En cette phase de recrudescence de la pandémie et de diffusion du variant Omicron, la pénurie évoquée des capacités d’accueil dans les unités de soins critiques pourrait contraindre à intégrer aux critères médicaux de priorisation ou de triage en réanimation une composante qui heurterait l’éthique médicale : hiérarchiser entre la personne qui a fait le choix de la vaccination et celle qui la refuse ou n’a pas compris sa justification.
De manière inédite, la vaccination s’impose dans les controverses publiques et dans le débat politique comme un marqueur de l’adhésion ou non « aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique ». De « l’incitation vaccinale » (conditionnant toutefois la préservation d’une vie sociale sans entrave à l’obtention, sous certaines conditions, d’un passe sanitaire « dans l’intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie de Covid-19 ») à « l’obligation vaccinale », l’exécutif a préféré la prudence de la pharmacovigilance et la progressivité d’une responsabilisation individuelle. En fait, pouvait-il en être autrement ?
L’évolution annoncée du passe sanitaire en passe vaccinal est indicative d’un niveau de menace sanitaire qui impose une intensification des mesures contraignantes visant à inciter aux modifications obligatoires des comportements individuels et des pratiques sociales. Se demander si les conditions de priorisation en réanimation intégrant comme critère complémentaire, dans la conjoncture actuelle, la vaccination, ne détermineraient pas une prise de conscience dont certains s’exonèrent mérite pour le moins d’être discuté. Au même titre que nous devrions être assurés que la conséquence de positions individualistes n’accentue pas les dilemmes d’arbitrage en réanimation, dans un contexte limitatif qui contraindrait à des choix ne relevant plus exclusivement de critères médicaux.
Connaissances scientifiques et facultés d’ajustement
Les mesures sanitaires doivent s’adapter non seulement à l’acquisition de connaissances scientifiques transitoires qui s’établissent et s’éprouvent nécessairement dans l’immédiat, sans recul encore suffisant (rappelons que la mise sur le marché d’un premier vaccin a été autorisée par l’Agence européenne du médicament il y a un an, le 21 décembre 2020). Mais elles doivent aussi s’adapter à l’évolution imprévisible des mutations du SARS-CoV-2, lesquelles ont eu pour conséquence la propagation de plusieurs variants depuis le début de la pandémie.
Dernier en date, le variant Omicron est l’objet de toutes les attentions et suscite des inquiétudes au point d’inciter le président du Conseil scientifique Covid-19, Jean‑François Delfraissy, à nous alerter, le 23 décembre, du risque d’une « possible désorganisation de la société à partir de début janvier ». À la suite d’une étude multicentrique, l’Institut Pasteur indiquait le 20 décembre que « les chercheurs concluent que les nombreuses mutations présentes dans la protéine Spike du variant Omicron lui permettent d’échapper en grande partie à la réponse du système immunitaire. Les études en cours ont pour objectif de comprendre pourquoi ce variant est plus transmissible d’un individu à l’autre et d’analyser l’efficacité de la 3e dose sur le long terme. »
Les facultés d’ajustement et d’acceptation personnels constituent également un variant sociétal qui a une incidence déterminante sur les équilibres politiques à préserver dans la gouvernance d’une crise qui se prolonge, avec ses rebondissements et probablement d’autres contraintes.
Dilemmes dans l’exercice de la responsabilité décisionnelle
La transposition des données scientifiques dans les textes législatifs ou réglementaires, parfois précipitée par l’urgence, est un autre indicateur d’une spécificité de cette crise qui déjoue les cadres établis. En témoigne l’annonce de l’examen en Conseil des ministres extraordinaire lundi 27 décembre du projet de loi instaurant un passe sanitaire à la place du passe vaccinal, peu de temps après le vote de la loi n° 2021-1465 du 10 novembre 2021 portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, qui en prolongeait l’usage jusqu’au 31 juillet 2022.
Il apparaît de ces premières considérations que le conflit dans l’exercice des responsabilités, selon des points de vue divergents et évolutifs, est équivalent à celui du conflit des expertises scientifiques et de toute autre nature, provoquant des conflits de valeurs et des dilemmes au plan de la responsabilité décisionnelle. De telle sorte qu’il nous faut concilier la vigilance éthique avec une capacité d’application des règles et des bonnes pratiques tenant compte du principe de réalité et de la visée du moindre mal.
Alors que dans son Discours de la méthode René Descartes énonce le postulat de « ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle », l’éthique de la responsabilité engagée en société peut-elle s’en satisfaire ?
Dans les circonstances actuelles d’absence d’alternative probante aux stratégies vaccinales pour diminuer les risques individuels et collectifs de contamination, il ne me semble pas infondé de conforter la recevabilité d’un savoir aujourd’hui certes encore provisoire, par la position morale affirmée dans la Déclaration des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen du 22 août 1795 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits ».
Le principe de liberté vaccinale n’est en soi respectable que si cette dernière s’avère conciliable avec l’attention bienveillante accordée à autrui, et dès lors que sont honorées les exigences de justice et de réciprocité. En pratique, est-ce le cas ?
Liberté personnelle et souci du bien commun
Avant d’évoquer les dilemmes déontologiques d’une discrimination dans l’accès en réanimation, qui pourrait être argumentée par des jugements moraux portant sur le refus de la solidarité vaccinale et l’exigence d’équité dans l’accès aux traitements dans un contexte contraint, quelques autres considérations s’imposent.
Revendiquer une autonomie quoiqu’il en coûte, mais avec la certitude d’être malgré tout assuré du droit inconditionnel d’accéder, en cas de besoin, à des soins critiques, est-ce assumer une responsabilité et en assumer la logique ? À ce jour, aucun des propagandistes de la liberté de non-vaccination n’a postulé de la reconnaissance de directives anticipées à l’éventualité de ne pas être réanimé consécutive à leur choix. Aucun d’entre eux ne s’est exprimé sur les modalités d’une priorisation en réanimation qui, du fait de leur décision, s’avérerait préjudiciable à une personne vaccinée.
Outre le fait qu’une hospitalisation en réanimation est l’expérience d’une dépendance radicale, à laquelle certains ne survivent pas ou souvent avec des séquelles à vie, entraver les missions imparties aux professionnels de santé par des traitements lourds, pourtant évitables, relève de l’inconséquence. C’est faire assumer à autrui une liberté personnelle qui compromet la leur, ainsi que la capacité d’agir pour le bien commun.
Dans un communiqué du 4 décembre, le Collectif Inter Urgences analyse l’état d’un sinistre consécutif à une saturation de services hospitaliers ; nombre de soignants ne le supportent plus au point parfois de renoncer à leur métier tant ces dysfonctionnements s’opposent aux valeurs dont ils estiment être les garants : « Les soignants qui portent encore à bout de bras la notion de service public sont épuisés. Ils se voient de nouveau privés de leurs droits par “nécessité de continuité des soins”. Mais c’est factuel, les départs et les arrêts maladie des professionnels sont les conséquences du non-respect de la qualité des soins et des conditions de vie au travail. »
J’ose considérer qu’il est irrespectueux à l’égard des professionnels - et des personnes particulièrement vulnérables aux risques de contamination (je pense notamment aux personnes immunodéprimées en chimiothérapie) - d’affaiblir, ne serait-ce qu’en soutenant publiquement des positions discutables, la cohésion d’une riposte qui maximise dans l’instant présent l’efficacité d’une prévention vaccinale dont nombre de pays n’ont pas le bénéfice.
Qu’en est-il dans de telles conditions de la fragilisation du système hospitalier, des droits d’autres malades atteints de comorbidités, ainsi soumis, en dépit de leurs besoins et malgré un schéma vaccinal complet, aux effets collatéraux d’une hospitalisation impossible ou d’une déprogrammation de leurs traitements sans autre justification qu’une priorisation des malades de la Covid-19 ?
Garantir la pérennité du système de santé
Le Code de la santé publique rappelle que « les droits reconnus aux usagers s’accompagnent des responsabilités de nature à garantir la pérennité du système de santé et des principes sur lesquels il repose ». Ce devoir de responsabilité s’exerce dans l’affirmation d’un souci de réciprocité peu conciliable, à l’épreuve des faits, avec la revendication d’un libre choix qui invoque le principe de précaution et la liberté d’exprimer une hostilité à des mesures comme la vaccination, pour se soustraire à toute obligation ou concession d’intérêt général.
Nos capacités à contenir la dynamique pandémique, même imparfaitement et dans l’incertitude, sollicitent un attachement indéfectible à l’esprit public, ainsi que la faculté et le courage d’en saisir les enjeux et les impératifs lorsque les circonstances l’exigent. L’opposition à la stratégie vaccinale est-elle moralement soutenable, si elle compromet les conditions d’accueil dans les services de soins critiques selon des critères pertinents et justes, contraignant les équipes à des dilemmes décisionnels susceptibles d’affecter leurs principes déontologiques ?
Un document du 17 décembre émanant de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) produit des données étayées par une étude très documentée. Celles-ci attestent de l’appariement désormais incontestable entre non-vaccination et surexposition au risque d’une hospitalisation en réanimation, mais également de mortalité.
Selon ces travaux, les personnes non-vaccinées sont « nettement surreprésentées, par rapport à leur part dans la population générale, parmi les testées positives par PCR au Covid-19 », et cette surreprésentation « est encore plus importante parmi les personnes hospitalisées et également parmi celles décédées. En effet, alors qu’elles représentent 9 % de la population âgée de 20 ans et plus, elles représentent 25 % des personnes testées positives par RT-PCR et déclarant des symptômes, 41 % des personnes admises en hospitalisation conventionnelle, 52 % des entrées en soins critiques et 38 % des décès durant les 4 dernières semaines ».
Un cadre d’action et l’exigence de repères éthiques
Dans une tribune publiée dans Le Monde du 21 décembre, un collectif de médecins détaille en des termes d’une grande acuité les dilemmes décisionnels d’un arbitrage en réanimation selon des critères vaccinaux. On peut notamment y lire qu’« une pathologie impliquant autant les sentiments des médecins est inhabituelle et déconcertante. Insidieusement se pose une question du côté des professionnels de santé : est-ce que le statut vaccinal doit être pris en compte dans la priorisation ? ». Ou encore que « surmonter ce sentiment premier face à des comportements qui questionnent les médecins est un impératif éthique. Mais, dans ce contexte inédit, devant des choix tragiques, où le problème de la priorisation se pose, les médecins réanimateurs se trouvent à devoir prendre des décisions impossibles, alors que le questionnement déborde le seul cadre médical. »
On le constate, les dilemmes décisionnels ne relèvent plus aujourd’hui de considérations théoriques : les personnels médicaux y sont d’ores et déjà confrontés, même s’ils sont réticents à les assumer dans l’entre-soi d’une procédure collégiale et font appel à l’énoncé d’un cadre d’action respectueux à la fois de leurs valeurs et de l’exigence de repères éthiques appropriés.
Dès lors que la saturation progressive des services de soins critiques est imputée à l’hospitalisation majoritaire de malades non-vaccinés, voire détenteurs parfois de faux passes sanitaires, les critères de priorisation suscitent une attention et des considérations qui ne procèdent plus seulement de l’expertise médicale. Les arbitrages prennent une signification politique.
Qu’une personne qui se serait conformée aux prescriptions vaccinales, puisse être victime de ce qui sera considéré comme une forme d’injustice dans l’accès à un lit de réanimation du fait de la saturation des capacités par un afflux de malades non-vaccinés peut susciter des controverses. De même, si s’instituait une sélection des personnes accédant à un traitement selon des critères de respect ou non des préconisations de prévention, de tels prérequis seraient-ils compatibles avec le souci d’équité, pour ne pas dire avec les droits fondamentaux de la personne ?
Selon quels principes intangibles ériger des critères décisionnels pertinents, éthiquement soutenables, alors que tant de facteurs, notamment d’ordre socioculturel, infèrent dans l’exposition différenciée aux risques en ce qui concerne notre santé ? La participation à la solidarité vaccinale ne pourrait-elle pas toutefois constituer un critère d’arbitrage recevable entre deux malades présentant des indications équivalentes à la réanimation ?
Les recommandations de la Société française d’anesthésie réanimation
La priorisation en réanimation relève d’expertises professionnelles permettant de viser une justesse décisionnelle en conscience, en tenant compte de circonstances rétives à toute approche systématique. L’intelligibilité d’une situation spécifique permet d’étayer un processus d’arbitrage mené dans la concertation, avec pour souci l’intérêt direct de la personne malade. Une fois ces principes posés, comment argumenter un dilemme inédit qui accentue la complexité de l’instruction de choix limitatifs ?
La Société française d’anesthésie réanimation (SFAR) a publié le 15 avril 2020 des recommandations que nous pourrions solliciter comme première référence dans l’examen des conditions d’arbitrage d’un accès à la réanimation qui pourraient s’avérer dérogatoires aux principes en vigueur, si le contexte de pression pandémique devait l’imposer.
« Prioriser l’initiation des traitements de réanimation et leur poursuite est indispensable pour sauver le plus de vies possible, en allouant ces ressources limitées, parmi les malades en état critique, en priorité à ceux qui ont la plus forte probabilité d’en bénéficier. Cette priorisation est pleinement éthique si elle s’appuie sur des éléments objectifs et partagés préalablement par tous, pour éviter tout arbitraire et garantir l’équité. Il faut allouer équitablement les traitements, maximiser le bénéfice en vies, tenir compte du bénéfice indirect à prioriser soignants exposés et assimilés, accepter en dernière ligne de prioriser le plus lourdement pénalisé, et prioriser tous les patients selon des modalités analogues. »
Nous retenons de l’analyse de cette position qu’une hiérarchisation des choix pourrait « tenir compte du bénéfice indirect à prioriser soignants exposés et assimilés, accepter en dernière ligne de prioriser le plus lourdement pénalisé ». Le principe de réciprocité à l’égard des soignants n’est pas discutable. Dès lors, quelle acception attribuer à la priorisation du « plus lourdement pénalisé » ? Elle pourrait concerner une personne qui malgré sa vaccination a développé une forme grave de l’infection, ou qui du fait de sa situation de vulnérabilité n’a pas été en mesure de bénéficier de l’accès à la vaccination.
Il est précisé dans ces recommandations que « cette approche, envisagée seulement lorsque les facteurs pronostiques strictement médicaux ne suffisent plus à décider, conduirait par exemple, entre deux patients de gravité et facteurs pronostiques comparables, à donner la priorité au plus jeune, qui a potentiellement plus d’années de vie à perdre ». À équivalence de pronostic et d’âge, quels facteurs autres que subjectifs et donc arbitraires mobiliser afin qu’une décision qui pourrait s’avérer vitale soit incontestable ?
Dès lors que « la priorisation est pleinement éthique si elle s’appuie sur des éléments objectifs et partagés préalablement par tous, pour éviter tout arbitraire et garantir l’équité », encore convient-il de déterminer selon quelles conditions en débattre car, ainsi que l’affirme le collectif de médecins précédemment cités, « le questionnement déborde le seul cadre médical ».
Dans une position rendue publique le 22 décembre, la SFAR se demande si la vaccination pourrait « être mobilisée comme un critère médical de priorisation ? » Elle rappelle qu’« à gravité égale, la seule raison qui justifierait de retenir la vaccination comme critère médical de priorisation serait que celle-ci donne plus de chance de survie (en terme de quantité de vie et de qualité de vie). À ce jour, il n’existe pas de preuve scientifique solide pour l’affirmer. Au-delà des critères médicaux, une priorisation qui se baserait sur un critère de mérite (les vaccinés seraient plus méritants que les non vaccinés) sort du champ médical et serait discriminatoire ».
Il semblerait alors pertinent et urgent que les instances ordinales, le Comité consultatif national d’éthique, la Haute autorité de santé, l’Académie nationale de médecine et les sociétés savantes de réanimation produisent une réflexion attendue par les professionnels qui permette d’éclairer les instances collégiales. Les pouvoirs publics pourraient, à juste titre, estimer indispensable d’en formaliser les recommandations dans un texte réglementaire.
Une question morale émerge
Ces différentes considérations incitent à une interrogation d’ordre moral : pourrait-on imputer une responsabilité à la personne qui, en toute conscience et dans l’affirmation de sa liberté individuelle, a rejeté l’offre vaccinale, niant a priori tout risque pour sa vie et pour celle d’autrui, au point de lui refuser l’accès à la réanimation ?
Dans le contexte d’incertitude qui perdure depuis février 2020, en dépit de l’expérience probante acquise depuis le lancement de la stratégie vaccinale, mais mise en cause par des prises de positions contradictoires (y compris de la part de médecins), il semble délicat de discriminer parmi les opposants aux vaccins entre ceux qui le font par des convictions de toute nature, et ceux qui sont influencés par un discours qu’ils ne sont pas en mesure d’analyser et de pondérer par une approche critique.
Dans son texte du 22 décembre, la SFAR soutient une position déterminée à cet égard, précisant que « chacun est libre d’accepter ou de refuser un traitement. C’est le cas pour la vaccination. Et quand bien même celle-ci deviendrait obligatoire, cela ne justifierait pas non plus de facto de ne pas prendre en charge ceux qui ne respecteraient pas la loi. De nombreuses conduites à risque pèsent sur le système de santé. Pour autant, elles ne sauraient justifier une limitation de l’accès aux soins ».
Notons que ces derniers jours, certains « repentis » survivant à une réanimation qu’ils pensaient ne jamais avoir à subir ont exprimé un sentiment de détresse, voire de culpabilité, et le besoin de témoigner afin de faire la preuve tardive d’une exemplarité dont ils espèrent qu’elle bénéficiera à d’autres.
Quel cadre posent les textes actuels ?
Pour conclure sur l’opportunité qu’il y aurait, ou non, à intégrer explicitement le critère vaccinal aux arbitrages en réanimation, évoquons brièvement quelques repères réglementaires.
L’examen d’une décision sensible dans ses aspects politique, éthique et déontologique devrait évaluer ses différents impacts, y compris en référence aux textes qui encadrent les pratiques dans le champ de la santé : leur portée pourrait perdre en pertinence.
Il convient ainsi de rappeler que le Code de la santé publique détermine des principes d’action qui seraient remis en cause si les critères décisionnels en intégraient d’autres, qui s’avéreraient alors contradictoires :
« Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne »
« Aucune personne ne peut faire l’objet de discriminations dans l’accès à la prévention ou aux soins »
Il en est de même s’agissant des principes de non-discrimination et de la non-stigmatisation que rappelle la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme :
« Aucun individu ou groupe ne devrait être soumis, en violation de la dignité humaine, des droits de l’homme et des libertés fondamentales, à une discrimination ou à une stigmatisation pour quelque motif que ce soit. »
D’un point de vue strictement déontologique, deux articles du Code de déontologie médicale peuvent même s’avérer contradictoires dans leur application :
« Tout médecin qui se trouve en présence d’un malade ou d’un blessé en péril ou, informé qu’un malade ou un blessé est en péril, doit lui porter assistance ou s’assurer qu’il reçoit les soins nécessaires » ;
et
« Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance »
C’est dire les enjeux et la complexité des réflexions que susciterait la priorisation en réanimation des personnes vaccinées, au détriment de celles qui volontairement ne le seraient pas.
Enfin, dans sa réflexion, le Comité consultatif national d’éthique considère que « le contexte, quel qu’il soit, ne peut modifier les principes éthiques, même si une situation inédite comme celle provoquée par la lutte contre l’épidémie peut contraindre seulement à les hiérarchiser provisoirement, mais de manière argumentée en toute transparence ».
Les valeurs dont nous devons être collectivement les garants
J’estime que le contexte pandémique dont on ne maîtrise en rien l’évolutivité, pourrait nous contraindre à la difficile responsabilité de hiérarchiser nos principes éthiques, à titre provisoire et en ayant le souci d’exercer un contrôle sur les modalités d’un arbitrage en situation caractérisée comme exceptionnelle. L’expérience sociétale acquise depuis près de deux ans, ainsi que celle restituée par les professionnels de santé alors que nous sommes confrontés à une phase inquiétante de menaces encore imprécises, nous enjoignent au devoir d’une concertation argumentée portant sur les critères d’acceptabilité des décisions qui concernent les valeurs dont nous devons être collectivement les garants.
Il nous faudra peut-être aborder dignement, dans la rigueur et la transparence d’arbitrages pertinents et justes, la nécessité de choix de priorisation en réanimation intégrant des critères non exclusivement d’ordre médical. N’est-il pas préférable d’anticiper cette éventualité, plutôt que de concéder à une forme d’indifférence ou de tolérance à des pratiques qui devraient elles aussi mobiliser notre attention ? Je constate ainsi que les déprogrammations contraintes des interventions et des traitements se décident aujourd’hui sans que soit précisé dans quelles conditions sont établis les critères d’arbitrage des choix sans pour autant susciter des controverses publiques. D’un point de vue strictement médical, l’intérêt direct de la personne qui subit les conséquences parfois vitales d’une déprogrammation est estimé d’une moindre importance que la prise en charge des malades de la Covid-19. Nous y consentons comme si, déjà, nous étions habitués à certains renoncements.
Au nom de quels principes et en référence à quels critères de priorisation estime-t-on qu’une décision est acceptable on non dans le contexte d’une pandémie ? Nous ne saurions nous exonérer d’une responsabilité sociétale à intervenir dans des domaines qui ne relèvent pas seulement de l’expertise ou de la déontologie médicales.
L’exigence politique et éthique d’une réflexion partagée me semble donc d’une plus grande urgence encore face aux multiples défis susceptibles d’affecter notre cohésion nationale et notre mobilisation contre le SARS-CoV-2 au moment de leur plus grand besoin.
Emmanuel Hirsch, Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Saclay
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