POLITIQUE - Une “belle connerie”. Voilà comment Erik Tegnér, co-fondateur de Livre Noir, média jugé (très) proche du candidat Éric Zemmour, a jugé la dernière idée formulée par le polémiste : la création d’un “ministère de la remigration”. Soit la reprise d’une vieille obsession qui agitait jusque-là surtout les milieux identitaires. Sur M6 ce lundi 21 mars, le fondateur de Reconquête ! a ainsi promis d’expulser 100.000 étrangers “indésirables” par an, dans l’objectif d’en “faire sortir un million” via cette structure qui se sera dotée de “moyens” comme des “charters” capables de réaliser des “vols collectifs”.
Une nouvelle transgression qui intervient alors que le candidat d’extrême droite peine à se sortir de la spirale négative qu’il subit dans les sondages. Dans une étude réalisée par Opinion Way, le polémiste chute à 9%. Dans ce contexte, cette dernière sortie sonne comme une ultime tentative de relancer la machine qui l’avait propulsé à l’automne parmi les aspirants au second tour. Elle sonne aussi comme un aveu d’échec pour celui qui, faute d’union des droites, en est réduit à tenter de conserver ses gains d’extrême droite.
“Droite de l’outrance et de la peur”
Car outre Guillaume Peltier (qui était déjà passé par le FN, puis le MPF), Éric Zemmour n’a pas réussi à moins de trois semaines du premier tour à attirer des figures de poids venant des Républicains. Il y a quelques jours, le candidat a certes officialisé le ralliement du sénateur LR Sébastien Meurant, sans préciser que l’élu, à la notoriété toute relative pour le grand public, lorgnait de longue date sur l’autre rive du Rubicon, puisqu’il se disait favorable à un dialogue entre Les Républicains et le Rassemblement national en 2018. Quant au ralliement de Marion Maréchal, il n’a pas produit l’effet blast escompté.
Une tendance à se déporter encore plus vers l’extrême droite qui ne devrait pas s’arranger avec sa proposition formulée lundi soir. “Il y a deux droites irréconciliables en France : une droite qui veut maîtriser fermement l’immigration, mais qui est ouverte, fraternelle, et humaniste. Et il y a une droite de l’outrance et de la peur, qui veut un ministère de la ‘remigration’”, a taclé sur Twitter Rafik Smati, président du mouvement Objectif France qui avait pourtant invité Éric Zemmour à sa rentrée politique au mois d’août dans le Vaucluse.
Car en reprenant le terme “remigration”, qui plus est pour l’appliquer en projet politique, le candidat de Reconquête ! a franchi un nouveau cap dans la radicalité, puisqu’il s’approprie le fantasme des identitaires voulant renvoyer de force les immigrés vers leurs pays d’origine. “Le grand remplacement est pour eux un constat, la remigration est le programme qui va avec ce constat”, explique la chercheuse Marion Jacquet-Vaillant, dans un documentaire qui sera diffusé le 4 avril à 21h sur LCP, et que Le HuffPost a pu visionner.
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La politologue rappelle qu’il y a encore quelques années, le terme était cantonné aux réunions confidentielles du Bloc identitaire, auxquelles participait notamment Damien Rieu, comme le montre l’affiche ci-dessous. Ex-RN et cofondateur de Génération identitaire, il occupe aujourd’hui une place stratégique au sein de l’équipe de campagne du polémiste.
DR. Affiches des « Assises de la remigration »
“C’est de l’enfumage”
Pas étonnant donc de voir que la mesure proposée par Éric Zemmour est aujourd’hui applaudie par les ex-responsables de Génération identitaire, organisation dissoute par le ministère de l’Intérieur en 2021. “Il y a dix ans, les identitaires décidaient de militer pour la remigration et en populariser le terme, alors décrié même dans notre propre camp. Aujourd’hui, un candidat à la présidentielle a le courage d’en faire l’une de ses mesures phares. Quelle avancée politique historique”, se félicite sur son canal Telegram Thaïs d’Escufon, ex-porte-parole du groupuscule d’extrême droite.
À noter toutefois qu’avant le candidat à l’élection présidentielle, le sénateur ex-RN Stéphane Ravier (aujourd’hui rallié à Éric Zemmour) plaidait au sein du parti lepéniste pour la création d’un “Haut commissariat à la remigration”. Du côté du RN, justement, on observe avec une certaine gourmandise cette “provocation” signée Éric Zemmour. “S’il s’agit d’expulser les clandestins, il y a un truc qui s’appelle le ministère de l’Intérieur”, ironise auprès du HuffPost Jean-Philippe Tanguy, directeur adjoint de la campagne de Marine Le Pen. “La remigration, telle que théorisée par ses concepteurs, consisterait à sortir des populations installées légalement (titres de séjour, naturalisation ou autres), et de les renvoyer car elles changeraient la structure démographique du pays. Ce qui est vraiment extrême. Donc entre la provocation qu’ils annoncent et ce qu’il y a derrière, ça n’a rien à voir. C’est de l’enfumage”, poursuit-il.
Mais au-delà du terme, qui n’est qu’une variante extrême de la promesse d’expulser davantage d’immigrés, c’est toute la terminologie utilisée par Éric Zemmour qui interpelle les observateurs de l’extrême droite. “Il a usé d’un terme très connoté pour quelqu’un comme lui qui a lu sur l’histoire du XXe siècle : ‘indésirables’. Or, la base juridique des camps d’internement en France c’est le décret du 12 novembre 1938 qui permet d’y placer les ‘indésirables étrangers’ car ‘il convient de faire le partage entre les bons éléments et les indésirables qui, pour être exclus de notre territoire, ne doivent évidemment pas pouvoir s’intégrer dans la collectivité française’”, observe pour Le HuffPost l’historien spécialiste de l’extrême droite Nicolas Lebourg, précisant que c’est sur ce fondement juridique que l’internement des réfugiés espagnols a été organisé dans les Pyrénées-Orientales en 1939. Des références historiques loin d’être idéales pour qui prétend à l’union des droites près d’un siècle plus tard.
Romain Herreros
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