L’OPA que va lancer le groupe Vivendi sur Lagardère va provoquer un séisme pour le monde de l’édition et du livre. En effet, la fusion, ou tout au moins la combinaison dans un seul groupe, d’Editis (branche d’édition de Vivendi, numéro 2 de l’édition en France avec 725 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020) et de la branche d’édition de Lagardère, Hachette Livre (2,4 milliards de chiffre d’affaires en 2020), représentera à terme la moitié du chiffre d’affaires de l’édition en France.
Cette opération n’est probablement qu’une étape dans l’accaparement par Vincent Bolloré des moyens de communication et de diffusion des idées et leur soumission à une idéologie nauséabonde. Rappelons la captation de la chaîne iTélé, devenue Cnews, qui avait conduit à sa normalisation idéologique et au départ contraint d’environ cent journalistes qui refusaient la mise au pas. S’en était suivie la même prise en main d’Europe 1, se traduisant là aussi le licenciement et le départ de 80 journalistes, où désormais des idéologues d’extrême droite sont à l’antenne quotidiennement. Ajoutons à ce panorama les exemples de Paris Match et du Journal du dimanche, où les sociétés des journalistes ont manifesté leurs craintes de ne plus pouvoir exercer correctement leur métier et à l’égard des synergies avec CNews.
Ce Vincent Bolloré, au sujet duquel Eric Zemmour déclarait récemment : « Je sais que, pour en avoir discuté avec lui, Vincent Bolloré est très conscient du danger de civilisation qui nous guette, de remplacement de civilisation… Il a un sentiment de mission, absolument. C’est très noble chez lui. » Cette « mission » est clairement l’installation d’un pôle dominant de diffusion de l’idéologie d’extrême droite en France et la construction de son hégémonie culturelle.
Mais elle comporte également des conséquences économiques dramatiques pour la chaîne du livre. Avec l’opération d’acquisition en cours, la nouvelle entité deviendra le principal distributeur et diffuseur de livres. On peut craindre que, confrontées à cette position dominante, les librairies subissent une réduction drastique de leurs marges, qu’elles se voient également limiter leur liberté et imposer la mise en vente d’ouvrages qu’elles n’auraient pas souhaité voir sur leurs présentoirs.
Face ces risques de régression culturelle, des auteur·trices publié·es par des maisons d’édition appartenant à ces deux groupes en cours de fusion ont réclamé le droit à la clause de conscience. Un droit déjà reconnu pour les journalistes. Un droit légitime eu égard à l’involution potentielle de leurs maisons d’édition. Les éditions Syllepse reconnaissent déjà ce droit à leurs auteur·trices et exigent son extension à tous les auteur·trices.
On peut également s’inquiéter de l’avenir des salarié·es des deux groupes, notamment ceux et celles qui travaillent dans les plates-formes logistiques. En effet, des opérations capitalistiques de cette ampleur ont souvent conduit à des licenciements mais également à une maltraitance sociale des salarié·es, Vincent Bolloré étant connu pour être un adepte des « mutualisations » et « synergies » tueuses d’emplois.
Dans ce paysage à terme dévasté, dans cette bataille contre la pieuvre financière combinée à l’idéologie antidémocratique, le groupe Gallimard [1], aux côtés de diverses maisons d’édition indépendantes, apparaît comme le vaisseau amiral de la résistance à la bollorisation, de la résistance démocratique.
La défense de l’édition indépendante constitue désormais un enjeu démocratique.
Les éditions Syllepse s’associeront à toute initiative qui ira dans le sens de la défense d’une édition pluraliste et indépendante.
Le 19 février 2022
Les éditions Syllepse