François Fillon a d’abord fait du super Sarko, la semaine dernière, en posant un pistolet sur la tempe des syndicats : fin septembre, si vous n’êtes pas d’accord sur le service minimum, on légifère, et, à la fin de l’année, ce sera la même chose pour le contrat unique.
Ce faisant, il est en contradiction avec l’esprit de la loi sur le dialogue social de janvier 2007 — promulguée pour ne pas revivre les affres du retrait de la réforme du CPE, sous la pression de la rue —, qui laisse aux partenaires sociaux un temps de négociation avant la loi. Devant le tollé syndical, Sarkozy s’est ensuite donné le beau rôle en promettant aux secrétaires confédéraux un calendrier plus élastique. Il ne faut pas oublier que Sarkozy est conseillé par Raymond Soubie, expert en relations syndicales et ancien conseiller de Raymond Barre. Sarkozy pourrait foncer, mais il préfère amadouer par la méthode du « diagnostic partagé », qui a fait ses preuves ces dernières années, en semant une confusion totale dans l’enchaînement des causes et des responsabilités des problèmes sociaux.
En fait, Sarkozy accepte de la souplesse, mais fixe le résultat politique final. Il joue sur l’avance idéologique énorme conquise par sa campagne. Ainsi, sur le droit de grève, il fixera un cadre légal dès cet été, même si ce ne sera qu’une incitation à négocier des systèmes « d’alerte sociale » comme à la RATP et à la SNCF (lire ci-dessous). Quant au Medef, il a obtenu sans peine que son programme de « délibération sociale » sur le contrat de travail, la sécurisation des parcours professionnels et l’assurance chômage ne soit pas superposé au calendrier gouvernemental, et les quatre groupes de travail du gouvernement, prévus à l’automne, pourraient donc être décalés. D’autant que le Medef n’est pas pour le « contrat unique », mais pour « des » contrats, avec liberté de rupture à l’amiable. Banco sur la méthode, semble avoir dit Sarkozy. Et c’est tout bonheur pour la CFDT qui, d’une part « n’est pas dans une contestation de la légitimité » du pouvoir, et d’autre part, se fixe pour mission « d’articuler les rôles entre le pouvoir politique et les partenaires sociaux » (Marcel Grignard, négociateur CFDT, l’Humanité du 26 mai).
Il saute aux yeux que les syndicats sont, au mieux, à la traîne des projets du pouvoir, au pire, complaisants. La CGT elle-même, craignant par-dessus tout l’isolement, se glisse dans les pas de la CFDT lorsqu’elle signifie au locataire de l’Élysée qu’elle n’est pas non plus « dans l’opposition », ou « dans la résistance » (circulaire interne), même si elle ajoute... « ni dans l’accompagnement » (Bernard Thibault, Le Monde). Pourtant, si Sarkozy est en état de grâce, il n’a pas de légitimité pour casser le droit social. Tel est aussi un des malentendus de cette élection, et, comme le dit Maryse Dumas (CGT), « un moment viendra où la réalité des intérêts en jeu va se démasquer » (l’Humanité).
Pour s’y préparer, il faut changer de méthode pour le syndicalisme de résistance. Cela implique de trouver l’écoute de l’opinion publique par une contre argumentation pied à pied sur les questions sociales, et par des pratiques unitaires inédites (associations, chercheurs...). Exemple : le droit de grève doit se défendre avec l’aide des usagers, ce qui suppose un engagement politique confédéral, mais aussi la sortie du strict cadre syndical, pour rechercher de lieux de débats contradictoires. Un autre exemple : le pouvoir a fait son étendard du « gagner plus » mais va vider les poches des assurés sociaux en septembre par une franchise non remboursée sur les soins de santé d’un total de 100 euros par an. En même temps, il doit bientôt décider sur le Smic. N’y a-t-il pas une lutte possible autour du besoin d’augmenter les salaires de 300 euros, avec un Smic à 1 500 euros ?
Dominique Mezzi
SNCF : pas touche au droit de grève !
Le gouvernement se prépare à remettre en cause le droit de grève sous prétexte d’assurer un service minimum. Un comble, quand on voit comment le service public est systématiquement attaqué à la SNCF.
Inutile de couper les cheveux en quatre : derrière ce que le gouvernement appelle le service minimum, c’est le droit de grève de tous qui est attaqué. Dans une entreprise comme la SNCF, demander que les transports soient assurés « normalement » trois heures le matin et trois heures le soir nécessite la présence de 80 % des cheminots. Pour qu’un train puisse arriver dans une gare, à 7 h du matin par exemple, il y a un travail en amont important (manœuvres, nettoyage, essais de frein, évolution depuis un triage, interventions de plusieurs postes d’aiguillage, etc.) qui fait que, pour assurer le service de 7 h à 10 h, il faut commencer dans la nuit. Bref, la grève n’est plus possible.
Chez les cheminots, il existe déjà des procédures rebutantes pour pouvoir faire grève. Il faut, par exemple, un minimum de cinq jours pour que le préavis soit effectif. Il existe même, pour les syndicats, la possibilité de demandes des concertations immédiates avec la direction (DCI) afin de « désamorcer » les conflits, sur le modèle de ce qui se fait à la RATP. En fait, la direction se sert de ces délais pour « préparer » le trafic du jour de grève, en prévoyant la suppression de certains trains (en général les moins rentables...), en planifiant à l’avance plus de personnel de réserve, etc. Bref, tout ça ne sert pas à « négocier » mais à casser les grèves. Le service minimum est mis en avant comme un « droit des usagers au service public ». Pourtant, la direction de la SNCF ne se soucie guère du droit des usagers, quelle appelle ses « clients », et le service minimum leur est appliqué au quotidien ! On ne compte plus le nombre de trains retardés ou supprimés par manque de matériel ou de personnel, les trains de banlieue bondés aux heures de pointe, les kilomètres de ligne supprimés faute d’entretien. Tout est fait pour la vitrine TGV, rien pour ce qui ne rapporte pas d’argent.
Lorsque les cheminots font grève pour des embauches, contre la suppression de lignes et de trains, c’est pour défendre le service maximum ! Et si, en France, on a encore un service public ferroviaire à peu près viable, c’est bien parce que les cheminots sont un secteur combatif qui a contenu la casse voulue par l’application des recettes libérales.
L’ouverture à la concurrence du transport de fret au bénéfice d’entreprises ferroviaires privées étant maintenant une réalité, le gouvernement et le patronat veulent franchir l’ultime étape : l’éclatement total et la privatisation de toutes les activités de la SNCF.
Pour pouvoir en finir avec les cheminots, leur statut et l’entreprise publique, Sarkozy veut restreindre le droit de grève, prendre accessoirement une revanche sur la grève de 1995 contre le plan Juppé — actuel ministre des Transports ! — et désarmer les cheminots avant l’offensive contre les régimes spéciaux de retraite.
L’objectif final de la droite est d’allonger l’âge de départ à la retraite pour tous les salariés du privé comme du public. La fin du régime spécial des cheminots, qui permet de partir à 55 ans (50 ans pour les agents de conduite), apparaît donc comme un obstacle à faire sauter pour justifier des départs à 67, voire à 70 ans pour les autres à terme. Si, pour défendre le droit de grève, la mobilisation est primordiale chez les premiers concernés, celle-ci devra cependant s’étendre. Seuls, les travailleurs des transports risquent d’être isolés avec en prime une offensive médiatique importante.
Dans les mois qui viennent, l’enjeu est donc de populariser les revendications qui seront portées par les travailleurs des transports publics. Cela peut se faire en faisant le lien avec les préoccupations immédiates du monde du travail : retour aux 37,5 annuités pour tous, retraite à taux plein à 55 ans pour les travaux pénibles.
Basile Pot
Heures Sup’ : le tour de passe-passe
« Travailler plus pour gagner plus » : ce slogan sarkozyste se traduirait par la défiscalisation et l’exonération de cotisations sociales pour les heures supplémentaires réalisées par les salariés. Ceux-ci ne payeraient pas d’impôts sur le revenu pour la fraction supplémentaire de salaire gagnée, et ils verraient leur salaire net augmenter du fait du non-paiement des cotisations sociales assises sur leur salaire.
Pour l’heure, c’est l’employeur qui décide la réalisation d’heures supplémentaires, et le salarié est obligé de s’y plier. À aucun moment, Sarkozy n’a prévu d’accorder le droit au salarié de refuser des heures supplémentaires, ce qui serait pourtant la stricte application du droit communautaire. Voilà la première limite du dispositif.
Par ailleurs, le nombre d’heures supplémentaires est limité. Dans beaucoup d’entreprises, il est peu élevé. La fraction de cotisations sociales « transférée » en salaire net sera donc peu élevée. Surtout, elle sera d’autant moins élevée, et souvent dérisoire, pour les salariés ayant les plus faibles salaires, que les cotisations sont proportionnelles au taux horaire. Ces mêmes salariés mal rémunérés, ceux qui, dans les petites entreprises, font souvent le plus d’heures supplémentaires, ne bénéficieront guère de la défiscalisation, bon nombre d’entre eux étant exonérés du paiement de l’impôt sur le revenu car gagnant trop peu pour être imposés. Paradoxe : ce sont les cadres les mieux rémunérés souvent astreints à des heures supplémentaires quotidiennes qui ont le plus de chances de voir leur salaire net augmenter un peu, avec un effet sensible sur le montant de leur impôt sur le revenu.
La fonction de ce dispositif est largement idéologique : diviser le salariat et y ancrer l’idée que le salaire socialisé correspondant aux cotisations sociales s’oppose à leur salaire direct, et que ce serait là le principal frein à son augmentation. Il prépare les attaques contre la Sécurité sociale et son financement socialisé. Sarkozy n’entend pas augmenter le Smic en juillet : il dévoile ainsi la véritable teneur de sa politique. Répartir autrement les richesses entre le capital et le travail est une idée que le patronat et ses représentants politiques cherchent à discréditer. C’est pourtant le point de départ de toute alternative.
Laurent Menghini