendre le droit à l’avortement, ce qu’il avait évité jusqu’alors. La décision la la Cour pourrait redonner de l’énergie à la gauche. L’attaque républicaine contre l’avortement pourrait inciter les jeunes femmes à créer un nouveau mouvement de femmes et à s’impliquer en politique, en votant contre les candidatEs républicains afin de protéger leurs droits. Le premier test de cette hypothèse aura lieu en novembre avec les élections de mi-mandat au Sénat et à la Chambre des représentants.
Dan La Botz