La crise sanitaire a jeté une lumière crue sur les failles de notre système de santé qui était déjà sous tension avant même l’émergence de la pandémie. Ce système repose en grande partie sur l’abnégation des personnels dont nous soutenons la mobilisation du 4 décembre 2021 pour la défense de l’hôpital public.
Ces difficultés structurelles ont des causes multiples, certaines intrinsèques à l’organisation du soin et au manque de moyens, d’autres sont plus profondes, en lien avec l’épidémie de maladies chroniques qui s’observe depuis ces dernières décennies, dont l’origine environnementale est aujourd’hui scientifiquement établie.
Les victimes du Covid sont prioritairement les personnes atteintes de maladies chroniques (obésité, hypertension, diabète, maladies cardiovasculaires, etc.) et 15 % des décès dus au coronavirus sont par ailleurs liés à la pollution de l’air. En février 2021, Epi-phare (Caisse nationale d’Assurance-maladie-CNAM/Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé-ANSM) a réalisé une analyse des données de l’intégralité de la population française, soit 67 millions de personnes, afin d’identifier les maladies chroniques et les facteurs tels que l’âge ou le genre susceptibles d’induire un sur-risque d’hospitalisation ou de décès pour le Covid-19.
Le doublement des maladies chroniques
Le constat est sans appel. Sur 47 affections chroniques analysées, 46 sont associées à des risques accrus d’hospitalisation et de décès pour le Covid-19. Certes, l’âge et le sexe sont des facteurs importants, mais, après ajustement sur ces deux facteurs, l’augmentation du risque d’hospitalisation et de décès est de 150 % pour l’obésité et l’insuffisance cardiaque, de 100 % pour le diabète ou les maladies respiratoires chroniques… Le risque est doublé chez les populations les plus défavorisées.
Richard Horton, rédacteur en chef du Lancet, a pu parler à ce propos de « syndémie », c’est-à-dire une pandémie dont l’ampleur provient d’autres facteurs que la cause infectieuse. En France, le nombre des malades chroniques a doublé au cours des deux dernières décennies et ce phénomène s’accentuera si rien n’est fait.
Le rapport de la CNAM publié en 2021 donne la réalité de l’épidémie de maladies chroniques en 2018 : 21 millions de personnes atteintes et une projection de 23 millions pour 2023. Entre 2012 et 2018, les maladies cardiovasculaires sont passées de 3,5 millions à 4,9 millions (prévision 2023 : 5,5 millions), et le diabète de 2,9 millions à 3,9 millions (projection 2023 : 4,4 millions).
Pour améliorer la situation du système de soin
Selon Santé publique France, entre 1990 et 2018, l’incidence de cancers en France a augmenté de 93 % chez la femme et de 65 % chez l’homme. Le Centre international de recherche sur le cancer prévoit une croissance du nombre de cas de cancers de 24 % et une progression du nombre de décès par cancer de 35 % d’ici 2040 en France.
Entre 2003 et 2019, le nombre de cancers pédiatriques (tranche d’âge de 0 à 19 ans) est passé de 2 556 cas à 3 030 cas, soit une augmentation 6 fois plus rapide que la croissance démographique de cette tranche d’âge. Enfin, l’obésité a été multipliée par deux en 25 ans et l’OMS nous annonce que d’ici 15 ans, le quart de la population française pourrait en souffrir.
L’augmentation cumulée des dépenses liées aux maladies chroniques entre 2012 et 2018 a été de 48,4 milliards d’euros. Un calcul simple montre qu’en 2023, le surcoût par rapport à 2012 serait donc de 120,2 milliards d’euros. Ces chiffres montrent qu’en s’attaquant à cette progression, les gains économiques seraient suffisants pour améliorer considérablement la situation du système de soin.
Une politique de prévention primaire
Le constat de l « épidémie de maladies chroniques » est établi depuis 2006 par l’OMS Europe, repris par l’OMS au niveau mondial depuis 2008 et a fait l’objet de deux résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU en 2011 et 2018. Objectif 2030 : réduire de 30 % la mortalité prématurée par maladies chroniques et arrêter la progression de l’obésité et du diabète.
Malgré cet engagement au plus haut niveau, on n’en trouve aucune trace dans les politiques de santé et d’environnement, notamment dans le plan national Santé-environnement. Parce que le système de soins et l’hôpital en particulier ne peuvent être laissés seuls face à ces difficultés structurelles, il est indispensable de sortir d’une logique purement médicale pour mettre en œuvre une véritable politique de santé et améliorer la résilience de la société face à ce type de crises sanitaires susceptibles de se reproduire à une échéance rapprochée.
Les données de l’enquête Epi-phare sont claires. Il est possible de diminuer considérablement le risque d’une pandémie virale comme celle que nous connaissons, si on considère que c’est aussi une « syndémie ». Il n’est pas possible d’agir sur l’âge et le sexe, mais il est par contre possible d’agir sur l’environnement, qu’il soit physique ou social.
Pour sauver l’hôpital, il est urgent de diminuer le poids des maladies chroniques en s’attaquant à leurs causes environnementales par une politique de prévention primaire. Au-delà des drames humains, c’est la pérennité de notre système de santé et même de sécurité sociale qui est en jeu.
Collectif
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