Au terme d’un quinquennat marqué par de vifs débats sur le maintien de l’ordre, en particulier pendant le mouvement des « gilets jaunes », le contrôle défaillant des abus policiers et le racisme qui s’exprime parfois au sein de l’institution, ces enjeux sont totalement absents de la campagne électorale. Comme une prolongation du déni qui a régné pendant cinq ans, la candidate et le candidat du second tour n’ont jamais abordé la question de la déontologie des forces de l’ordre, préférant se disputer leurs faveurs.
Lors du débat qui l’a opposée à Emmanuel Macron mercredi, Marine Le Pen a ainsi accusé le président sortant d’ingratitude. « Les policiers ont beaucoup souffert du mépris de votre gouvernement, de leur mise en cause permanente, des doutes que vous avez exprimés à leur égard. Il faut les aimer, leur faire confiance, rappeler à l’ensemble des Français que c’est grâce à eux qu’on peut vivre en sécurité. »
« Penser à nos policiers, c’est y penser chaque jour, a répondu Emmanuel Macron, reprochant à son adversaire de les avoir récemment mis en cause. Ce n’est pas les abandonner dès qu’il y a un coup de grisou, madame Le Pen, comme vous l’avez fait il y a quelques jours en parlant des “policiers de monsieur Darmanin” quand il y avait un problème dans l’un de vos événements. » Le 13 avril, une militante écologiste avait été brusquement évacuée d’une conférence de presse de Marine Le Pen par son service d’ordre. Mais la candidate avait préféré attribuer ce geste aux policiers chargés de sa protection.
La semaine dernière, Gérald Darmanin et Jordan Bardella se sont livrés au même exercice sur BFMTV. Le ministre de l’intérieur réclamait alors des excuses de la candidate, au nom de « l’honneur des policiers de la République ». « Vous avez passé cinq ans à jeter le discrédit sur les forces de l’ordre, quel culot ! », rétorquait Jordan Bardella.
Le président par intérim du Rassemblement national (RN) reprochait au président de la République d’avoir « parlé de violences policières » dans un entretien à Brut – où il affirmait pourtant sa volonté de « déconstruire » une expression jugée trop « politisée » – et à l’ancien ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, d’avoir « déposé un genou à terre devant les Traoré » (là aussi, Jordan Bardella déforme ses propos). Au cours d’un échange tendu, Jordan Bardella et Gérald Darmanin se sont mutuellement accusés de défiance envers la police, qui ne recevrait pas suffisamment de « preuves d’amour » et de « soutien ».
De fait, il est plus confortable pour les candidats de courtiser les syndicats de police et leurs adhérent·es que d’aborder de front les insuffisances du dernier quinquennat. Sous la présidence d’Emmanuel Macron, l’exécutif a multiplié les gestes à destination des forces de l’ordre, renoncé à réformer l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), brillé par son inaction dans la lutte contre les contrôles d’identité discriminatoires et refusé d’admettre la simple existence de violences policières.
Sur tous ces sujets, le gouvernement s’est borné à afficher une intransigeance de façade, tout en minimisant les fautes, affaire après affaire. Les rares promesses concédées par Emmanuel Macron en fin de mandat – créer une délégation parlementaire chargée de contrôler l’action des forces de l’ordre et de rendre publics les rapports administratifs de l’IGPN – ont été aussitôt enterrées.
Le Rassemblement national, attaché à son image de défenseur de l’ordre et de ses représentant·es en toute circonstance, n’a aucun intérêt à s’attaquer au bilan du quinquennant, sous peine de se voir rappeler certaines de ses positions : le parti d’extrême droite, qui affiche un programme ouvertement discriminatoire à l’encontre des étrangers et binationaux, s’est notamment opposé à l’amnistie des gilets jaunes condamnés et déclaré favorable à l’interdiction de filmer les policiers.
Loin de reprocher au gouvernement sortant d’avoir restreint les libertés publiques, le RN préfère mettre en scène l’une de ses propositions phares, la « présomption de légitime défense », vieille marotte de l’extrême droite censée restreindre les risques de poursuites contre les policiers. Même si elle va à l’encontre de toute logique juridique et de la Convention européenne des droits de l’homme. Sur ce point, les partisans d’Emmanuel Macron ont un boulevard pour s’opposer à Marine Le Pen. Ils y ont pourtant renoncé.
Dans ce contexte de surenchère, les victimes de violences policières et leurs familles se retrouvent prises en tenaille, entre deux camps qui refusent de les soutenir. À la veille du second tour, nous avons voulu leur donner la parole.
Michel Zecler, 41 ans, a été tabassé par trois policiers dans son studio d’enregistrement situé dans le XVIIe arrondissement de Paris, le 21 novembre 2020. Quatre policiers, dont certains sont accusés de l’avoir traité de « nègre », sont aujourd’hui mis en examen.
Il ne faut pas donner ce pays à l’extrême droite.
« J’étais loin des sujets politiques avant que tout ça ne m’arrive. Que ce soit Macron, Le Pen ou Hollande, je mettais tout ça dans la même tambouille. Aujourd’hui, si je reste méfiant vis-à-vis des politiques, mon regard a changé malgré moi. Je me suis aperçu qu’au sein même de la police, deux visions s’affrontent et c’est malheureusement la plus extrémiste qui a le dessus.
J’ai un gros lot d’amertume, des séquelles qui ne m’abandonneront jamais et beaucoup de regrets quand j’ai vu comment le gouvernement a géré la question des violences policières. Le Beauvau de la sécurité, par exemple, a largement été en dessous des enjeux et a accouché d’une souris.
Je pense malgré tout que si Le Pen passe, elle aura les coudées franches pour bouleverser des équilibres déjà très précaires, notamment face à la justice. C’est pourquoi je ferai barrage au Rassemblement national.
L’abstention n’est pas une solution et quand je croise des jeunes, je leur dis qu’il faut aller voter. Ne pas voter, c’est donner une voix à Marine Le Pen. Je comprends la colère des gens contre le gouvernement actuel, mais il y a des moments où il ne faut pas prendre de risque. Il ne faut pas donner ce pays à l’extrême droite.
Si Marine Le Pen avait été au pouvoir, les choses auraient été très compliquées pour moi. Les policiers auraient eu une présomption de légitime défense et personne ne m’aurait cru. Et je ne veux pas d’une société qui ressemble à celle des États-Unis où un Noir est forcément suspect. Le tableau est déjà sombre, alors imaginer qu’elle gère notre pays…
Madame Le Pen veut nous rapprocher d’un État policier, elle ne le cache même pas quand on lit son programme. Il y aurait une violence d’État avec une présidente qui n’a pas de véritables solutions pour la France. Or, j’ai vécu quelque chose qui peut clairement se démultiplier en cas de victoire de l’extrême droite. J’en suis convaincu.
Le RN n’a pas changé, mais ses représentants sont simplement plus malin pour faire oublier deux choses : comment ce parti, le Front national, a été fondé. Et comment fonctionnent les sociétés dirigées par des partis d’extrême droite.
Avec Macron une nouvelle fois au pouvoir, ce sera à nous, société civile, de faire pression pour que les choses changent et qu’on cesse de fermer les yeux sur toutes ces dérives. Moi je poursuivrai mon combat, j’irai convaincre les jeunes, et je serai aux côtés des victimes de violences policières.
Je repense à la mort de Jean-Paul, ce père de famille tué par des policiers à Sevran. Dans son histoire, j’ai vu un bout de la mienne. Un homme accusé à tort d’avoir voulu s’en prendre à des policiers et à qui on a retiré le droit d’être une victime en insistant sur son casier judiciaire. Aujourd’hui, mon rôle, c’est aussi de parler pour eux, de ne pas rester silencieux. Je n’ai plus le droit de me taire. »
Doria Chouviat a perdu son mari, Cédric, le 3 janvier 2020, à Paris. Ce livreur de 42 ans est décédé par asphyxie, violemment interpellé par quatre policiers, après un contrôle routier. Dans cette affaire, trois policiers sont mis en examen pour « homicide involontaire », et une policière placée sous le statut de témoin assisté.
Il faut mettre son ego de côté et penser à l’intérêt général.
« Je n’ai pas d’autre choix que de voter Macron. Il faut mettre son ego de côté et penser à l’intérêt général. Si Marine Le Pen passe, le fascisme sera au pouvoir. »
Doria, 43 ans, ne décolère pas contre le président sortant, qui a contribué à banaliser l’extrême droite et « n’a pas pensé un seul instant à l’intérêt public ». « Il lui tourne le dos. Il suffit de regarder comment il a traité les gilets jaunes, les jeunes, les retraités. Pour imposer ses mesures, contre la population, il a utilisé la police et la répression. Dans cette logique, Emmanuel Macron a toujours été dans le déni des violences policières et a renforcé l’impunité des forces de l’ordre. Jamais il ne s’est excusé auprès des familles des victimes. »
« Ce gouvernement ne s’est jamais inquiété de l’état psychologique de mes enfants ni même de la situation dans laquelle je suis aujourd’hui », déplore Doria, en arrêt depuis un an.
« Est-ce que vous croyez que j’attends encore quelque chose d’Emmanuel Macron ? Rien, évidemment. Mon espoir se porte sur la justice. C’est sur elle que je compte pour que toute la vérité soit faite sur le meurtre de Cédric et que les policiers qui l’ont tué et leur hiérarchie soient jugés. Les quatre agents n’ont jamais été suspendus, alors même que l’enquête les met en cause. »
Doria se rappelle les propos du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, qui déclarait, le 28 juillet 2021, devant la commission des lois de l’Assemblée nationale : « Quand j’entends le mot de violences policières, moi, personnellement, je m’étouffe. »
« “J’étouffe” : les mots que Cédric a prononcés à plusieurs reprises avant de mourir. On parle d’un père de famille qui a été tué lâchement, injustement, au cours d’un simple contrôle routier. Comment un ministre peut-il ainsi nous insulter, insulter des enfants qui ont perdu leur père ? J’ai été choquée, bien sûr. Et j’ai ressenti une profonde tristesse, en me disant : “Pauvre France. Comment allons-nous sortir de tout ça ?” »
Pour autant, « si Marine Le Pen accède au pouvoir avec une police acquise à ses idées, ce serait catastrophique. Elle propose la présomption de légitime défense pour les forces de l’ordre. Il est déjà difficile de faire reconnaître la culpabilité des policiers. Avec Marine Le Pen, ils auront un droit de tuer. »
« [Cette France] où le racisme et l’islamophobie ne cessent de s’accroître, j’envisage, avec mes enfants, de la quitter si Marine Le Pen est élue. Il faut tirer des leçons du passé. Il y a toujours une minorité qui va trinquer. Le gouvernement laisse s’installer le malaise social et la précarité. Dans un tel contexte, les boucs émissaires sont les étrangers et les musulmans. »
« La situation est déjà difficile. Il y a quatre ans déjà, j’ai fait le choix de ne plus porter le voile. Ça générait trop de problèmes. Pour les sorties scolaires, certains parents étaient agacés par ma présence. Dès qu’il y avait un attentat en France ou dans le monde, on venait me voir comme si c’étaient mes cousins qui l’avaient commis. En portant le voile, je devais constamment me justifier. Ce n’était plus possible pour moi. »
« Le racisme n’est pas nouveau. J’ai grandi en voyant mes frères se faire harceler par la police. Mon mari et moi avons toujours mis en garde nos enfants pour qu’ils ne répondent pas à la provocation de certains policiers lors des contrôles au faciès. Je n’ose même pas imaginer la situation avec Le Pen présidente. Les fachos, qui sont déjà décomplexés, seraient lâchés. L’effet de groupe est inquiétant et peut avoir des conséquences dramatiques. »
Figure du mouvement des gilets jaunes, Jérôme Rodrigues a perdu l’usage de son œil droit à cause d’une grenade, le 26 janvier 2018, à Paris. Un policier est mis en examen pour « violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ».
Je n’irai pas voter pour celui qui m’a crevé un œil.
« On pourrait penser qu’en tant que mutilé, j’aurais assez de haine pour voter Le Pen, mais ce n’est pas le cas. Je regrette cette campagne électorale qui n’a pas eu lieu. On n’a rien entendu de concret à part des discours pour nous parler d’immigrés, d’étrangers ou d’autres conneries de ce genre. Je n’ai pas non plus vu Macron se justifier sur tous ses actes et rendre des comptes.
Mais si le “tout sauf Macron” valait au premier tour, ce n’est plus le cas pour le second. En tout cas, ce n’est pas ma ligne. De par ce que je suis, de par ce que je pense, et de par mon éducation dans une famille de gauche, je suis contre le Rassemblement national. Cela fait partie de mon ADN politique. Je ne peux pas aller à une manif anti-islamophobie il y a deux ans, hurler dans un live que les racistes n’ont rien à faire sur ma page Facebook et voter Le Pen.
En revanche, je n’irai pas voter pour celui qui m’a crevé un œil, et alors que je sais que je n’aurai jamais de justice. Je vais me déplacer à l’isoloir pour déposer un vote blanc car j’aurais été voter et j’aurais donc le droit de l’ouvrir après. Mais je regrette que le vote blanc ne soit pas pris en compte, ne serait-ce que pour délégitimer un peu plus l’élection de Macron. D’ailleurs, la majorité des leaders gilets jaunes appellent à ne voter ni Macron ni Le Pen.
J’estime qu’on n’a pas de reproches à recevoir. Je me suis battu contre Macron mais aussi contre l’extrême droite. Il ne faut pas oublier le travail des médias qui n’ont cessé d’encenser Zemmour ou Le Pen. Pourquoi devrait-on blâmer ceux qui votent blanc ou nul ? Où étaient les gens censés lutter contre le RN ?
Beaucoup de gens vont voter Le Pen car ils en ont marre, ils détestent Macron et se disent : pourquoi ne pas essayer ? Je ne pense pas qu’ils soient tous fondamentalement racistes. Je ne suis pas là pour juger ni pour dire pour qui voter. Qu’on laisse les mutilés tranquilles.
En réalité, Macron ou Le Pen, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. C’est tout un système qu’il faut changer radicalement pour que le seul véritable souverain soit le peuple. Dans tous les cas, on devra prendre notre destin en main et, dans tous les cas, c’est mal barré. Il faut se préparer, ça va être compliqué, que ce soit l’un ou l’autre qui gagne. Je ne serai pas spectateur mais je dis juste à tous : ne laissez pas parler la haine, elle est mauvaise conseillère. »
Antoine Boudinet est un gilet jaune bordelais de 28 ans. Sa main droite a été arrachée par une grenade GLI-F4 le 8 décembre 2018. Membre du collectif Mutilé·e·s pour l’exemple, il a siégé au conseil municipal de Bordeaux de juin 2020 à décembre 2021, élu sur la liste anticapitaliste menée par Philippe Poutou. Son témoignage intégral est à retrouver dans l’émission « À l’air libre » du 18 avril 2022.
Si quelqu’un vote pour Marine Le Pen, il n’a plus le droit de m’appeler “camarade”.
« Le milieu “gilet jaune” n’est pas le seul à avoir subi la répression, mais la répression y a été très sanglante. Dans la chaîne de commandement, tous sont responsables. Au-dessus du préfet, il y avait un ministre. Et au-dessus du ministre, il y avait un président, Emmanuel Macron.
La colère est tellement présente dans ma chair que je n’arriverai pas à appeler à voter pour Emmanuel Macron. Personnellement, je m’abstiendrai. Mais j’ai beaucoup plus peur de Marine Le Pen que de Macron. Si quelqu’un vote pour Marine Le Pen, il n’a plus le droit de m’appeler “camarade”.
Les policiers qui nous ont tiré dessus, ce sont des policiers qui votent majoritairement Front national. Pour le moment, et malgré toutes les blessures, la police n’a pas encore une complète liberté. Sous Marine Le Pen, ce serait un festival de violences policières, de meurtres. Avec une fasciste au pouvoir, c’est évident.
Dans le panel juridique et répressif, il y a tout ce qu’il faut pour faire taire toute contestation. Et croyez-moi, la répression, ça marche, ça fait peur. Une fois que des gens se sont fait arracher des mains et crever des yeux, il est beaucoup plus compliqué d’aller en manifestation en sachant qu’on risque sa vie.
Notre image de mutilés nous a toujours un peu échappé. Aujourd’hui, la détestation de Macron est telle que des gens utilisent notre image, notre histoire, nos blessures pour appeler à voter Marine Le Pen. Pour moi, comme pour tous mes camarades du collectif je pense, il est hors de question que nos visages soient associés à Marine Le Pen et à l’extrême droite.
Le collectif Mutilé·e·s pour l’exemple fait partie du réseau Vérité et justice, qui rassemble différents collectifs de lutte contre les violences policières : Justice pour Babacar, Justice pour Ibrahim Ba, Justice pour Adama, etc. Ces familles, qui ont eu leurs proches tués par la police, sont les premières qui vont se faire massacrer sous un régime autoritaire comme celui de Marine Le Pen. Nous ne pourrons jamais, ne serait-ce que par solidarité avec nos camarades, appeler à voter pour elle. On a toujours scandé “même police, même combat”, que ce soit dans les quartiers ou dans les manifestations. »
Assa Traoré a perdu son frère Adama, le 19 juillet 2016. Le jeune homme de 24 ans est décédé à la suite de son interpellation par trois gendarmes de Persan (Val-d’Oise), aujourd’hui placés sous le statut de témoins assistés. Depuis, Assa est devenue une figure du mouvement contre les violences policières et a organisé d’importants rassemblements.
Je n’ai pas à dire aux gens pour qui voter, cette injonction est déjà la fin de la démocratie.
« Je n’ai rien à dire sur ces élections. Cela fait 20 ans qu’on demande au peuple français de faire barrage à l’extrême droite. Ce dilemme nous oppresse. Le peuple est systématiquement privé d’un véritable choix. En France, pays censé être une démocratie, les élections se jouent seulement sur des injonctions.
Comment se fait-il qu’on répète à chaque fois la même histoire ? Comment a-t-on pu laisser l’extrême droite prospérer et la haine grandir ? On ferme les yeux face au racisme et j’en suis d’ailleurs la première victime. Beaucoup, qui se sont tus hier, demandent aujourd’hui comment on en est arrivés là. C’est un peu tard. Je n’ai donc pas à dire aux gens pour qui voter, cette injonction est déjà la fin de la démocratie. Je ne suis pas un argument prétexte de dernière minute et tout le Comité Adama est sur cette ligne. On refuse ce piège tendu à chaque élection.
Bien sûr, jamais de mon existence je ne voterai pour Marine Le Pen, car c’est l’extrême droite et qu’elle donne un pouvoir énorme aux policiers.
On a fait tout ce qu’il fallait pour lutter contre le fascisme. On a fait des meetings, on s’est mobilisés dans la rue. On sait aussi qu’après cette échéance, tout le monde reprendra sa vie, et on repartira avec le même niveau de haine et de racisme.
Est-ce que ce sera pire avec Marine Le Pen ? Je voudrais qu’on pose la question à toutes les personnes qui ont perdu un être cher pendant l’ère Macron.
Posez la question à la famille Chouviat, ou à celle de Sabri, ou de Jean-Paul à Sevran. Pour ma part, j’estime qu’il y a eu énormément de morts sous l’ère Macron, un quinquennat où les policiers ont eu de plus en plus de droits. Nous, on s’est battus pour lutter contre les discriminations, les inégalités et les violences policières. Oui, il y a toujours pire, mais nous, on a déjà vécu le pire. Je pense aussi aux dissolutions d’associations, aux attaques contre l’islam, contre les femmes voilées ou les gilets jaunes. Les gens ont-ils pris en compte la gravité de ce qui s’est construit pendant cinq ans ?
On est au bout d’un système. En réalité, le président n’est plus rien aux yeux du peuple. Quand on se sent forcé et obligé à voter, la personne élue perd sa légitimité. Il faut tout changer. Les élections perdent leur sens, les gens sont lassés de ne pas être respectés, et d’être méprisés. J’attends seulement le mois de juin pour nous rassembler et voter pour des représentants du peuple. »
Amal Bentounsi a perdu son frère le 21 avril 2012. Ce jeune père de 29 ans a été tué d’une balle dans le dos par un policier, lors d’une course-poursuite à pied. Depuis, Amal Bentounsi se bat contre les violences policières avec le collectif Urgence notre police assassine et poursuit des études de droit. Le policier qui a tué son frère a été définitivement condamné en 2017 à cinq ans de prison avec sursis.
En tant que racisés, on n’a pas le privilège de voter blanc.
« Au sein de notre mouvement Urgence police assassine, on estime qu’il faut faire barrage au RN quoi qu’il arrive et on a publié un communiqué dans ce sens. Notamment parce que nous estimons que la présomption de légitime défense voulue par Marine Le Pen ne fera qu’aggraver les choses.
On a été critiqués par certains gilets jaunes, qui ont subi une violente répression en tant que manifestants. Nous, on se place depuis les banlieues et on pense que l’extrême droite au pouvoir créerait une situation bien plus dangereuse qu’elle ne l’est déjà. Selon moi, on pourra véritablement avoir des ratonnades. Les policiers auront un permis de tuer dans les quartiers. Aujourd’hui, sous Macron, même si c’est toujours compliqué, on a la possibilité que des policiers soient poursuivis, qu’il y ait des enquêtes, et ce n’est pas encore aux victimes de prouver l’absence de légitime défense.
Je pense aussi à toute l’islamophobie de Marine Le Pen et aux lois visant les musulmans. Même si je n’oublie pas que le gouvernement Macron est celui qui a fait le plus de tort aux musulmans, il faut absolument faire barrage car c’est une question de vie ou de mort. À contrecœur, le cœur lourd, en n’oubliant pas la répression policière de ce gouvernement, la loi Séparatisme, on appelle à voter contre l’extrême droite. Voter blanc ou s’abstenir, c’est prendre le risque que Marine Le Pen passe. On devra ensuite se mobiliser aux élections législatives pour que l’Union populaire ait le maximum de sièges à l’Assemblée et fasse contrepoids.
Je pense au massacre du 17 octobre 1961. C’est l’histoire qui peut se reproduire. On le voit avec des policiers qui, déjà aujourd’hui, ne cachent presque plus leur lien avec l’extrême droite. Il y a une forme d’impunité qui ne sera qu’accentuée avec la victoire de Marine Le Pen.
Le fascisme au pouvoir n’est pas une option. N’oublions pas que nos enfants sont basanés, portent un nom à consonance maghrébine, ou sont de confession musulmane. On leur fera encore moins de cadeaux si le Rassemblement national est au pouvoir. En tant que racisés, on n’a pas le privilège de voter blanc.
Je sais que notre choix ne fait pas l’unanimité mais on poursuivra ce travail de contestation que l’on porte depuis des années et on arrivera à faire en sorte que nos dirigeants politiques aient une prise de conscience sur ces sujets.
Je regrette que personne n’interroge le président sur ces questions. J’aurais voulu demander à Macron quels sont les engagements qu’il prend pour lutter contre les violences policières ou sur les musulmans. »
Pascale Pascariello, David Perrotin et Camille Polloni
22 avril 2022 à 20h03