1. Persistance d’une crise sanitaire aux effets inégaux
– La crise générale du capitalisme est associée à une crise du métabolisme de la société humaine et du système terrestre. On assiste à un enchaînement de crises : l’apparente sortie d´une crise nous amène rapidement dans une nouvelle.
– La COVID-19 est loin d’être derrière nous, l’étape actuelle peut-être caractérisée comme une crise mondiale de la santé. La maladie semble prendre un caractère endémique [2] , tendant à augmenter de façon permanente la mortalité des populations les plus vulnérables. Ceci confirme les analyses qui lient l’apparition de nouvelles maladies aux conditions de vie de l’humanité sur une planète finie et à la biodiversité dégradée.
– Le taux de vaccination reste très inégal, avec plus des deux-tiers en moyenne dans les pays développés, mais moins de 10% dans les « pays les moins avancés ». Cela met en lumière l’irrationalité du système pharmaceutique, soumis à l‘intérêt des grandes corporations pharmaceutiques et non pas à des critères de santé publique mondiale. L’apparition de nouveaux variants est aussi le résultat de cette vaccination inégale. Cet écart de vaccination implique aussi des inégalités de croissance et de reprise de l’emploi, inégalités sociales et écarts de productivité du travail. [3]
– Il faut ajouter à cela la destruction par l’offensive néolibérale mondiale ces dernières décennies, des systèmes nationaux publics de soin, et en particulier hospitaliers, que ce soit dans les principaux pays capitalistes que dans le Sud global. Cette dégradation qualitative a amplifié largement les effets sanitaires et sociaux de l’épidémie de coronavirus. Le bilan humain de la pandémie de Covid ne sera en fait réellement connu qu’une fois compilées les comparaisons de la mortalité dans les différentes parties du monde, avant, pendant et après la période de la pandémie.
2. Explosion des inégalités
– La période pandémique a été celle de grands profits extraordinaires pour quelques fortunes. Des profits extraordinaires pour les plus grandes compagnies, ce qui en partie a contribué à une montée extraordinaire des cotations boursières. [4] Le S&P 500 a augmenté un 27 % en 2021, avec 11 compagnies qui ont doublé leur valeur en bourse.
– Selon l’Oxfam, « la fortune des milliardaires a plus augmenté en 19 mois de pandémie que pendant la dernière décennie ». « Tandis que la fortune des 10 milliardaires les plus riches du monde a doublé durant la pandémie, 160 millions de personnes sont tombées dans la pauvreté ». Cette explosion des inégalités sévit partout dans le monde. Les femmes, les personnes racisées, et les habitant.e.s des pays en développement sont les plus impacté.e.s par la violence des inégalités.
– La pandémie a également fait reculer l’objectif de parité femmes-hommes à 135 ans si l’on prolonge le rythme actuel, contre 99 ans auparavant. 252 hommes se partagent aujourd’hui plus de richesses que le milliard de filles et de femmes vivant en Afrique, en Amérique latine et aux Caraïbes réunies. [5]
– La précarité renforcée par les fermetures partielles des centres de travail, l’arrêt de l’activité économique, le collapse l’engorgement partiel ou total des systèmes de santé, a touché en priorité les populations plus vulnérables, les travailleurs, les femmes et les populations racisées. Ainsi les populations africaines ont été accablées par la paralysie des secteurs productifs, du tourisme et du très important secteur informel qui les entoure, ont aussi été étranglées par l’endettement sans fin, imposé de plus en plus auprès de créanciers privés - non concernés par les suspensions du paiement de la dette occasionnellement mises en scène par les organismes internationaux… et sont toujours plus ciblées par la fermeture des frontières européennes aux circulations humaines.
– La pandémie et la crise climatique et environnementale ont donc massivement accentué les inégalités ainsi que la perception et l’expérience réelle de ces inégalités. L’inadéquation, par le sous-financement et l’attribution non démocratique, des ressources de la société en termes de soins à sa population a été fortement mise en évidence. Nous entendons par soins l’ensemble des ressources sociales : santé, éducation, logement, loisirs et culture, emploi et revenus, droits politiques, qui permettent à la population de jouir d’un niveau de vie décent.
– Cette perception de l’inégalité a provoqué des luttes et des protestations, même aux moments de la pandémie où les restrictions sur l’activité sociale étaient les plus sévères. Bien que certains succès limités aient été obtenus, ces luttes ne se sont pas transformées en une remise en cause générale de la société existante, malgré quelques mouvements de masse pour la démocratie.
– Entre-temps, le contexte est toujours celui d’une crise migratoire permanente, avec en 2021 près de 82 millions de personnes déplacées par la force (comme les effets de la victoire des talibans en Afghanistan) et cela sans compter les réfugiés climatiques, que l’on estime à 20 millions par an. Ce qui est particulièrement en crise, ce sont les politiques d’accueil des migrants, que ce soit en Europe, en Amérique du Nord ou en Australie, qui renoncent à tout principe humanitaire de base. Il n’est en fait pas possible de différencier entre les demandeurs d’asile pour des causes politiques, pour des raisons socio-économiques ou du fait des catastrophes climatiques. Les restrictions aux voyages instaurées à cause de la pandémie, et l’instauration du pass Covid dans les pays développés, deviennent des nouvelles entraves au mouvement libre des personnes.
3. Une reprise économique pleine de problèmes et de contradictions
– Au cours des derniers mois de 2021, une certaine reprise économique mondiale s’est manifestée. Cependant, les derniers pronostics économiques du FMI, publiés le 25 Janvier 2022, revoient encore à la baisse les prévisions de croissance pour 2022, du 4.9 % annoncé en octobre 2021 à 4.4 % [6]. Dans le contexte actuel, la reprise se traduit par de nombreuses contradictions, différenciations et problèmes.
– L’inflation est en hausse et dans des records décennaux pour 2021, tels que mesurés par l’indice des prix à la consommation, principalement dans les pays avancés (+3,6%) mais aussi dans les économies émergentes (+6,8%). La hausse des prix impressionne dans le secteur de l’énergie, les prix de marché du gaz (+130% sur 12 mois) et du charbon ont atteint des sommets historiques. Le pétrole et l’électricité suivent, les niveaux reviennent à ceux de 2014 voire 2008. La hausse des prix se manifeste fortement dans l’alimentation (+30 à 40%) : céréales, huiles, lait, viande, et dans les secteurs industriels.
– Ce qui est aussi notable dans la conjoncture actuelle en cours, c’est la raréfaction de certains produits manufacturés en raison de la pénurie de produits intermédiaires essentiels. Les microprocesseurs sont un exemple bien connu, qui freine les chaînes de production comme celle de l’automobile. De nombreux produits intermédiaires font défaut dans l’industrie tels que les plastiques, le bois et le papier, etc.
– Dans ces conditions de reprise économique très problématique, la question politique doit être posée de qui paiera le prix de l’inflation et de l’instabilité : les travailleurs et les masses populaires, ou bien les grandes entreprises qui ont fait des profits extraordinaires dans cette période pandémique ? Aujourd’hui, la réponse semble claire : les classes dominantes font peser tout le poids de l’instabilité mondiale sur les travailleurs et particulièrement les travailleuses, et sur l’ensemble des couches populaires.
4. Politiques financières
– On constate que dans toute l’histoire du capitalisme des deux derniers siècles, jamais les grandes entreprises financières n’ont joui d’une manière aussi longue du soutien des banques centrales et des gouvernements en particulier en Amérique du Nord, en Europe occidentale et au Japon. Ce soutien sans faille a commencé au Japon au milieu des années 1990 comme réponse à la crise financière et immobilière, il est devenu généralisé dans l’hémisphère occidental depuis 2008. Depuis cette date, la Réserve fédérale, suivie rapidement par la Banque d’Angleterre et ensuite par la Banque centrale européenne, ont adopté des politiques de “Quantitative Easing” apportant un flux permanent de liquidités aux banques, en particulier, et aux marchés financiers, en général.
– L’injection massive et permanente de liquidités combinée à une politique laxiste en matière de régulation financière a eu pour objectif et a servi à éviter les pertes massives qui auraient dû subir logiquement les grands actionnaires si une autre politique avait été appliquée. Les conséquences sont notamment les suivantes :
1. il n’y a pas eu de destruction de capital tant dans le secteur industriel que financier ou commercial. Contrairement aux crises du passé, il n’y a pas eu de grandes faillites à l’exception de Lehman Brothers en septembre 2008. Dans certains cas, il y a eu des nationalisations de banques avec sauvetage des grands actionnaires et la volonté de privatisation dès que ces entreprises financières sont assainies aux frais du Trésor public. Lors de crises périodiques, normalement la destruction de capital constant qui est la conséquence des fermetures d’entreprises, permet au capitalisme de relever le taux de profit au moment de la reprise économique car il y a une modification du rapport entre capital variable et capital constant, ou du rapport entre capital vivant et capital mort. Une autre conséquence des politiques de quantitative easing est l’absence de destruction de capital fictif, le volume de celui-ci a continué de très fortement augmenté.
2. Par ailleurs, l’apport massif de moyens financiers aux grandes entreprises financières et d’autres secteurs ne s’est pas transformé en investissement dans le secteur productif notamment parce que le taux de profit est considéré par le Capital comme insuffisant. L’écrasante majorité des moyens financiers mis à disposition du grand Capital privé par les gouvernements et les banques centrales s’est dirigé vers les capitalisations boursières, vers le marché immobilier et vers les matières premières, y compris les produits agricoles car la rentabilité à court et moyen terme est nettement supérieur à ce que produirait un investissement dans le secteur productif. Mais il est clair que cette rentabilité du secteur financier est difficilement soutenable dans la durée car il s’agit de gains tirés de la spéculation et du développement de bulles de capitaux fictifs.
– Les conditions objectives de l’éclatement d’une nouvelle crise financière de grande ampleur sont réunies. Celle-ci peut arriver à n’importe quel moment d’autant que des banques centrales comme celles des États-Unis et d’Angleterre commencent à relever progressivement les taux d’intérêt et à réduire leurs achats d’actifs financiers càd de capitaux fictifs. Tant que les Banques centrales achètent massivement des capitaux fictifs ceux-ci sont dans une grande mesure sécurisés car ils sont dans le bilan de ces banques centrales mais à partir du moment où les banques centrales réduisent leurs achats, les grands capitalistes acheteurs de titres financiers vont commencer à mieux vérifier la qualité de ceux-ci et les risques de perte que cela peut impliquer.
– La Banque mondiale en janvier 2022 a averti que les pays “en développement” vont prendre encore plus de retard sur le monde riche alors qu’ils peinent à se remettre de l’impact économique de la pandémie en raison de la propagation des variants du coronavirus et de leur capacité limitée à mettre en place des mesures de relance. Dans de nouvelles prévisions économiques publiées mardi 11 janvier 2022, la Banque mondiale a indiqué qu’elle s’attendait à ce que l’économie mondiale connaisse une reprise à deux vitesses en 2022, ce qui alimentera le creusement des inégalités. Alors que, selon la Banque mondiale, la production des pays riches retrouvera son niveau d’avant la pandémie en 2023, celle des pays “en développement” restera en moyenne 4 % en dessous de son niveau d’avant la pandémie. Selon la Banque, la faible reprise après l’impact du coronavirus sera particulièrement grave dans les pays les plus vulnérables ; d’ici l’année prochaine, la production des pays « fragiles et touchés par un conflit et celle des petits États insulaires seront encore inférieures de 7,5 à 8,5 % » à leur niveau d’avant la pandémie.
– Dans les économies des pays les plus industrialisés, deux après le début de la pandémie, certaines grandes économies n’ont pas encore retrouvé le niveau de PIB qu’elles avaient atteint à la fin de l’année 2019, c’est le cas de l’Espagne, de l’Italie et de l’Allemagne. L’Allemagne et l’Autriche ont d’ailleurs connu une baisse de la production et du PIB au quatrième trimestre 2021. Donc les proclamations des médias dominants et des gouvernements sur la prétendue reprise de la croissance sont nettement exagérées voire infondées dans certains cas. [7]
Selon le Financial Times, les pays les plus pauvres doivent faire face à une hausse de 11 milliards de dollars des remboursements de leur dette en 2022 [8]. La Banque mondiale met en garde contre le risque de « défauts de paiement désordonnés »
– Un groupe de 74 pays à faible revenu devra rembourser environ 35 milliards de dollars aux prêteurs officiels bilatéraux et du secteur privé en 2022, le Sri Lanka étant considéré comme l’un des plus vulnérables. Les pays les plus pauvres du monde sont confrontés à une augmentation de 10,9 milliards de dollars des remboursements de leur dette cette année, après que nombre d’entre eux ont rejeté l’aide internationale et se sont tournés vers les marchés financiers pour financer leur réponse à la pandémie de coronavirus. Selon la Banque mondiale, le groupe de 73 pays à faible revenu devra rembourser environ 35 milliards de dollars aux prêteurs officiels bilatéraux et privés en 2022, soit une hausse de 45 % par rapport à 2020.
– La politique financière depuis la crise de 2007-9 a consisté en des taux d’intérêt très bas qui ont permis de maintenir un grand nombre de compagnies à flot malgré leur manque de profits, uniquement grâce à la possibilité de se refinancer pas cher. Pendant la crise du COVID-19, des injections massives de liquidité ont été destinés pour l’achat de titres financiers aux banques. Cette grande liquidité à souvent été destinée à la spéculation, notamment sur des titres sur matières premières et aliments, ce qui a contribué naturellement à l’inflation.
– Il faut faire attention aux explications qui consistent à expliquer l’essentiel ou la totalité de la hausse par une pénurie de matières premières, par des problèmes d’approvisionnement même si cela joue un rôle. Les problèmes d’approvisionnement sont d’ailleurs aussi partiellement le résultat de gros investisseurs qui préfèrent stocker que livrer afin de pousser les prix vers le haut. Cependant il a des facteurs plus liés à l’économie matérielle, les uns conjoncturelles liés à la crise du COVID, les autres plus au contexte générale de la période.
5. Reprise de la demande et perturbations de la chaîne logistique
– Selon une approche « optimiste », les problèmes de la croissance et la montée des prix s’expliqueraient simplement par des écarts entre l’offre et la demande, causés par la réactivation soudaine après les confinements et les restrictions sanitaires. La montée des prix inciterait le marché à s’ajuster et tout serait de retour à la normale d’ici le deuxième semestre 2022. Cependant il semble que les perturbations ont des causes plus profondes, moins conjoncturelles. D’abord parce que les perturbations liées à la pandémie, elle-même causée par des facteurs structurels, ne sont pas encore derrière nous.
– La situation actuelle montre la complexité et vulnérabilité de la chaîne logistique internationale, très intégrée mondialement, orientée vers le « juste à temps » et dépendante du transport longue distance, dont les prix et les délais sont montés en flèche. On l’a déjà vu avec la crise du canal de Suez et la situation dans les ports chinois confinés, situation qui se reproduit encore récemment. Les porte-conteneurs sont désorganisés, bloqués devant certains ports surchargés, manquants ailleurs.
– Devant les pénuries créées, certains sous-traitants ont acquis, peut-être provisoirement, un poids nouveau pour négocier les prix des produits intermédiaires. On peut s’attendre à ce que les nombreux facteurs de l’instabilité mondiale reproduisent de plus en plus souvent des situations de désorganisation des chaînes logistiques. On doit opposer à tout cela un projet de société qui passe par la relocalisation de la production qui réduise la dépendance sur le transport.
6. Des tendances plus profondes dans le système productif
– Il y a aussi un changement plus structurel de la demande entre les secteurs, en raison de pénuries structurelles des principales matières premières comme les combustibles fossiles, et des « transitions vertes » : l’investissement dans les énergies solaires et éoliennes, les batteries électriques, etc., entraînent une augmentation de la demande pour certaines matières premières qui ne sont pas facilement disponibles (minéraux rares), pendant que la pression sur les énergies fossiles pèsent sur d’autre secteurs industriels. Cette montée des prix signifie déjà une intensification de la pression extractiviste sur les territoires où ces matériaux sont potentiellement disponibles.
– L’intégration des différents procès productifs lie l’évolution des prix des différents secteurs. Les prix de l’énergie affectent l’ensemble des secteurs productifs. Aussi, il y a maintenant une concurrence par l’occupation du sol entre l’industrie de l’énergie (pour l’utilisation comme biocarburants ou l’installation des éoliennes ou solaires) et l’alimentation.
– Les tendances inflationnistes sont structurelles et remontent au début du siècle, notamment en ce qui concerne les matières premières, manifestant les limites et les difficultés que la croissance de la production retrouve aujourd’hui à l’échelle planétaire. Dans l’alimentation, des mauvaises années de récolte des céréales liées à des perturbations climatiques deviennent de plus en plus fréquentes. Les catastrophes climatiques sont en général un facteur de crises et d’instabilité permanente. [9]
– Une partie des fonds déboursés par les états sont censés cofinancer des transitions vers des énergies renouvelables. Cependant les projections pour une transition verte sont basées sur des technologies de capture de carbone qui n’existent pas pour l’instant. Du fait du manque de prévision pour une transformation réelle de la structure de production et de transport vers des modèles réellement soutenables ; la soi-disant transition verte semble l‘excuse pour une relance capitaliste basée sur la spéculation et la privatisation des biens communs. Il devient donc central de dénoncer la fausse solution qui suppose le déploiement massif d’énergies renouvelables si cela ne va de pair avec une réduction réelle de l’extraction de combustibles fossiles et une transformation profonde des systèmes de production, transport et consommation.
7. Mobilisations et exigences populaires
Des luttes importantes se sont déployées depuis un an contre les politiques des classes dominantes sous différents aspects. Parmi celles-ci, les plus emblématiques :
– En Inde, l’énorme mouvement paysan a tenu bon sur une durée extraordinaire, et a réussi à faire plier le gouvernement de plus en plus autocratique de Modi sur son projet de libéralisation totale de l’agriculture.
– Aux USA, les salariés précaires, en particulier les jeunes dans les services, n’ont cessé de revendiquer la hausse des salaires horaires et de meilleures protections au travail, pendant que dans les secteurs plus structurés, de nouvelles luttes se développent. On a vu apparaître une vague de démissions sans précédent de salariés comme mode de contestation des conditions de travail et de revenus. Cette combativité est une source d’espoir alors que la dynamique Biden s’étiole aussi vite que celle du trumpisme se reconstitue.
– Au Chili, la droite pinochétiste a entrepris de casser la dynamique du soulèvement d’octobre 2019 contre les prix des services publics et le vieux monde politique, qui s’est réinvestie dans le processus de de la constituante et de recherche d’un nouveau projet de société qualitativement plus démocratique, féministe et égalitaire. Mais dans la rue et dans les urnes, le peuple chilien a réussi à repousser ces assauts ultra-réactionnaires.
– Au Soudan, les grandes puissances et organismes internationaux avaient réussi à imposer l’extension des politiques néolibérales, de réendettement et de hausse des produits de base au bancal gouvernement civil-militaire issu de la révolution bloquée de 2019. C’est ce qui a facilité le coup d’Etat permettant aux militaires de reprendre sauvagement tout le pouvoir. Mais, cinq mois près, le peuple soudanais continue d’occuper les rues, le soulèvement ne se rend pas, s’auto-organise et la junte est dans une certaine impasse.
– En Birmanie, au lendemain du putsch militaire du 1er février 2021, la junte a dû faire face à un mouvement de désobéissance civile d’une ampleur exceptionnelle, provoquant un arrêt général de travail sur tout le territoire. Face à une répression particulièrement sanglante, la résistance a aussi pris des formes militaires, y compris dans la plaine centrale, en conjonction avec des rébellions ethniques de la périphérie montagnarde. Bien que l’armée n’hésite pas à utiliser l’aviation contre la population et qu’elle soit soutenue par les gouvernements des pays voisins, elle n’a pas réussi à consolider son pouvoir et subi d’importants revers diplomatiques, l’opposition affirmant sa légitimité et recevant l’appui d’un mouvement de solidarité multiforme.
Mais plus globalement, si les mouvements féministes maintiennent un niveau de combativité et de visibilité important, en revanche les mouvements sociaux, démocratiques (et même écologiste malgré une mobilisation significative à la COP 26 de Glasgow) ont été en grande partie étouffés depuis deux ans par la combinaison d’une crise sanitaire prégnante, et par la détermination des pouvoirs politiques et économiques à écraser toute contestation. Cela a affecté particulièrement les dynamiques démocratiques en Birmanie, à Hong-Kong, le soulèvement algérien et les mouvements populaires du Maghreb et du Moyen-Orient, le soulèvement au Kazakhstan et les mobilisations en Russie et Biélorussie, plus ou moins sauvagement réprimées. Et cela a affecté aussi, à un autre niveau, les mouvements sociaux en Europe occidentale et centrale.
Dans ce contexte de perte significative de légitimité des couches dominantes qu’elles compensent par leur brutalité répressive, les bouillonnements populaires renaissent sans cesse en s’articulant. Il est pour nous essentiel d’élever des exigences combinant le social, l’écologique et le politique. Face aux dimensions sociales de la crise, nous devons mettre l’accent sur :
– la garantie de l’accès de la population à des biens de consommation essentiels, vers la gratuité des systèmes de santé, d’éducation et de recherche, notamment à travers leur mise sous gestion publique et démocratique, l’expropriation et la socialisation des compagnies énergétiques, pharmaceutiques, de gestion de l’eau, et avant tout des sociétés financières ;
– l’imposition de contrôles des prix face à l’inflation, de hausses des salaires et des revenus de remplacement, de réformes fiscales radicales qui s’attaquent aux profits et réduisent les inégalités ;
– des programmes de construction, réhabilitation et réquisition de logements sous gestion publique et avec planification écologique, permettant l’accès à des logements décents à des prix abordables y compris aux plus pauvres ; sur des mesures de lutte contre la spéculation immobilière et pour le retour au secteur public des maisons de retraites ;
– la diminution massive du temps de travail et l’abaissement de l’âge de départ en retraite, l’interdiction des licenciements et l’ouverture des livres de compte des entreprises, leur mise sous contrôle démocratique. Nous voulons donner du travail à tou.te.s les privé.e.s d’emploi, permettre l’accès de toutes et tous au temps libre, aux loisirs et à la vie publique démocratique, et réorienter la production vers ce qui est socialement utile et écologiquement assumable. Nos vies valent plus que leurs profits !
23 février 2022
Quatrième internationale