Une “déflagration”, titre l’hebdomadaire marocain TelQuel. Les uns après les autres, des scandales de violences sexistes éclatent dans les établissements d’enseignement supérieur marocains. Au 10 janvier, sept d’entre eux devaient faire face à des accusations publiques de harcèlement sexuel, voire de viols, selon la définition française, pour des faits qui remonteraient jusqu’à 2007.
Médiatisées sous le nom de “sexe contre bonnes notes”, la plupart de ces affaires concernent des professeurs abusant de leur position d’autorité. Si les étudiantes refusent d’avoir des relations sexuelles avec eux, ils dévaluent leurs travaux universitaires – certaines victimes racontent avoir coupé court à leurs études à la suite de ce chantage.
“La parole se libère entre manifestation physique et dénonciation digitale”, explique TelQuel dans son podcast Le Scan, faisant référence aux accusations sur les réseaux sociaux rassemblées sous le hashtag #MeTooUniv et à la manifestation qui a réuni des dizaines d’étudiantes devant l’un des établissements concernés.
Un procès inédit
À l’été 2021, le titre francophone avait déjà recueilli des témoignages pour dénoncer “l’omerta universitaire” qui règne sur le royaume. Les journalistes Leila Chik et Fanny Haza disposent aujourd’hui d’une vingtaine de récits dénonçant notamment l’inaction des présidents d’université, alors que les professeurs accusés, contactés par le titre, nient en bloc. “Le #MeToo universitaire pourrait-il acter la fin de l’impunité pour certains professeurs ?” se demande l’hebdomadaire, dans le dossier qu’il consacre au sujet le 7 janvier.
“Il ne s’agit plus d’une affaire isolée mais clairement d’un système. Des rumeurs de chantage sexuel couraient depuis longtemps”, estime un enseignant de l’université Hassan Ier de Settat interrogé par le Middle East Eye. Cinq des professeurs de cet établissement sont actuellement en procès, dont trois en détention provisoire, selon le titre installé à Londres.
Parmi les chefs d’accusation : violence sur une femme par une personne ayant autorité sur elle, attentat à la pudeur avec violence (pour lequel ils risquent jusqu’à dix ans d’emprisonnement), discrimination basée sur le genre, abus de pouvoir, harcèlement sexuel et incitation à la débauche. Certains ont été libérés sous caution, rapporte Médias24.
Alors que la colère monte, la troisième audience de ce procès inédit a été décalée, pour la quatrième fois, au 13 janvier. Le ministre de l’Enseignement supérieur, Abdellatif Miraoui, a envoyé les membres d’une commission d’enquête à l’ENCG d’Oujda, où a eu lieu la manifestation, et a annoncé la mise en place d’un numéro vert pour les victimes, rapporte Le360.
Une législation jugée inadaptée
Une mobilisation de grande ampleur visant à dénoncer les différentes affaires s’est déroulée en ligne. Des vidéos ou des captures d’écran de conversations privées ont ainsi été recueillies et relayées par divers comptes Instagram. Certains, comme 7achak ou le collectif Moroccan Outlaws, ont reçu jusqu’à une centaine de témoignages. Ceux-ci affluent davantage en ligne plutôt qu’aux tribunaux en raison d’une législation marocaine jugée obsolète.
En effet, la loi sur les violences faites aux femmes ne prend pas en compte la notion de consentement dans sa définition du viol, tandis que le délai de prescription du harcèlement sexuel est de quatre ans. Des associations et des politiques – comme la députée du Parti authenticité et modernité (PAM) Najwa Koukouss, interrogée par TelQuel – aimeraient la voir réformée.
Les plaignantes se trouvent ainsi “prises au piège de la hogra [mot qui désigne le mépris de la part des autorités]”, reprend TelQuel, qui parle de “double peine” pour les victimes en manque de protection. “En 2020, une étudiante de la faculté de Mohammedia avait porté plainte contre son professeur pour harcèlement sexuel, mais c’est… elle que le tribunal a condamnée à une amende de 20 000 dirhams (un peu plus de 1 900 euros)”, se souvient le Middle East Eye.
Le phénomène ne semble en tout cas pas nouveau. En 2017 déjà, des médias tels que le quotidien Yabiladi rapportaient des faits similaires à l’université Abdelmalek Essaadi de Tétouan. Mais la plupart des établissements du supérieur peinent à faire leur autocritique. En décembre, dans la foulée de l’éclatement du scandale “sexe contre bonnes notes”, le Syndicat national des enseignants du supérieur préférait dénoncer un “complot contre l’université”.
Jeanne Fourneau
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