“J’étais fou amoureux d’une fille d’une autre religion, et cela était réciproque. Tel fut mon crime”, explique Sajjad, dont le prénom a été modifié, dans les colonnes du magazine Outlook. “Nous avions prévu de nous marier depuis longtemps”, poursuit le jeune homme. Mais, en 2020, des milices hindoues autoproclamées ont eu vent de cette relation interconfessionnelle. Elles ont alors demandé à Sajjad de mettre un terme à sa relation et en ont immédiatement informé les parents de la jeune femme, qui n’a plus été autorisée à quitter le domicile familial.
Le jeune couple a alors fugué. “Mais notre bonheur n’a pas duré longtemps, regrette Sajjad. Les milices d’extrême droite ont réclamé mon arrestation, et ma famille a été mêlée au scandale.” Sajjad et sa petite amie ont été obligés de retourner dans leur village, situé dans le district de Bareilly, dans l’Uttar Pradesh, dans le nord de l’Inde.
Le terme “djihad de l’amour” est utilisé à l’envi par des groupes d’extrémistes nationalistes hindous. Ils propagent le mythe selon lequel des hommes musulmans tenteraient de séduire des femmes hindoues afin de les épouser et de les convertir à l’islam.
Haine contre l’amour
À son retour au village, “Sajjad n’a pas vu ses malheurs s’arrêter là”, reprend Outlook. À la suite d’une plainte déposée par la famille de la jeune fille, il a été poursuivi et envoyé en prison durant plus de deux mois en vertu d’une loi de 2020 sur les conversions forcées. Durant son absence, la petite amie de Sajjad a été mariée à un autre homme par sa famille. “Si certains hindous s’opposaient à notre histoire, d’autres m’ont soutenu. Pour moi, ce n’est pas un problème entre hindous et musulmans, mais c’est un problème de haine contre l’amour”, estime Sajjad.
Le mythe du “djihad de l’amour” trouve en fait ses origines dans les années 1920, en Inde, durant la période coloniale. Ainsi, en 1954, à Kanpur, dans l’Uttar Pradesh, un administrateur musulman fut accusé d’avoir séduit une fille hindoue et de l’avoir forcée à se convertir. “Un groupe hindou a alors demandé à secourir la femme et à la sortir de la maison du bureaucrate”, explique l’article, qui cite Charu Gupta, une professeure d’histoire à l’université de Delhi. Selon cette universitaire, les accusations contemporaines à l’encontre des hommes musulmans sont similaires à une campagne qui fut menée dans les années 1920 contre ce qui était à l’époque décrit comme des “enlèvements”.
Les analystes estiment que le “djihad de l’amour” a été utilisé pour attiser les haines durant les émeutes intercommunautaires meurtrières qui se sont déroulées à Muzaffarnagar, dans l’Uttar Pradesh, en 2013. Et cette stratégie de polarisation s’est avérée payante pour le Bharatiya Janata Party (BJP) de Narendra Modi. Lors des élections générales de 2014, le BJP a raflé 71 des 78 sièges que compte l’Uttar Pradesh.
À la veille d’élections cruciales dans cet État, le “djihad de l’amour” et les questions de conversion recommencent à dominer les discours politiques. “Au milieu de tout cela, le ‘djihad de l’amour’ n’a pas encore trouvé de définition juridique et reste un oxymore”, conclut l’article.
Outlook
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