
Copyright. Manifestation de solidarité envers Petr Uhl au (centre) et autres.
Francophone, c’est à Paris que Petr a découvert les idées de la Quatrième Internationale au cours de plusieurs voyages et rencontres où il avait pris contact avec Alain Krivine. Il avait fait sa connaissance à Moscou, au Festival international de la jeunesse, en 1957 où Alain Krivine était délégué de la jeunesse communiste de France. Petr Uhl découvrit donc à Paris, les activités de la gauche « krivinienne » dans l’Union des Etudiants communistes, puis celles de la Quatrième internationale. Il partageait avec elle de profondes convictions anti-impérialistes internationalistes et notamment l’espoir de nouveaux soulèvements dans les pays d’Europe de l’Est visant à réduire l’écart entre leur réalité bureaucratique et les buts socialistes.
De son attachement à un « socialisme par en bas » témoigne encore le texte qu’il écrivit pendant l’ère Gorbatchev en 1988 [1]. Il y critique ce qu’il appelle les « réformes d’en haut » – comparant celles de Dubcek en 1968 à celles de l’URSS en 1988 – en défendant une « démocratie par en bas ». En 1980 son livre publié par La Brèche exprimait son point de vue sur « le socialisme emprisonné ». Il le défendait y compris au travers de liens militants transfrontaliers clandestins notamment entre opposants de Pologne, comme Jacek Kuron, et de Tchécoslovaquie, et dans la diffusion de la littérature censurée – notamment celle de notre courant.
Il fut un prisonnier politique de l’ancien régime, passant près de dix ans de sa vie en prison dans des conditions souvent dures, la dernière fois (dans le contexte de 1968) pour « complot trotskiste ». Petr Uhl ne cachait pas ses sympathies, mais il n’a pas été membre de la Quatrième Internationale – ce dont notre déléguée à son procès, en octobre 1979, devait témoigner [2].
Il lui était en fait reproché d’avoir osé regrouper quelques dizaines de jeunes dans le contexte de l’émergence des « mouvements par en bas » qu’il évoque, stimulés par le « Printemps de Prague », puis d’être actif avec d’autres dans la Charte 77 et autres associations de défense des droits. Sans être lui-même membre du PCT, il était proche du père d’Anna Šabatová (son épouse), Jaroslav Šabata, un des animateurs de l’aile autogestionnaire du Parti communiste tchécoslovaque : ce courant soutint, à la fois contre l’aile conservatrice (Novotny) du régime et contre les réformateurs technocrates, les conseils ouvriers dans les entreprises qui se développèrent pendant l’intervention soviétique, jusqu’en 1969.
Petr Uhl était alors, à nouveau, en prison. Et c’est là qu’il a côtoyé pendant plusieurs années l’écrivain Vaclav Havel qui devint son ami. C’est avec lui (et bien d’autres intellectuel·es) qu’il a formé en 1977 la Charte 77, puis le VONS (Comité de défense des personnes injustement poursuivies). Petr Uhl n’était pas (contrairement à beaucoup d’autres membres, comme Havel) un « dissident » anti-communiste. Par contre, il considérait comme essentielles les batailles démocratiques pour un socialisme digne de ce nom. Il s’est donc engagé dans la mise en place d’organismes et fronts pour le respect des droits, rassemblant des personnes d’horizons idéologiques divers que rapprochaient les luttes « contre » (la répression ou la censure) mais sans réel programme commun « pour » et définissant une autre société.
Un tout autre contexte s’ouvrit en 1989, lorsque, dans la foulée de la chute du Mur de Berlin, la « révolution de velours » de 1989 mit fin au règne du Parti communiste de Tchécoslovaquie et porta au pouvoir Vaclav Havel. Petr Uhl décida alors de s’inscrire, un temps, dans le pluralisme politique émergeant en devenant député du Forum civique – renonçant, de ce point de vue, à un combat pour le socialisme. Mais il garda jusqu’à la fin de sa vie un attachement à l’internationalisme et une opposition résolue à l’OTAN, percevant la construction de l’Union européenne (UE) comme un contrepoids positif aux États-Unis. Insatisfait de la vie politique des partis (tout en se rapprochant des Verts), il se concentra sur deux facettes de ses activités : celle de journaliste (au Právo), et celle de défenseur des Droits humains.
Il se mobilisa notamment et concrètement pour les droits des Roms, affichant publiquement son refus de la citoyenneté Tchèque – après la division de la fédération qu’il déplorait, lorsque le régime tchèque fit bâtir un mur pour empêcher les Roms de Slovaquie d’entrer dans le nouveau pays indépendant. Mais il occupa aussi plusieurs fonctions officielles dans la défense des droits : de 1991 à 2001, il a en effet été expert auprès de la Commission des droits de l’homme des Nations unies et, de 1998 à 2001, commissaire aux droits de l’homme du gouvernement tchèque, présidant le Conseil gouvernemental pour les nationalités, le Conseil des droits de l’homme et la Commission interministérielle pour les affaires de la communauté rom.
De multiples façons, sa femme et ses enfants ont partagé cet engagement pour des droits universels : Anna Šabatová fut comme lui membre de la Charte 1977 et assuma même la fonction de porte-parole. Elle devint médiatrice de la république de 2014 à 2020. Et Petr était particulièrement fier de l’exploit de sa fille, Saša Uhlová, « infiltrée » dans les entreprises de son pays pour en révéler les conditions inhumaines de travail, dans un reportage qui fut très popularisé (jusque dans le Monde du 8 décembre 2017) dans un article intitulé « Sasa Uhlova porte-voix des oubliés du miracle économique tchèque » [3]. Petr Uhl fut jusqu’à la fin de sa vie un défenseur courageux de tous les « oubliés ». Il est donc resté à cet égard pleinement notre camarade.
Nos pensées émues et solidaires vont à sa femme et ses enfants.
2 decembre 2021
Catherine Samary et Hubert Krivine au nom de la Quatrième internationale