Les soignant.es entre le marteau et l’enclume
Tantôt loué.es – « Applaudissez ces héros.ïnes du quotidien ! » – tantôt décrié.es – « C’est criminel qu’un.e soignant.e ne soit pas vacciné.e » – les soignant.es reçoivent des injonctions contradictoires venant du pouvoir. Pendant des années, le système de santé a été sous-investi par les politiques : coupes budgétaires par-ci, gros chèques aux firmes pharmaceutiques par-là, marchandisation des soins partout.
De l’argent a été promis, mais aujourd’hui les soignant.es n’en voient pas la couleur. L’avenir ressemble vaguement à ce que l’on a connu hier : faire plus avec toujours moins !
Services de première ligne insuffisamment présents sur certains territoires, hôpitaux en déficit financier, fermetures de lits, pénuries de personnel, défaut d’augmentation du nombre de soignant.es (à travers les normes d’encadrement), barrières à la formation, revalorisation salariale qui se fait attendre,…
Ce secteur ne peut plus être géré comme il l’est depuis trop d’années : il doit être refinancé à la hauteur des besoins, socialisé, démocratisé et libéré des logiques de marché et des exigences continues de productivité.
Crédits Photo : New York National Guard
L’obligation vaccinale, le mot amer d’un échec de communication
Une obligation vaccinale uniquement pour les soignants ? Depuis l’an dernier, des soignant.es infecté.es mais non symptomatiques sont contraint.es de travailler. Des soignant.es vacciné.es ayant eu un contact à haut risque doivent également continuer à travailler dans l’attente d’un premier résultat négatif. La sanction d’aujourd’hui contre les soignant.es non vacciné.es n’est-elle pas choquante au regard du laxisme d’hier et d’aujourd’hui ?
Sur le fond de l’affaire, si le but est d’améliorer la santé publique, c’est-à-dire de ne pas transmettre la maladie, qui plus est dans un lieu où arrivent des personnes malades et fragilisées, et de ne pas surcharger les soins intensifs, pourquoi ne pas l’appliquer au personnel non soignant en contact avec les patient.es ? Aux visiteur.euses et aux familles qui accompagnent ? Les soignant.es sont formé.es à la désinfection, aux normes d’hygiène et à l’utilisation du matériel de protection, probablement mieux que quiconque. Bien d’autres groupes sont susceptibles de transmettre davantage le virus, comme par exemple les enseignant.es qui fréquentent les enfants non vaccinés.
Ces sanctions créent surtout un risque inquiétant de pénurie de personnel. Les membres du personnel de soin doivent être protégé.es face au virus, par la vaccination et par le respect des autres mesures de prévention (testing, quarantaine effective après un contact à haut risque,…), mais ils doivent également être protégé.es dans leur emploi ! De telles sanctions disproportionnées ne peuvent que renforcer le pouvoir des directions face aux personnels exténués. Aucune sanction au niveau du travail ou au niveau financier (qui pénaliserait davantage les classes populaires) n’est souhaitable. Stigmatiser un groupe ne fera que cliver davantage notre société.
Il faudrait plutôt se demander pourquoi une partie de la population ne souhaite pas se faire vacciner. En clair, tenter le débat, sensibiliser avec des outils adaptés et accessibles, répondre aux questions sans boniments ni mépris.
Tout a-t-il été fait pour convaincre (sans imposer) ?
La vaccination a fait ses preuves pour diminuer les effets de la maladie, il n’y a pas de doute là-dessus. Comme l’écrivent plusieurs experts : « Tant qu’il existe une efficacité vaccinale contre la transmission, l’infection et les hospitalisations et qu’il y a des preuves solides à l’appui dans ce sens en provenance d’un grand nombre de pays, la vaccination reste un acte de solidarité. »
Pour cette raison, nous devons défendre et promouvoir la vaccination généralisée de la population. Comme pour les vaccins contre la poliomyélite et contre le papillomavirus, la notion d’obligation vaccinale renvoie à l’importance de vacciner le plus grand nombre de personnes afin de réduire le risque de la maladie pour les personnes les plus exposées ou les plus fragiles (dans le cas du Covid-19, les personnes âgées, les personnes présentant un mauvais état de santé antérieur ou se trouvant dans des conditions de vie difficiles, etc.). Mais une telle vaccination ne peut se concevoir sans de véritables campagnes de sensibilisation participatives, sans que les autres mesures de prévention ne soient renforcées, et sans que le débat ne soit débarrassé de la question des sanctions mises sur la table par le gouvernement et le patronat.
Si des initiatives de sensibilisation de quartier, des sites de FAQ, des outils de promotion de la vaccination sont enfin arrivés, il n’existe toujours pas de campagne à l’échelle nationale (avec des images, en plusieurs langues, etc.), pas d’utilisation des panneaux publicitaires pour des initiatives de promotion de la santé, pas de débats participatifs avec les citoyen.nes,… Il est probable que le sous-financement de la médecine de première ligne favorise la méfiance vis-à-vis de la vaccination, car les patient.es ont de moins en moins de relations suivies avec un médecin de famille.
Il serait certainement utile d’identifier les profils majoritaires des personnes réfractaires à la vaccination, de manière à aller vers elles avec une communication ciblée (en particulier les femmes en désir de grossesse). Il n’est pas trop tard pour organiser des formations et des actions « questions-réponses » sur les lieux de travail, dans les quartiers, afin de faire en sorte que les gestes de protection (y compris la vaccination) soient mieux compris et fassent partie du quotidien. Des moyens doivent être dégagés à cette fin.
La part de responsabilité du gouvernement dans le manque de confiance vis-à-vis des mesures de prévention, et en particulier de la vaccination
La défiance d’une partie de la population envers les mesures du gouvernement est à imputer, en premier lieu, aux discours et aux actions contradictoires du gouvernement lui-même.
On se souvient des premières réactions de déni (« le covid, cette petite grippe ! »), de la destruction des stocks de masques, de la multiplication des décisions à des échelles de pouvoirs différentes frôlant l’incohérence (« En Flandre, plus besoin de masque, mais à Bruxelles et en Wallonie, si ! »), sans parler de l’instauration d’un CST que les responsables politiques ont présenté comme une assurance de sécurité pour les vacciné.es, et qui aujourd’hui est largement décrié à juste titre.
Le fait que les vaccins soient produits par des multinationales pharmaceutiques aux intérêts privés, le manque de transparence dans le discours politique, un accès entravé à une information de qualité, le peu de débat citoyen font gravement défaut au gouvernement et n’incite pas à la confiance de la population envers les mesures qu’il préconise.
Le CST, la surveillance et le contrôle social par excellence
Le but du CST est de protéger la santé de la population lorsque des lieux, des situations, des évènements ne permettent pas de respecter la distance physique et/ou d’autres gestes barrières. C’est un outil pour maintenir la vie sociale et économique. Mais son extension crée une situation de « contrôle de tout.es par tout.es », ce qui génère inévitablement son lot de dérives : le contrôle (illégal) du CST par des employeurs à l’entrée de certains lieux de stage ou de certains lieux de travail, le contrôle (légal) du CST de certains travailleurs à l’entrée de certains événements ou établissement dans lesquels ceux-ci doivent se rendre pour des raisons professionnelles, en sont quelques exemples.
Aujourd’hui, chaque citoyen peut contrôler les données de santé et d’identité d’autres citoyens, et ce en toute légalité, pour peu qu’il organise un « événement » au sens de la législation liée au CST. Combien de temps cette surveillance sociale généralisée va-t-elle durer ? Ne risque-t-elle pas d’entrer dans les mœurs et de diviser profondément notre camp social ? L’obtention du CST pour participer à la vie sociale est un incitant pour la vaccination. Mais n’est-ce pas se tromper de débat ? Si l’on se vaccine, est-ce pour éviter les formes graves de la maladie (pour soi-même et pour les autres) ou pour aller au restaurant « entre vacciné.es » ? Le CST ne pousse pas à un choix éclairé et solidaire.
La fracture numérique, nous ne vivons pas tou.te.s dans le même monde
Vous avez sûrement fait le parcours de devoir vous faire tester ou d’être en quarantaine. Ce parcours est semé d’embûches pour les fracturés numériques, c’est-à-dire pour les populations qui n’ont pas accès facilement à des outils informatiques, en ligne, avec une bonne connexion.
Prendre un rendez-vous en ligne, avoir un numéro national ou devoir demander un numéro BIS à son médecin, scanner des QR-codes, imprimer des documents, recevoir et lire ses résultats, s’informer en ligne sur les mesures à prendre, encoder des documents sur « masanté.be »,… Un vrai casse-tête aussi pour les soignant.es qui, pour répondre aux préoccupations de leurs patient.es, finissent par prendre, tout à la fois, le rôle de guichet d’info-corona, de service à la population, de CPAS et d’informaticien.ne spécialisé.e !
Quant au CST, son accessibilité compliquée accroît les inégalités sociales. La fracture numérique limite fortement l’accès à un énième papier d’identification. Pour de nombreuses associations qui ont pour missions de lutter contre les exclusions sociales, le CST se révèle parfois une entrave à la réalisation d’activités communautaires. N’oublions pas que pour les personnes n’ayant pas de NISS (numéro national) ou vivant sans domicile, il est très difficile d’obtenir son CST (Comment se rendre sur « masanté.be » ? Comment faire parvenir par la poste son CST ? …).
La vaccination doit être pensée dans une vision globale et mondiale de la santé
Si la vaccination a été vantée comme la promesse d’un monde meilleur, ce n’est manifestement pas pour tout le monde. Le refus de défendre la levée des brevets, le manque de vision du vaccin comme un « bien commun » public, l’absence de planification mondiale de la vaccination génère un risque accru lié à la hausse de la contagiosité (et donc la limitation de l’intérêt des vaccins) venant des variants qui, eux, n’ont pas de frontières.
Le gouvernement belge, trop lié à l’industrie pharmaceutique présente sur son territoire, refuse de s’engager en faveur de la vaccination des peuples du Sud. Ce raisonnement purement capitaliste est un crime. La levée des brevets est une mesure d’urgence sanitaire.
La vaccination doit aller de pair avec des mesures de protection individuelles et collectives
Ces derniers temps, en particulier avec le CST, la vaccination a été vendue comme la voie quasi unique pour endiguer la pandémie. Pourtant, bien des choses doivent être faites : ne pas abandonner les gestes barrières ; revenir aux mesures sectorielles en vigueur lors du premier confinement (par exemple, 1 client par 10 m2 dans les magasins) ; investir sur le long terme dans la prévention collective et en particulier dans les systèmes d’amélioration de la qualité de l’air dans les espaces de travail et dans les lieux publics (avec un soutien financier de l’Etat dans les secteurs non marchands) ; faciliter l’accès aux tests ; lutter contre la fracture numérique ; prévenir les risques pour la santé mentale des personnes ; imposer la formation aux mesures de protections sanitaires et renforcer l’éducation à la santé dès le plus jeune âge. Sans attendre le gouvernement, les travailleurs et les organisations syndicales pourraient créer un rapport de force pour réaliser nombre de ces mesures dans les entreprises.
Pour conclure, ce que nous souhaitons défendre dans ce débat sur la vaccination, c’est le besoin de solidarité, de débat public, d’accès à une information de qualité et d’une vision de la santé globale et mondiale. Cette vision systémique doit inclure le refinancement drastique des soins de santé, l’augmentation et la revalorisation du personnel et la levée des brevets sur les vaccins. Nous en sommes loin. Notre mobilisation sera plus que nécessaire.
Commission Santé de la Gauche Anticapitaliste