Adaptation au système ou alternative ? Face à une droite dangereusement radicalisée, la gauche devra-t-elle en passer par une translation vers le centre pour lui disputer le terrain politique ? Quel avenir pour la gauche de gauche ? La présidentielle, faits et effets.
Cinq ans ferme : la gauche en conditionnelle
par Clémentine Autain et Roger Martelli
Le résultat de l’élection présidentielle est là, cinglant. Une droite dure, de contre-révolution libérale, a triomphé en amalgamant la droite classique et une partie du patrimoine d’extrême droite des vingt dernières années. Pour la droite, c’est une rupture aussi profonde que celle que porta le gaullisme en 1958. La gauche obtient son plus mauvais résultat depuis 1969 ; elle a évité le camouflet de l’absence au second tour, mais elle n’a pas conjuré la débâcle finale. Quant à la gauche de gauche, elle s’est mise elle-même hors du jeu électoral. Elle avait réussi à mobiliser la majorité de la gauche sur la critique du libéralisme économique en mai 2005 ; elle est électoralement laminée en avril 2007. Ses scores cumulés se situaient toujours entre 12 % et 20 % depuis une vingtaine d’années. Tout le monde attendait son grand rassemblement en 2007. Elle s’est à nouveau divisée ; elle est aujourd’hui au-dessous de la barre fatidique des 10 %. Seul Olivier Besancenot a tiré son épingle du jeu dans la bataille des petites candidatures.
Nouvelle synthèse à droite
La droite française a réussi ce que d’autres avaient commencé, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou en Italie. Elle a mis au centre de l’espace public un projet refondé, conjuguant un libéralisme « pur » tranquillement affirmé et les valeurs les plus conservatrices de l’ordre social. Pendant quelques années, Nicolas Sarkozy n’a pas dévié de la cohérence définie au départ. « Révolution conservatrice » ? « Libéral-populisme » (1) ? On trouvera au fur et à mesure les mots pour désigner l’ambitieuse construction. Il nous suffit de savoir que nous avons désormais l’équivalent français des « fondateurs » de la fin des années 1970 (Reagan, Thatcher) et l’émule des « héritiers » des années 1990-2000 (Bush, Berlusconi).
Mais si voilà la France projetée avec retard du côté des dangereuses évolutions extérieures, réfléchissons à ce qui a été tenté, ailleurs, pour combattre la nouvelle droite au pouvoir. Jusqu’à ce jour, la réponse à la droite radicalisée a été cherchée du côté d’une gauche « recentrée », à tous les sens du terme. La gauche anglaise, la première, a construit la leçon sociale-libérale. Le « nouveau travaillisme » de Tony Blair a combiné l’héritage libéral du thatchérisme, la revendication de l’égalité des chances et la recherche d’une mise au travail sous les auspices de l’ordre social, voire d’une certaine fierté britannique enracinée dans l’exaltation impériale. En Italie, où le PC italien avait rompu avec le communisme dès le début des années 1990, l’ère Berlusconi a promu la solution plus modérée encore de « l’Olivier » et des coalitions de centre-gauche. Dans les deux cas, les solutions recherchées ont été à la fois ponctuellement efficaces et sources d’épaisses contradictions qui menacent les forces de gauche confrontées aux épreuves du pouvoir (cf. encadré).
Recentrage électoral
La question, pour la France, est donc claire, dans l’énoncé du problème : face à une droite dangereusement radicalisée, la gauche française devra-t-elle en passer par une translation vers le centre ? Nous pensons qu’il n’est ni raisonnable ni nécessaire de se perdre dans les méandres d’une telle expérimentation. Or elle sera une tentation pour une part de la gauche. Nous avons écrit, dans ces mêmes colonnes, que le choix de Ségolène Royal était une manière, pour le PS, de réaliser ce recentrage (2) que nul, auparavant n’avait pu réussir : ni la SFIO de Gaston Defferre au temps de la « Grande Fédération » des socialistes et du centre ; ni le François Mitterrand de la « Lettre aux Français » en 1988. Entre les deux tours, la candidate socialiste a accéléré le mouvement, en appelant ouvertement au rapprochement avec la sensibilité incarnée par François Bayrou. Electoralement, la stratégie a échoué : le socialisme recentré n’a pas pu faire mordre la poussière à la droite de combat ; les « deux fers au feu » n’ont pas mobilisé suffisamment pour agréger le front du « tout sauf Sarkozy ». Mais l’échec ne signifie pas nécessairement la mort du projet. Ségolène Royal a porté au total l’image d’un « blairisme à la française » : le souci de l’efficacité managériale, l’égalité des chances, le sens de l’autorité et de la fierté du drapeau. Cette combinaison nouvelle continuera d’être prônée comme la seule capable de disputer le terrain politique à une droite redynamisée par le « Berlusconi français ». D’ailleurs, dès le soir du second tour, Ségolène Royal affichait sa détermination de continuer dans cette voie.
Si on refuse cette option, le chemin devra être celui de la lutte sur tous les terrains. Pas avec la rage du désespoir, à l’image des sublimes mais vaincus mineurs anglais du début des années 1980. Mais avec la détermination de ceux qui n’acceptent pas les valeurs réactionnaires sous-tendant le projet de Sarkozy. Et surtout avec la conviction que la lutte défensive devra demain s’appuyer sur une véritable alternative : un projet, au moins aussi fort et cohérent que celui de la droite ; une stratégie démocratique de transformation sociale et pas une méthode défensive d’adaptation à l’ordre existant ; une méthode de rassemblement capable de changer la donne à gauche et de devenir majoritaire, comme la gauche transformatrice sut le devenir dans les années 1970.
C’est toute la gauche qui est devant la question de son existence, de ses projets et de ses équilibres. Après un échec de cette ampleur, la répétition n’est pas de rigueur. Il faut du neuf. Mais dans quelle direction ? Nous avons besoin, sur ce point, de débattre sereinement mais clairement des problèmes et des perspectives. On entend déjà dire, de-ci de-là, que le moment est venu de constituer un grand parti de la gauche. Cette logique vise à clore le cycle d’Union de la gauche PCF-PS ouvert par le congrès d’Epinay, en vue d’une nouvelle alliance au centre. Ainsi serait mis un terme à la structuration installée par le Congrès de Tours, au lendemain de la Première Guerre mondiale. La solution semble rationnelle ; elle est pourtant de courte vue. A chaque fois que la gauche a couru après la droite, elle a été dévorée par elle. C’est vrai dans l’histoire française. C’est vrai à l’échelon européen.
Une gauche polarisée
On peut toujours débattre pour savoir si, en décembre 1920, la coupure qui séparait la famille socialiste d’alors était telle qu’elle méritait la scission. Mais nul ne saurait oublier que la gauche de 1920 n’était déjà pas une gauche rassemblée dans une organisation unique. Il y avait à l’époque une gauche modérée et dominante que le Parti radical incarnait, et une gauche plus critique et dominée qui rassemblait les socialistes.
Nous n’aimons pas le discours sur les « deux gauches », qui laisse entrevoir l’existence de deux blocs séparés par des frontières intangibles. « La » gauche est bien une réalité dans un système politique qui fonctionne depuis plus de deux siècles dans l’opposition de la droite et de la gauche. Mais si « la » gauche est bien une face à « la » droite, elle est en même temps polarisée : d’un côté la tendance à l’adaptation à un système capitaliste que l’on juge indépassable et que l’on cherche donc à aménager ; de l’autre côté la tendance à la contestation globale d’une logique économico-sociale que l’on cherche à dépasser. Il en est ainsi : la gauche est toujours une et solidement polarisée. Ce qui est le plus important est, à chaque moment, de savoir qui donne le ton : la logique de l’adaptation ou celle de l’alternative ?
La France aura connu une longue période, de la Libération au début des années 1980, où le ton a été donné par une gauche radicale, poussée aux réformes de structures, à la remise en cause du système à l’intérieur même de ses rouages. On peut toujours discuter, aujourd’hui, des limites de cette gauche, alors dominée par le Parti communiste français. Mais elle incarnait, en bien ou en mal, l’exigence d’une autre société que celle structurée par le capital. Et elle était majoritaire dans l’espace politique de la gauche française, comme elle l’était en Italie. Cette « exception » latine, on le sait, a disparu : en France au début des années 1980, quand le Parti socialiste de François Mitterrand a supplanté dans les urnes le vieux rival communiste ; en Italie au début des années 1990, quand le PCI a renoncé à l’horizon du communisme pour rallier celui de la social-démocratie.
Aujourd’hui de façon pressante et dans ce paysage en décomposition, l’enjeu crucial est : quelle orientation politique donne le ton à gauche ? Est-on capable de penser, dans toutes ses dimensions, le projet d’une gauche de transformation sociale qui soit à même d’irriguer toute la gauche, de viser à la majorité et de recomposer le champ politique en conjurant les évolutions négatives du dernier quart de siècle ? Penser en ces termes est le seul moyen de sortir de la situation actuelle : d’un côté, l’hégémonie d’une gauche de renoncement ; de l’autre, la marginalité d’une gauche de témoignage, réduite à la contestation. Or toute l’expérience de la dernière période montre que le pari est jouable. La critique de la « concurrence libre et non faussée » s’est élargie ; le capitalisme mondialisé montre ses limites ; la combativité sociale ne s’est pas démentie depuis 1995. La tendance à l’adaptation ne s’impose plus comme une évidence. Mais…
Mais la gauche de transformation sociale n’est pas allée au bout de sa recomposition. Malgré la force de ses propositions, elle n’apparaît pas comme porteuse d’un projet moderne suffisamment fort, suffisamment cohérent, suffisamment convaincant pour l’emporter, dans les moments décisifs, sur le supposé réalisme de l’adaptation et du recentrage. Malgré l’élargissement de son champ, elle n’est pas parvenue à agréger l’ensemble des courants critiques de l’ordre marchand : elle se pense dynamique sur le terrain économico-social classique ; elle le relie trop peu aux champs qui touchent aux dominations des groupes ou à l’aliénation des personnes. Elle parle aisément salaires, protection sociale, redistribution ; elle parle moins facilement du travail, de l’autonomie de la personne, de la démocratie nouvelle, de l’écologie, du féminisme, de l’anticonsumérisme, des enjeux urbains. Malgré l’ouverture de ses expériences, elle reste insuffisamment forte sur les questions pourtant stratégiques de l’articulation entre critique et construction, entre contestation et gestion, entre mouvement et institutions. En bref, elle n’est pas encore pleinement sortie d’un XXe siècle qui a connu le double échec du soviétisme et de la social-démocratie. Elle continue quelque chose du mouvement ouvrier ; elle n’en a pas redéfini les fondements, dans une figure historique nouvelle, adaptée à notre temps. Il y a un contraste maximal entre les potentialités modernes d’un combat émancipateur et la perspective politique que dessine la gauche.
Continuité et changement
Et pourtant, dans la gauche de gauche, nous avons constaté depuis quelques années que le besoin d’avancer ensemble, de réfléchir ensemble, d’agir et de construire ensemble, est immense et devient force politique. Il n’est donc temps, ni de se satisfaire de l’acquis, ni de se désoler sur les limites. Nous sommes confrontés à des contradictions ? Analysons-les sereinement et travaillons si possible à les surmonter. Nous avons besoin d’explorer des voies différentes ? Explorons-les, mais à condition de ne pas penser la différence sur le registre de la séparation. Tout ce que nous pouvons faire en commun, surtout face à cette droite-là, attelons-nous à le réussir. Ce que nous ne faisons pas ensemble, engageons-le avec en permanence l’idée que, au bout du compte, c’est la convergence de tous nos chemins qui tracera la voie de la transformation sociale.
Dans les années à venir, nous aurons besoin à la fois de continuité et de changement. Continuité des valeurs d’égalité, de tolérance, de combativité sociale ; continuité de l’esprit critique. Mais changement, voire rupture, avec des habitudes, des structures et des cultures qui, trop souvent, séparent les acteurs de la transformation sociale, écartent celles et ceux qui ne sont pas de longue date dans le combat émancipateur.
Nous sommes différents : c’est une chance. Quand nous sommes séparés, c’est le désastre. N’ignorons pas nos clivages : ils nous reviennent durement au visage. Mais n’absolutisons pas les divergences, au risque de l’inefficacité. Faisons de cet échec une force. Regards s’efforcera d’y contribuer.
Notes
1. Voir Regards n° 6, juin 2004, « Le concert libéral-populiste »
2. Voir Regards n° 33, octobre 2006, « PS/ UDF : l’incroyable love story »
TRIBUNE
Une autre rénovation est possible !
par Clémentine Autain
À peine la cuisante défaite annoncée, chacun y est allé de son commentaire sur l’indispensable mouvement de « refondation », la tant attendue « rénovation »… bref, l’incontournable « modernisation » de la gauche. Dès 20 h 02, Ségolène Royal a promis qu’elle poursuivrait ce mouvement initié par elle. Quelques minutes plus tard, Dominique Strauss-Kahn a tiré la sonnette d’alarme : l’échec de la candidate est le résultat du retard pris sur l’aggiornamento des socialistes. Leur recette : s’ouvrir au centre pour promouvoir un modèle d’adaptation assumée au capitalisme. C’est l’heure, nous serine-t-on, de la gauche « décomplexée ». Doucement mais sûrement, avec la complicité des médias, le travail d’appropriation du vocabulaire de la rénovation par les tenants de l’orientation sociale-libérale à gauche porte ses fruits. Celles et ceux qui revendiquent l’ancrage dans les fondamentaux de la gauche pour reconstruire un projet politique neuf de transformation sociale sont de facto rangés au rayon des vieilleries, du côté de la ringardise… Le salut viendrait du dépassement du clivage droite-gauche, « la sortie de l’affrontement bloc contre bloc » pour reprendre la formule consacrée par le couple Bayrou-Royal. Curieuse conclusion d’analyse à l’heure où le vainqueur des urnes est celui qui a le plus valorisé cet affrontement idéologique en assumant la fierté d’être de droite, en redonnant une cohérence politique à son camp. On dit d’ailleurs que la droite s’est décomplexée en s’ancrant davantage à droite. En revanche, la gauche est dite décomplexée dès lors qu’elle se tourne davantage… à droite. Cherchez l’erreur !
Partons du fond pour contester ces attributs convenus répartissant les rôles entre une gauche passéiste et ringarde et une autre moderne et rénovée. La gauche sociale-libérale n’appartient-elle pas davantage au passé ? Ses recettes, largement testées en Europe, n’ont-elles pas d’ores et déjà fait la démonstration de leur impasse ? A l’inverse, dès lors qu’elle s’articule avec tous les combats émancipateurs, la contestation du modèle capitaliste n’est-elle pas la seule voie d’avenir pour la gauche ? On pourrait donc affirmer qu’une gauche rénovée, refondée, modernisée, décomplexée (que sais-je encore…), c’est justement une gauche bien dans ses baskets, sûre et fière d’elle-même. Aujourd’hui, il y a bien sûr une part d’archaïsme dans la gauche de gauche tant elle n’a pas encore réussi à réinventer son projet pour le XXIe siècle, à s’appuyer sur les différentes ressources de la gauche critique pour penser la cohérence des alternatives de demain. Pour cela, il va falloir changer de logiciel et procéder à un réarmement idéologique, en puisant dans nos valeurs (l’égalité, la mise en commun, l’émancipation…) comme dans la tradition du mouvement ouvrier. Il va donc falloir accepter une certaine remise en cause de nos schémas de pensée, de certains de nos réflexes. Si les classes populaires, les nouvelles générations, les milieux culturels, les intellectuels critiques ne se sentent plus portés par une dynamique de la gauche de transformation sociale, c’est que nous sommes en panne. Et ce n’est pas qu’une question d’ego, de meccano stratégique ou de boutiques. C’est un enjeu de fond. Une autre refondation, rénovation, modernisation de la gauche (de gauche) est possible. De ce point de vue, soyons sans complexes.
Italie : regroupements à gauche
par Simon Doniol
Le 16 octobre prochain se tiendra en Italie l’assemblée constituante du nouveau Parti démocratique (PD), né de la fusion des deux mouvements de centre gauche, les Démocrates de gauche (DS, issus de l’ancien Parti communiste italien ou PCI) et la Marguerite démocratie et liberté (DL, situé à gauche de l’ancienne Démocratie chrétienne). Ces deux partis ont recueilli à eux deux 28 % des suffrages aux élections législatives d’avril 2006. Romano Prodi, le chef du gouvernement italien, et Francesco Rutelli, vice-président du Conseil, en sont les deux principaux inspirateurs.
Selon la presse italienne, DS a signé la clôture définitive de l’expérience historique ouverte en 1921 à Livourne, date de fondation du PCI, né d’une scission du Parti socialiste italien (PSI). Le PCI s’est très tôt démarqué des Soviétiques, dès les événements de Hongrie en 1956, et a adopté en 1972, à l’initiative d’Enrico Berlinguer, alors secrétaire du parti, une ligne « eurocommuniste ». En 1991, le parti a été dissous pour se transformer en Parti des démocrates de gauche (PDS), lui-même muté en 1998 en DS avec à sa tête Walter Veltroni, l’actuel maire de Rome, prétendant favori pour conduire le nouveau Parti démocrate.
L’aile gauche de DS, 15 % des militants représentés par le ministre de l’Education Fabio Mussi, n’a pas accepté le recentrage du parti, notamment sur les questions de laïcité. Déjà, en 1991, le Parti de la refondation communiste (Rifondazione) s’était écarté du PCI. Rifondazione annonce aujourd’hui un « regroupement familial » défenseur de l’antilibéralisme, du pacifisme et de la laïcité, avec les Verts et l’autre minorité du Parti des communistes italiens (PDCI), dissident de l’ex-PCI. Ce regroupement doit déboucher sur un nouveau parti, courant mai.
LCR, l’exception
par Rémi Douat
À gauche du PS, Olivier Besancenot était au soir du premier tour le seul à arborer un sourire. Avec 4,08 % et « 280 000 voix de plus par rapport à 2002 », la LCR tire son épingle du jeu, là où le PCF, les Verts, José Bové et Lutte ouvrière sont laminés. Alors que ces derniers expliquent leurs faibles résultats par le vote utile en faveur de Ségolène Royal, la LCR se fait un plaisir d’estimer qu’elle a déjoué ce piège, se posant ainsi en meneur de la gauche antilibérale. « Le vote utile a été un aspirateur à voix pour le PS, note Pierre-François Grond, directeur de campagne d’Olivier Besancenot et porte-parole de la LCR. Mais grâce à une campagne claire et lisible, nous avons pu, malgré tout, faire un bon score. Et encore, beaucoup d’électeurs nous ont témoigné leur sympathie tout en disant voter Royal pour éviter un second 21 avril. » Fanfaronnade d’un parti enivré d’être le premier des « petits » ? Pour l’historien Serge Cosseron, spécialiste de l’extrême gauche, le score de la LCR est un « phénomène historique », puisque la formation s’installe devant le PCF. « Elle s’impose comme une nouvelle force politique à gauche, bénéficiant d’une forte aura, explique-t-il. Même si les résultats sont à relativiser du fait du report des voix de Lutte ouvrière sur la LCR (voir encadré Arlette Laguillier), ce parti apparaît désormais comme le point de référence à la gauche de la gauche. Il y a deux voies maintenant : perdurer dans une stratégie radicale ou tenter d’occuper le terrain institutionnel. Si la LCR recueille un score de 4 à 5 % aux prochaines législatives, elle peut prétendre fédérer un rassemblement à la gauche de la gauche. Mais le plus difficile reste à faire. »
Autre enjeu pour le parti d’extrême gauche, comprendre la volatilité de son électorat. S’il a en effet reçu le soutien de nouveaux électeurs, les études électorales révèlent que certains qui ont voté pour lui en 2002 n’ont pas réitéré leur choix cette année. Pour l’analyste, les raisons de ce succès sont à chercher du côté de la personnalité d’Olivier Besancenot, qui bénéficie d’un réel capital sympathie. « Il a mené une excellente campagne, commente-t-il. C’est un brillant débatteur, pugnace et dynamique. Même cornaqué par François Sabado et Alain Krivine, il dispose d’une forte spontanéité, n’hésitant pas à prendre des positions plus personnelles. »
Reste que ce satisfecit exprimé sans ambage au soir du premier tour – certains antilibéraux reprochent à la LCR de rouler des mécaniques sur un champ de ruines – rend l’éclatement des forces antilibérales bien vivace. Toutes pourtant, du PCF à la LCR en passant par le camp Bové, continuent de défendre le principe d’un travail collectif. Cela aurait pu (re)commencer par un meeting commun entre les deux tours, pour appeler à battre Nicolas Sarkozy, comme l’ont proposé plusieurs figures du rassemblement antilibéral (1). « Les bases politiques pour un meeting unitaire ne sont pas réunies, répond-on à la LCR. Ni Marie-George Buffet, ni José Bové ne montrent qu’ils sont d’accord avec la conception de la nécessaire distance d’avec le PS. Ils discutent avec le PS alors même que ce dernier discute avec l’ex-UDF. Ça nous paraît lunaire. Que le PCF garde ou non son groupe à l’Assemblée nationale grâce à des accords électoraux, ce n’est pas notre problème. »
Pour le porte-parole du Parti communiste, Olivier Dartigolles, Olivier Besancenot, en ignorant le PS, devient sans le vouloir un « acteur de la recomposition de la gauche vers le centre » alors que le PCF se donne pour mission d’infléchir le PS sur sa gauche. Deux visions qui peuvent donner à la division de beaux jours devant elle.
Note
1. Notamment Clémentine Autain, Claude Debons, ex-coordinateur des collectifs du 29 mai, et Christian Picquet (LCR).
Présidentielle, chiffres à l’appui
Les traits majeurs de la présidentielle à la lumière de quelques chiffres électoraux.
par Roger Martelli
1. La remobilisation électorale a confirmé son regain, après une longue série d’abstentions : le pourcentage d’abstention est le plus faible depuis 1974 pour le premier tour, depuis 1981 pour le second. La participation avait progressé dans les années 1960-1970, dans le grand débat qu’avait stimulé le programme commun de la gauche. Le recentrage socialiste des années 1980, le déclin du gaullisme historique et la crise sociale avaient désorienté l’électorat. Il se remobilise, dans un contexte de recomposition globale et de « vote utile ».
2. Nicolas Sarkozy a réussi son pari, en réalisant le meilleur résultat à droite depuis 1969. Depuis plusieurs années, il a réussi à mettre une ligne « libérale-populiste » conséquente au cœur de tout le dispositif politique, en pour ou en contre. Il est devenu majoritaire, sans édulcorer son projet initial pour gagner. Sarkozy a réussi là où ses prédécesseurs avaient échoué : il a gagné sur un modèle de « contre-révolution libérale », héritier de Reagan et de Thatcher, proche de Bush ou de Berlusconi. Il a mordu sur l’électorat Le Pen, notamment dans les catégories populaires. Le tassement du Front national est en cela à la fois une bonne nouvelle et un indice inquiétant de droitisation de la droite. Au total, quelque 60 % des ouvriers et des employés ont voté à droite au premier tour.
3. La gauche réalise son plus mauvais score depuis 1969. Le second tour corrige en partie cette image : Ségolène Royal gagne quelque 11 % sur le total gauche du 22 avril et elle retrouve la majorité sociologique chez les 18-24 ans et chez les employés et les ouvriers. Mais le choc du premier tour et l’irruption de la solution Bayrou ont brouillé sérieusement les pistes. Dans la procédure de choix socialiste de la candidature, Ségolène Royal avait été retenue dans une logique plus proche d’un blairisme « à la française » que de la social-démocratie traditionnelle. Son appel au centre entre les deux tours n’avait ainsi rien d’anecdotique. Au final, le choix n’aura certes pas conduit à la réussite qu’annonçaient les sondages de l’automne dernier : la logique du vote utile, celle du « tout sauf Sarkozy », ne l’a pas emporté. L’électorat Bayrou semble s’être partagé à parts égales entre Royal et Sarkozy. Mais le mécanisme de la recomposition est en route. Jusqu’où ?
4. La gauche de gauche n’a pas su se rassembler, comme elle l’avait fait lors du référendum constitutionnel européen de 2005. De ce fait, alors que semblait s’esquisser un mouvement de l’opinion pour échapper au bipartisme, ce n’est pas la gauche alternative qui en profite, mais le centrisme de Bayrou. A l’arrivée, la gauche de gauche réalise son plus mauvais score depuis vingt ans : à chaque élection, elle oscillait entre 12 % et 20 % ; elle n’atteint pas cette fois la barre des 10 %. Olivier Besancenot est le premier des « petits » : il maintient son niveau de 2002, tandis qu’Arlette Laguiller décroche, que le PCF recule à nouveau et que José Bové ne réussit pas son installation.
Arlette, fin d’époque
par Simon Doniol
L’historique « Arlette », malgré un certain capital sympathie, a dû se contenter de 1,33 %. Une « claque » pour LO, selon l’historien Serge Cosseron (1), spécialiste de l’extrême gauche. Un score qu’on ne peut pas seulement expliquer par le vote utile : « Il s’agit d’un choix politique, une sanction de l’électorat, précise-t-il. Renvoyer dos à dos Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal jusqu’au bout de la campagne lui a porté préjudice. Il n’y a pas de demi-mesure dans son discours. »
Quel avenir pour LO ? Serge Cosseron estime qu’« il va y avoir des évolutions en interne. La minorité, représentée par la fraction Convergences révolutionnaires, peut chercher une certaine unité d’action des trotskystes en se dirigeant notamment vers la LCR ». Mais l’historien demeure sceptique sur les mutations hypothétiques de la direction. Cette dernière dispose à ses yeux « d’une organisation solide, et le mode d’existence de LO n’est pas déterminé par les échéances électorales, ce qui laisse peu d’espace aux relations du parti avec son environnement ». Une conclusion à opposer à la spontanéité d’un Olivier Besancenot, qui a pu bénéficier du report des voix de LO sur la LCR.
Note
1. Auteur d’un Dictionnaire de l’extrême gauche, Larousse, 18 euros
Le PCF, demain…
par Marion Rousset
« Ces résultats ne sauraient traduire l’audience réelle du Parti communiste dans ce pays », a affirmé Marie-George Buffet, comme pour conjurer le choc des premières estimations. Le PCF parviendra-t-il à se relever ? Son score à l’élection présidentielle – 1,94 % – n’a jamais été aussi faible. L’enjeu était pourtant d’enrayer un déclin entamé depuis 1981, qui s’est brusquement accéléré en 2002. Robert Hue obtient alors 3,37 % des suffrages. A l’heure du bilan, les analyses divergent. Le porte-parole Olivier Dartigolles impute cet échec au « vote utile » et à « une campagne médiatico-sondagière d’un nouveau type ». Deux causes extérieures à l’organisation. Craignant de se voir reprocher de dédouaner le parti, il ajoute : « On ne veut pas limiter l’analyse au vote utile, évidemment il faut se poser des questions sur l’état du monde, de l’Europe et de la société, mais aussi sur le communisme et l’élargissement populaire. » Pour défricher ce vaste chantier, un congrès extraordinaire se réunira en décembre.
Sylvie Larue, dirigeante nationale, était partisane d’un rassemblement antilibéral : « Tout ce qu’on avait annoncé est arrivé, assène-t-elle. Sans candidature unitaire, nous savions que nous allions nous retrouver coincés entre le vote utile et le vote protestataire. Le score de Bayrou montre qu’il était possible de bousculer le bipartisme. » D’autres prônent une alliance avec le PS. Robert Hue l’a réaffirmé en s’affichant au côté de Michel Rocard, à la tribune du stade Charléty. Appelant de ses vœux une « mutation » du PCF, il a expliqué que c’est « de l’intérieur qu’on obtient un maximum de réformes ». Mais le spectre de la gauche plurielle continue à hanter les esprits. « Notre volonté de peser sur le Parti socialiste a échoué. Elle nous a envoyés dans le mur », reconnaît Olivier Dartigolles. Certains plaident donc pour l’autonomie. « Dans le cadre d’un régime capitaliste, je suis opposé à la participation à un gouvernement social-démocrate. Quant aux antilibéraux, il faut faire des alliances avec eux sur des objectifs précis, comme le non au référendum, l’emploi, la guerre… Mais le mouvement ne doit pas se substituer aux organisations », estime Jean-Jacques Karman, vice-président du Conseil général de la Seine-Saint-Denis. Par ailleurs, ajoute-t-il, la déroute électorale « n’est pas une question de personne, mais la conséquence d’une ligne politique. Va-t-on continuer sur la voie de la social-démocratie rampante ? Le parti a abandonné la référence au marxisme et à la classe ouvrière. Il se fiche d’avoir des cadres et des candidats ouvriers ».
Le conseil de campagne de Marie-George Buffet reflète cette situation. « La liste comprend très peu de syndicalistes et d’ouvriers revendiqués comme tels », constate en effet Bernard Pudal, professeur de sciences politiques, spécialiste du communisme. « Le PCF, pour être conforme à son essence, devrait redevenir un parti politique susceptible de fabriquer du personnel politique issu des nouvelles classes populaires. » Mais cela nécessiterait une reconfiguration que, « jusqu’à présent, les dirigeants n’ont jamais réussi à mettre en œuvre. C’est lié à des facteurs internes. Au PCF, il existe une inertie et une résistance du modèle stalinien. La candidature de Marie-George Buffet en est un indicateur : en tant que secrétaire générale du parti, elle est le pur produit de l’appareil ». Pour lui, la redistribution des cartes pourrait se faire de deux manières différentes : soit le PCF rallie « un grand parti social-démocrate qui le contraint à s’unir à lui contre la droite », soit « des éléments communistes trouvent leur place au sein d’une force antilibérale, même si le parti n’en prend pas la tête ».
Dans cette deuxième hypothèse, y a-t-il place pour le maintien d’une organisation communiste spécifique, fût-ce au prix de sa transformation profonde ? Certains, à l’intérieur du PCF, continuent de penser que c’est possible. Pour l’instant, la direction du parti hésite.
« Nous ne nous limitons pas à nos anciens partenaires. Nous ne voulons plus de salles avec quelques bovétistes et minoritaires de la LCR », lance Olivier Dartigolles. Sylvie Larue est pour le moins sceptique : « On ne peut plus faire évoluer les choses si on en reste à un débat interne. »
Où sont les Verts ?
par Simon Doniol
Au soir du 22 avril, Dominique Voynet, 1,57 % au compteur, ose une formule : « La démocratie est parfois un juge amer. » Elle se raccroche dès lors « sans ambiguïté » à Ségolène Royal. Principale cause avancée pour ce score : le vote utile.
Dans cette campagne, l’électorat apparaissait pourtant conscient du péril écologique : pour mémoire, le thème de l’environnement, avec la portée symbolique du pacte écologique de Nicolas Hulot, semblait mobiliser. Mais dans les urnes, l’écologie politique tourne en vase clos. « Nicolas Hulot a perturbé le jeu », estime l’adjoint au maire de Paris, Yves Contassot, pour préciser que « le pacte écologique a créé une confusion sur la question de l’environnement. Le message des Verts a disparu sous cette apparence de consensus ». Yves Cochet, député de Paris et candidat malheureux à l’investiture, soutient le contraire : « C’est un faux argument ! J’ai analysé les sondages, avant, pendant et après l’arrivée d’Hulot. Les intentions de vote pour Dominique Voynet oscillaient déjà entre un et deux pour cent. »
Au delà du vote utile, quelques minces critiques sont évoquées sur la candidature Voynet. Pour Yves Cochet, « la campagne a été trop ciblée “écolo” et très conformiste ». Yves Contassot rappelle aussi que « Dominique Voynet a souffert d’une faiblesse, celle d’être associée au gouvernement Jospin. Il aurait fallut mener plus d’actions symboliques (…) il manquait un côté festif. »
Lors du Conseil national du 25 avril, l’ambiance n’était pas non plus à la fête. Une majorité plaide pour un ancrage à gauche, comme la secrétaire nationale Cécile Duflot. D’autres, sur la ligne d’Yves Cochet, appellent à dépasser l’implantation historique du parti, quitte à se rapprocher du centre. Commentaire désabusé d’Yves Contassot : « c’est du néo-wechterisme. »
Prochain péril pour les Verts ? Les législatives de juin, où trois députés sortants, Noël Mamère pour la Gironde, Yves Cochet et Martine Billard pour Paris, peuvent espérer se maintenir à condition d’un hypothétique accord avec les socialistes. Formellement, comme l’atteste Martine Billard, l’heure n’est pas au calcul mais bien à la construction de barricades politiques larges « pour éviter une majorité dense de l’UMP à l’Assemblée nationale ».
José Bové, du trait d’union au point d’interrogation
par Lola Costantini
La candidature de José Bové, qui se targuait de rassembler, au-delà des communistes et des minoritaires de la LCR, des militants non encartés, s’est soldée par un échec. Ses partisans l’ont rêvé sauveur de la dynamique unitaire à la gauche de la gauche, mais le résultat, 1,32 %, est bien au-dessous des attentes. Ses proches tentent pourtant de continuer à voir cette expérience électorale comme positive. « Il a réussi une nouvelle articulation entre le rural et l’urbain, le social et l’écolo, la rue et les urnes. C’est là que réside la grande originalité de sa campagne », commente Jacques Perreux, conseiller général communiste du Val-de-Marne, et directeur de campagne de Bové. « Un formidable enthousiasme a animé les militants, rappelle Raoul-Marc Jennar, chercheur militant altermondialiste et porte-parole du candidat. En dépit du contexte d’improvisation de cette campagne, du climat d’hostilité dans lequel elle s’est déroulée, et malgré la difficile conciliation entre des militants du monde associatif, habitués à travailler en réseau, et ceux animés par une culture de l’appareil, issus de structures organisées et hiérarchisées ».
Mais alors comment expliquer le score désastreux ? « La peur d’un nouveau
21 Avril, sur laquelle a joué le PS, a eu un impact très fort », répond Raoul-Marc Jennar. Le manque de temps et de moyens sont également mis en cause. Selon Claire Villiers, militante associative contre le chômage et la précarité, vice-présidente du conseil régional d’Ile-de-France et porte-parole de José Bové, « le passage du mouvement social au mouvement politique n’a pas été évident. José Bové, syndicaliste, n’a pas plu à tout le monde comme candidat ». Le candidat « trait d’union », qui se revendiquait au-dessus des partis, « a payé, comme les autres, le prix du gâchis de la division », selon Jacques Perreux, déçu, « comme peuvent l’être tous les candidats antilibéraux », prend-il soin d’ajouter.
A l’heure du bilan et de la recherche d’un projet collectif, un nouveau coup est porté à la fragile unité des bovétistes. En acceptant la mission que lui a confiée Ségolène Royal entre les deux tours sur la mondialisation et la souveraineté alimentaire, José Bové a créé la tourmente et risqué de conduire à une nouvelle scission. Car là encore, les analyses sont bien différentes. Certains, dans son entourage, préfèrent s’abstenir de commentaires. D’autres ont montré leur soutien. « La réponse de Bové est parfaitement cohérente », a ainsi expliqué Eros Sana, porte-parole de Bové. « Il a toujours dit qu’il saisirait toutes les opportunités de voir ses combats trouver un écho politique », précise-t-il. D’autres, comme Claire Villiers, notent une « faute politique » et ont tenu à marquer leur désapprobation.
Dans cette cacophonie gênée, Jacques Perreux appelait, au lendemain de la victoire de Nicolas Sarkozy, « tous les courants de la gauche antilibérale à faire preuve de responsabilité en œuvrant, dans les prochains jours, à un front commun pour les législatives ».