Combien de temps faudra-t-il encore ? De combien de témoignages auront-ils besoin ? De combien de femmes, courageuses, offrant leur visage et leurs mots à notre conscience collective ? L’affaire Nicolas Hulot doit être l’occasion de tirer les leçons de l’insuffisance des politiques publiques contre les violences sexistes et sexuelles, de l’impunité des sphères du pouvoir et de la lâcheté de nos responsables.
France 2 a diffusé jeudi 25 novembre une enquête documentée, longue de quatre années, à propos d’accusations de violences sexuelles visant Nicolas Hulot, une des personnalités préférées des Français·e·s, ancien animateur de télévision sur TF1, figure de l’écologie à travers sa fondation, la FNH, et son engagement politique, ex-candidat à la primaire d’Europe Écologie-Les Verts et ministre sous Emmanuel Macron.
Les accusations de plusieurs femmes
Trois femmes, dont deux à visage découvert, y témoignent de faits susceptibles d’être qualifiés d’agressions sexuelles. Tous sont anciens. L’une d’elles était mineure au moment des faits : Sylvia venait d’avoir 16 ans en mai 1989. Elle affirme avoir été agressée sexuellement dans sa voiture. Cécile, alors âgée de 23 ans, assure quant à elle avoir été agressée sexuellement en 1998, à Moscou, où elle travaillait. Une ancienne collaboratrice de Nicolas Hulot raconte qu’il l’a embrassée « de force », après une réunion de travail en 2001.
Dans cette enquête, la militante écologiste Claire Nouvian rapporte aussi avoir été prévenue, en 2008, par l’entourage de Nicolas Hulot : « Évite les situations si tu es seule avec lui. »
Deux autres femmes ont livré leur récit par écrit. Ainsi l’animatrice Maureen Dor raconte qu’en 1989, quand elle avait 18 ans, Hulot lui aurait sauté dessus et aurait tenté de l’embrasser. « Aucune femme qui témoigne à visage découvert ou anonymement ne le fait facilement et de gaieté de cœur. Mais certaines douleurs enfouies doivent sortir pour faire place à de nouvelles émotions qui, elles, ne feront pas mal », conclut-elle.
Une ancienne employée de TF1 a raconté, sous couvert d’anonymat, avoir rencontré l’animateur « au début des années 1990 », alors qu’elle avait 23 ans. Elle assure elle aussi avoir été agressée sexuellement par l’animateur de télévision.
Il y a trois ans, en 2018, le magazine Ebdo, aujourd’hui disparu, avait déjà révélé l’existence d’une plainte pour viol, déposée en 2008 – classée sans suite par le procureur de la République à l’époque.
Au total, ce sont donc sept femmes qui, ces dernières années, ont accusé Nicolas Hulot de violences sexistes et sexuelles. L’ancien animateur d’« Ushuaïa » a quant à lui toujours nié avoir exercé la moindre violence.
À la veille de la diffusion de l’enquête de France 2, il a pris les devants – comme lors des précédentes révélations – en allant sur le plateau de BFMTV : « Ni de près ni de loin je n’ai commis ces actes. Ces affirmations sont purement mensongères. Je le dis une fois pour toutes, fermement et définitivement », a déclaré l’ancien ministre. Il a annoncé son retrait définitif de la vie publique. « J’ai juste la nausée de ces procédés. Pourquoi vais-je m’entêter à être présent dans un espace public, à pérenniser une notoriété qui me fait subir aujourd’hui ce qu’un homme peut subir de pire ? », a-t-il poursuivi.
Le parquet de Paris a annoncé vendredi l’ouverture d’une enquête préliminaire « des chefs de viol et agression sexuelle »,« pour des faits susceptibles d’avoir été commis à Paris à l’égard d’une victime mineure » – il s’agit du témoignage de Sylvia.
Les investigations ont été confiées à la brigade de protection des mineurs (BPM) de la Direction régionale de la police judiciaire (DRPJ). Elles devront déterminer si les faits sont établis et s’ils sont couverts par la prescription. Celle-ci a beaucoup varié ces dernières années et elle est beaucoup plus importante pour les violences sexuelles sur les mineur·e·s que pour celles sur les majeur·e·s.
Sur les violences sexuelles, des stéréotypes encore ancrés
Au-delà de son devenir judiciaire, et des suites médiatiques qu’elle ne manquera pas d’avoir, cette affaire doit nous interroger, tant elle est bavarde. Revenons d’abord sur le discrédit qui pèse souvent sur les accusations formulées et sur la parole des femmes.
Longtemps, dans l’entourage de Nicolas Hulot, chez certain·e·s dirigeant·e·s écologistes, dans les salles de rédaction de la presse française, s’est répandue l’idée qu’il était peut-être un coureur de jupons, sans doute un séducteur, voire un « dragueur lourd ». Mais pas plus. Cela paraissait impensable, inimaginable.
Ces mots-là, on les a entendus dans de très nombreuses affaires, et récemment encore dans celle visant l’ancien journaliste vedette de TF1 Patrick Poivre d’Arvor. À propos de Dominique Strauss-Kahn, l’ancienne ministre socialiste Élisabeth Guigou avait expliqué dans un documentaire de Netflix de 2020 : « Que nous ayons l’idée que Dominique était un séducteur… Mais il y a une très grande différence entre être charmeur, être séducteur, et puis la contrainte, le viol. D’ailleurs, pourquoi aurait-il besoin de le faire ? C’est un homme charmant, brillant, intelligent, il peut être drôle par moment… Pourquoi ? »
Ces hommes-là n’auraient pas « le profil ». Nicolas Hulot lui-même a joué de ces stéréotypes mercredi sur BFMTV. Il a ainsi ironisé sur son physique : « Je sais que j’ai un physique très ingrat et que donc seule la contrainte me permet de vivre des histoires d’amour. Non, sérieusement, je n’ai jamais séduit par contrainte. »
Des phrases qui font là aussi écho. La conseillère régionale EELV Annie Lahmer, qui avait témoigné en 2016 contre Denis Baupin, l’ex-vice-président de l’Assemblée nationale, en sait quelque chose : « C’est exactement ce qu’a dit Denis Baupin en 2016. En substance, être accusé d’agression était une remise en cause de son charme. C’est la marque des vrais dominants. »
Répétons-le : l’idée que les violences sexuelles seraient commises par des personnes laides et qui ne parviendraient pas à séduire quiconque est fausse. Toutes les études le montrent : le physique n’a rien à voir là-dedans. Tout comme le sexe ou le désir. Les violences sexistes et sexuelles sont une affaire de domination et non une relation sexuelle qui aurait mal tourné.
Autre cliché : les lieux et les circonstances. Pour se défendre, Nicolas Hulot évoque une des accusations en sous-entendant que sa description est improbable : « Un matin, dehors, vous imaginez ça ? » Même chose sur le récit « dans un taxi ». Sans entrer dans le débat sur les faits eux-mêmes, les travaux des chercheurs et les études publiques sont univoques : notre imaginaire de violences sexuelles commises la nuit, dans un parking mal éclairé, par un individu louche, est trompeur. Il ne reflète qu’une toute petite partie de la réalité.
Elles sont bien plus banales qu’il n’y paraît, souvent commise par un proche ou une personne que l’on connaît, dans des lieux du quotidien. Simplement, trop souvent, on ne veut pas voir.
Le sexisme des puissants
On ne veut surtout pas voir quand il s’agit d’hommes puissants, de ministres, d’hommes riches ou aisés, ayant accès aux médias. Le violeur, l’agresseur ou le harceleur, dans l’imaginaire collectif, reste trop souvent le garçon aux mauvaises manières, issu d’un quartier populaire (et donc souvent d’origine étrangère ou non blanc). Celui qui siffle dans la rue, adossé à l’abribus.
Là encore, toutes les données disponibles opposent une version bien différente : les violences sexistes et sexuelles existent partout, dans tous les milieux, dans tous les pays, dans toutes les catégories sociales (y compris populaires, faut-il le préciser ?).
Mais le pauvre, et le pauvre d’origine étrangère, reste encore au cœur des discours politiques et médiatiques. La politique du gouvernement en témoigne. La campagne d’Éric Zemmour en est un symptôme affligeant : voilà un candidat d’extrême droite, accusé par sept femmes d’agressions sexuelles, qui prétend que les violences sont commises par les étrangers, notamment les mineurs isolés. Dans son dernier livre, il va même jusqu’à absoudre Dominique Strauss-Kahn et Tariq Ramadan…
Des hommes puissants, encore une fois, et qui doivent le rester.
La responsabilité d’Emmanuel Macron
C’est aussi le signal terrible qu’envoie le président de la République Emmanuel Macron depuis bientôt cinq ans au pouvoir. La fable de l’égalité femmes-hommes, « grande cause du quinquennat », a vécu. Dans les salons du pouvoir, on se parle « d’homme à homme », et on reste d’une « sérénité de marbre » face à des accusations de violences sexuelles.
Ces deux expressions, on les doit au chef de l’État. La première a été prononcée pour défendre le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, visé par une plainte pour viol et mis en cause, dans plusieurs enquêtes, pour abus de pouvoir. La seconde lui a été attribuée par son porte-parole Bruno Roger-Petit en 2018 après la première enquête sur Nicolas Hulot.
À la même époque, le premier ministre Édouard Philippe affirmait : « Je le soutiens depuis le début, et je le soutiendrai toujours. » On ne sait pas si le maire du Havre a changé d’avis depuis. Quant à la ministre Marlène Schiappa, elle avait publié une tribune dans Le Journal du dimanche pour prêter main-forte à celui qui était encore son collègue au gouvernement.
« Pourquoi les accusateurs de Nicolas Hulot bafouent la parole des femmes », avait écrit celle qui était alors chargée de l’égalité femmes-hommes. Elle s’était même prêtée à une mise en scène pour afficher son soutien à celui qui devait démissionner du gouvernement quelques mois plus tard, pour des raisons politiques.
Le précédent de 2016 : la théorie du complot
Les accusations portées contre Nicolas Hulot n’ont donc eu aucune conséquence politique au gouvernement. Elles ne l’ont pas non plus empêché, ensuite, de reprendre la présidence de sa Fondation et d’être invité sur tous les plateaux télé, jusqu’aux récentes Assises du journalisme.
Cela faisait pourtant plusieurs années que des alertes circulaient, même de façon imprécises et incomplètes, dans les états-majors de plusieurs formations politiques. Une fois au moins, elles ont été prises en partie au sérieux.
C’était en 2016. Nous étions peu après l’affaire Baupin, qui avait profondément secoué le parti Europe Écologie-Les Verts. À l’époque, la présidentielle se préparait déjà. Nicolas Hulot envisageait d’être candidat – lui qui avait perdu la primaire de 2011. Il faisait figure de sauveur possible de l’écologie politique et il avait le soutien de nombreux dirigeants.
À l’époque pourtant, Cécile Duflot, l’ex-secrétaire nationale d’EELV, avait alerté certains de ses camarades, les prévenant qu’une femme était venue se plaindre auprès d’elle de Nicolas Hulot, qu’elle ne savait pas ce que valait son récit, mais qu’on ne la reprendrait plus à soutenir un homme accusé de violences sexuelles.
« J’ai signé une tribune disant que je ne me tairais plus, alors voilà », disait-elle en substance, à l’époque à ses camarades. En mai 2016, elle a signé un appel avec 16 autres anciennes ministres affirmant : « Cela suffit. L’impunité, c’est fini. Nous ne nous tairons plus. »
Nicolas Hulot a finalement renoncé à se présenter. Mais parmi de nombreux écolos, la thèse d’un complot de Cécile Duflot, pour assurer sa propre candidature (effective quelques mois plus tard à la primaire, qu’elle a perdue), a connu un joli succès. De rédaction en rédaction, elle se répétait régulièrement.
À l’évidence, et dans les discussions de l’époque, elle semblait bien plus vraisemblable que celle de violences sexuelles qu’aurait commises la personnalité préférée des Français·e·s. « Quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt », aurait-on envie d’ajouter.
Lénaïg Bredoux