Alors que le virus du Covid-19 (coronavirus SARS-CoV-2) continue de circuler et de faire des victimes dans le monde, son origine demeure inconnue. Chaque communauté scientifique avance son hypothèse. Certaines suggèrent la possibilité d’un échappement du virus d’un laboratoire.
Une autre hypothèse, qui s’appuie sur des études récentes en lien avec le marché chinois de Wuhan et d’autres réalisées au Cambodge, Laos, Japon, Chine et Thaïlande, est celle d’une évolution à partir d’un virus ancestral présent chez les chauves-souris, de la famille des Rhinolophes notamment, chez des animaux domestiques ou sauvages, puis du passage du virus de ces animaux à l’homme. En effet, au cours de ces différentes études, plusieurs virus ayant des séquences génétiques très proches du SARS-CoV-2 ont été isolés chez ces chauves-souris.
Un chaînon manquant
S’il est maintenant avéré que certaines espèces de chauves-souris hébergent naturellement ces coronavirus, l’identité du ou des animaux domestiques ou sauvages qui auraient servi de relais entre ces dernières et l’homme – chaînons manquants – reste un mystère. Le Pangolin, initialement suspecté, apparaît maintenant plus comme une « victime collatérale » que comme un de ces fameux chaînons manquants. En effet, une séquence du génome de coronavirus qui a été détecté chez des Pangolins était bien apparentée à celle du SARS-CoV-2, mais le reste du génome en était génétiquement trop éloigné.
D’autre part, les pangolins sur lesquels des virus génétiquement proches du SARS-CoV-2 ont été isolés avaient la plupart du temps été confisqués sur des marchés d’animaux vivants, en bout de chaîne commerciale, et avaient donc été en contact prolongé avec d’autres espèces animales. Il est fort probable qu’ils aient été contaminés le long de cette filière et non dans leur milieu naturel. Les élevages de visons ont également été suspectés en Chine.
Enfin, les Pangolins et les Rhinolophes ne partagent pas les mêmes habitats, ce qui rend très improbable un éventuel contact entre les deux espèces, au cours duquel le virus serait passé d’une chauve-souris à un pangolin. Civettes et/ou chiens viverrins pourraient quant à eux constituer un réservoir intermédiaire pour le SARS-CoV-1). Les rongeurs ou primates peuvent également être porteurs de pathogènes à potentiel zoonotique, tels que les Hantavirus qui peuvent notamment entraîner une fièvre hémorragique avec syndrome rénal grave ou les Filovirus, dont le virus de la maladie Ebola. Ce dernier est transmis à l’homme par les animaux sauvages, notamment la roussette, le porc-épic et les primates tels que les chimpanzés ou les gorilles, et se propage ensuite dans la population humaine essentiellement par contact direct avec le sang, les sécrétions et autres fluides corporels des personnes infectées. Le taux de létalité moyen des cas est d’environ 50 %.
En 2013, de premiers cas de maladie à virus Ebola (MVE) étaient détectés en Afrique de l’Ouest. Cette émergence engendrera plus de 10 000 décès principalement en Guinée, au Libéria et en Sierra Leone.
La consommation de viande de brousse : une pratique à risque
Les risques de transmission des animaux à l’homme, phénomène dit de spillover, que ce soit pendant la chasse, la manipulation des animaux ou la consommation de la viande sauvage sont donc réels et potentiellement dévastateurs.
C’est à la caractérisation et la quantification de ce risque, au Cambodge, que le projet ZooCov, a exploré au travers d’une approche « Une seule Santé », pendant presque 2 ans et depuis le début de la pandémie, si oui, et comment, des pathogènes tels que les coronavirus pouvaient être transmis des animaux sauvages, chassés et consommés, à l’homme.
En effet, en Asie du Sud Est, le commerce d’animaux sauvages et la consommation de viande de brousse sont une pratique courante. Souvent opportuniste, cette consommation vient dans certaines communautés compléter un régime pauvre en protéines. Elle peut également être régulière et ciblée. Au Cambodge, sur 107 familles interviewées pendant ZooCov, 77 % déclaraient avoir consommé de la viande de brousse le mois précédent.
L’utilisation à des fins médicinales est également très répandue. Au Vietnam, l’analyse des rapports de confiscations de Pangolins et produits dérivés réalisée entre 2016 et 2020 par les autorités vietnamiennes font état de 1 342 Pangolins vivants (6 330 kg), 759 pangolins morts ou de carcasses (3 305 kg), et de 43 902 kg d’écailles.
Mais, cette consommation revêt également un aspect culturel et social encore mal appréhendé. Pour des classes aisées, et souvent dans les grandes villes, cette consommation peut être motivée par un besoin de reconnaissance sociale, des croyances selon lesquelles le consommateur de cette viande s’approprie les vertus physiques ou physiologiques de l’animal consommé, ou bien par une volonté de s’inscrire en faux face à la consommation d’une viande industrielle néfaste pour la santé. L’élevage de faune pour répondre à cette demande, et/ou à la production de fourrure est également répandu.
Au Cambodge, dans les provinces de Stung Treng et du Mondolkiri où des aires protégées forestières subsistent, plus de 900 personnes qui vivent en périphérie de ces forêts ont été interviewées pour tenter d’analyser les structures et fonctionnements des filières commerciales, illégales, de viande de brousse. Des analyses statistiques sont en cours pour identifier les personnes les plus à risque d’être en contact avec de tels pathogènes. On sait d’ores et déjà que les personnes exposées sont principalement des hommes jeunes, et de la classe moyenne. Certaines communautés sont également plus exposées que d’autres. Des enquêtes sociologiques ont également permis de mieux comprendre le contexte actuel – l’encadrement juridique, les profils des acteurs de ce commerce, leurs freins et leurs motivations, liés au commerce d’animaux sauvages et leur consommation, et l’évolution de ce contexte au fil des différentes crises sanitaires (Grippe aviaire, Ebola, SARS-CoV-1…).
Quelles populations peuvent-elles être en danger ?
Ces crises successives semblent avoir peu d’impact sur les pratiques de ces communautés. Au-delà d’une consommation régulière, un quart des familles interviewées rapportaient encore une activité de chasse ou de piégeage, et 11 % déclaraient vendre de la viande de brousse et/ou des animaux sauvages. Par ailleurs, et dans les mêmes sites d’étude, plus de 2000 prélèvements d’animaux sauvages faisant l’objet de trafic, ou d’une consommation de subsistance – chauve-souris, rongeurs, tortues, singes, oiseaux, cochons sauvages, etc. ont été analysés. Certains des échantillons ont été testés positifs pour des coronavirus notamment, et sont en cours d’analyses à l’Institut Pasteur du Cambodge (IPC) pour séquencer le génome et en apprendre plus sur son origine, son évolution et son potentiel zoonotique. Enfin, des prises de sang ont été réalisées sur plus de 900 personnes enquêtées dans la même zone pour savoir si ces dernières avaient été en contact avec un/des coronavirus. Les analyses sont encore en cours, mais on sait d’ores et déjà que ces personnes n’avaient pas, au moment de l’enquête, été exposées au SARS-CoV-2.
La crise Covid l’a clairement démontré : il est essentiel de détecter précocement ces émergences pour mettre en place le plus rapidement possible des mesures qui empêchent la propagation des pathogènes. Et si beaucoup de questions subsistent quant aux mécanismes d’émergence, il en va logiquement de même pour les systèmes de surveillance à mettre en place pour les surveiller. Les résultats du projet ZooCov seront utilisés pour développer un système de détection précoce des évènements de spill-over des virus zoonotiques, notamment en renforçant le système de surveillance de la santé de la faune sauvage déjà existant au Cambodge et mis en place par le Wildlife Conservation Society WCS. D’autres importants projets de recherche et de développement contribueront à la compréhension de ces phénomènes d’émergences, à leur prévention et à leur détection précoce.
Les auteurs remercient les ministères de la Santé, de l’Agriculture et de l’Élevage, et de l’Environnement du Cambodge, ainsi que tous les partenaires du projet : Institut Pasteur du Cambodge (IPC), Wildlife Conservation Society (WCS) Flora and Fauna International (FFI), Institut de Recherche pour le Développement (IRD), Hongkong University (HKU), Réseau GREASE, International Development Enterprise (iDE), World Wildlife Fund (WWF), Elephant Livelihood Initiative Environment (E.L.I.E), BirdLife International, Jahoo, World Hope International.< !—> http://theconversation.com/republishing-guidelines —>
Véronique Chevalier, Veterinarian epidemiologist, Cirad ; François Roger, Directeur régional Asie du Sud-Est, vétérinaire et épidémiologiste, Cirad et Julia Guillebaud, Ingénieure de recherche , Institut Pasteur