Depuis quelques années, le Portugal est gouverné par le Parti socialiste, seul. Cependant, ne disposant jamais de la majorité absolue, il a été contraint de conclure des accords avec la gauche, dans ce qui était connu sous le nom populaire de « geringonça » [le truc, le bidule, le machin]. Une expérience pleine de tensions et de conflits, qui s’est terminée par une rupture lorsque le parti socialiste a refusé de s’entendre, le 25 octobre, sur le budget avec le Bloco de Esquerda et avec le PCP (Parti communiste).
Cela a conduit le pays vers de nouvelles élections, fixées à fin janvier 2022, dans un panorama compliqué, marqué par la pandémie et la montée de l’extrême droite. Nous nous sommes entretenu avec Jorge Costa, leader et député du Bloco de Esquerda portugais, sur la situation électorale, les particularités de la configuration politique portugaise, le rôle des partis et des mouvements sociaux et la montée d’une nouvelle extrême droite dans un pays qui, jusqu’à présent, était resté à la marge de ce « phénomène mondial ».
Brais Fernández : Après des années de règne du Parti socialiste, le Portugal se précipite vers de nouvelles élections : que s’est-il passé ? Parlez-nous un peu des perspectives politiques, sociales et économiques générales pour les personnes qui ne suivent pas, au quotidien, la situation politique portugaise.
Jorge Costa : Les élections de 2015, après l’intervention de la troïka [FMI,BCE, Commission européenne], ont abouti à un résultat qui a créé une nouvelle situation. Bien qu’étant la force la plus votée, la coalition de droite s’est retrouvée en minorité au Parlement. A l’époque, le Bloco de Esquerda (Bloc de gauche) et le Parti communiste se sont déclarés prêts à empêcher un gouvernement de droite et à rechercher les bases d’accords politiques avec le PS « dans la perspective d’un accord de législature », comme ils l’ont écrit à l’époque. Un accord de législature est différent d’un accord de gouvernement, il n’implique pas une participation à l’exécutif, mais une série de consensus programmatiques en échange du vote pour l’investiture d’un gouvernement minoritaire au parlement. Ces accords ont établi des mesures et des calendriers pour le relèvement des revenus – salaires de 35 heures pour les employés de l’Etat, augmentation du salaire minimum, allégement fiscal pour le travail, dégel et adaptation des pensions les plus basses – ainsi que le blocage de nouvelles privatisations. Le maintien de ce cadre a permis à la gauche, au cours de la législature, de réaliser quelques avancées supplémentaires dans des domaines importants, tels que la régularisation des travailleurs précaires de l’Etat, la protection sociale des « indépendants », la réduction des taxes d’inscription universitaires, une nouvelle loi sur la santé de base dans un sens progressiste, ou le processus de dépénalisation de « l’aide à mourir », cette dernière toujours en cours.
Ce cadre politique, baptisé initialement avec mépris par la droite de « geringonça » (une appellation adoptée plus tard par les partisans de l’accord eux-mêmes), a créé un nouveau cadre de soulagement social et a favorisé la volonté de protestation, en particulier parmi les salarié·e·s de l’Etat et les secteurs précaires qui ont émergé sur la scène publique. C’est également à cette époque que de nouveaux mouvements de masse ont vu le jour, avec les plus grandes manifestations féministes et antiracistes jamais enregistrées au Portugal, ainsi que d’importantes mobilisations de jeunes pour la justice climatique. Elles font partie du mouvement mondial que la pandémie interrompra plus tard.
Les limites de ce cadre sont rapidement devenues évidentes : le Parti socialiste obéissait aux ordres de Bruxelles pour des décisions telles que l’application des règles de la liquidation et de la restructuration de Banco Espírito Santo [dès 2014], la limitation des investissements publics à des niveaux anémiques ou l’absence de réponse substantielle dans la relance des services publics touchés par les coupes de la Troïka. La législation du travail a conservé les régressions imposées durant la période où la droite est allée au-delà des exigences du Protocole d’accord signé [en mai 2011] entre l’Etat portugais et la troïka.
Malgré ces blocages persistants, le redressement des revenus, combiné aux effets des revenus du tourisme et à la baisse des taux d’intérêt sur la dette (grâce à la politique de la BCE), a permis une relance rapide de la croissance et de l’emploi, reflétée par la croissance des intentions de vote pour le Parti socialiste.
En 2018-2019, sont devenues évidentes les démarches du PS vers un affrontement politique [avec la gauche] qui, à la veille des élections, lui permettait de renforcer de manière spectaculaire son plaidoyer pour l’obtention d’une majorité absolue. Le président du parti, Carlos César [en fonction depuis 2014], est allé jusqu’à qualifier les forces de gauche d’« obstacle » au bon gouvernement des socialistes. Mais cet appel a échoué. En octobre 2019, les partis de gauche ont essentiellement maintenu leurs positions (Bloco 9,5% avec le même nombre de députés, PCP 6,3% avec 12 députés, soit une perte de 5) ; le PS a élu 108 députés [+ 22], dépassant les partis de droite, mais restant à sept sièges de la majorité absolue. Immédiatement, de nouvelles négociations ont commencé, mais désormais sans l’ « état de nécessité » dans lequel le PS a négocié en 2015 [le taux d’abstention enregistré fut le plus fort depuis la révolution des œillets].
Alors que le PCP n’était disposé à entamer que des négociations ponctuelles, mais sans la base d’un accord politique initial, le Bloco de Esquerda a proposé de négocier un tel accord, mais à une condition préalable : l’élimination des régressions introduites par la troïka dans la législation du travail (dévaluation des heures supplémentaires, réduction du nombre de jours de vacances, réduction de la base de calcul des indemnités de licenciement de 30 à 12 jours par année de travail et autres mesures). Le lendemain de la réunion avec le Bloco, António Costa a rencontré les confédérations patronales. Il est également important de noter que le nouveau gouvernement n’a pas été en mesure de parvenir à un accord sur la réforme du Code du travail. Le gouvernement minoritaire a navigué à vue, budget par budget, énonçant de plus en plus ouvertement son chantage à la crise politique et aux élections anticipées et montrant des attitudes contrastées envers les partis de gauche : hostilité envers le Bloco, condescendance et tentative de cooptation du PCP.
Concrètement, quelles sont les exigences que le Bloco de Esquerda et le Parti communiste ont mis sur la table ?
Des semaines après les élections de 2019, le budget 2020 a pu être adopté grâce l’abstention des députés du Bloco et du PCP (et des trois députés élus du Parti de la défense des animaux, le PAN) et grâce à un renforcement significatif des investissements dans la santé. Mais le Bloco de Esquerda a voté contre le budget pour 2021, cela suite à une négociation au cours de laquelle nous nous sommes concentrés sur l’élimination d’articles de la législation du travail imposés par la Troïka et sur d’autres éléments structurels de la politique sociale.
Tirant les leçons de la pandémie, nous avons également présenté des propositions visant à modifier les prestations extraordinaires créées pour l’intervention d’urgence. Nous avons aussi élaboré et présenté un nouveau plan de lutte contre la pauvreté qui renforcerait l’enveloppe préexistante de manière plus large et sans exclusions arbitraires.
Face à la fragilité du Service national de santé (SNS) révélée par la pandémie, le Bloco a proposé un système de rémunération pour l’engagement exclusif des professionnels de la santé afin de lutter contre la promiscuité public/privé et d’attirer comme de retenir dans le SNS les professionnels qui sont actuellement drainés par les hôpitaux privés grâce à de meilleures conditions d’emploi (en particulier les médecins et infirmières).
Le gouvernement a refusé de faire tout cela. Le budget pour 2021 n’a été approuvé qu’avec les abstentions du PCP (dont la principale conquête a été la garantie du paiement à 100% du salaire de base des travailleurs frappés par les licenciements extraordinaires) et du PAN. A ce stade, le PCP continuait à défendre l’idée que les lois sur le travail, qui ne sont pas des questions strictement budgétaires, doivent être négociées par le gouvernement avec les syndicats. Le PCP a changé cette position lors de la négociation du budget 2022. Il a commencé, dans les négociations, à demander le retrait de lois sur le travail mises en place sous l’égide de la troïka – comme le Bloco l’avait fait depuis la proposition de l’accord post-électoral de 2019 – et aussi l’accélération de l’augmentation du salaire minimum. Cela était suffisant pour qu’il vote contre le projet de budget pour 2022.
Face au rejet du budget, António Costa, qui n’a jamais renoncé à se libérer de la négociation avec la gauche, s’est empressé, toujours durant le débat budgétaire, de préconiser de nouvelles élections pour tenter d’obtenir la majorité absolue.
Le PS s’est renforcé électoralement, mais selon les sondages, pas suffisamment pour obtenir une majorité absolue. Pourquoi avez-vous décidé de forcer les élections ? Comment caractériser sa politique et son gouvernement ?
Les prochaines élections deviennent un plébiscite pour le premier ministre. António Costa devra faire face à un difficile test de survie s’il ne parvient pas à obtenir la majorité absolue après avoir provoqué des élections anticipées. Son pari – car il est loin d’obtenir une majorité absolue – consiste à punir les partis de gauche pour leur rejet du budget et à compter sur l’échec de la droite, empêtrée dans des querelles internes de leadership et hantée par la pression de l’extrême droite (Chega). C’est pourquoi de nombreux électeurs modérés, bien que mécontents, pourraient préférer la continuité à l’alternance. Tous ces calculs restent à prouver…
Comme je l’ai déjà mentionné, une caractéristique du gouvernement du PS est sa subordination aux normes européennes. Même dans une situation exceptionnelle, dans laquelle les règles du traité budgétaire [Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance – TSCG] sont suspendues, le Portugal figure parmi les derniers pays développés en termes d’investissements publics en réponse à la crise. Et ce, bien qu’il existe une marge budgétaire permettant de réaliser de nouveaux progrès. Cet alignement bloque également toute mesure défavorable au grand capital, que ce soit dans le secteur immobilier, dans la position rentière des compagnies d’électricité ou dans les soins de santé privés.
Je pense que l’expérience portugaise met en évidence la complexité de la relation avec les partis socialistes en Europe. D’une part, ce sont des partis socio-libéraux ou néo-libéraux progressistes, selon le cas. En revanche, dans un contexte de montée de l’extrême droite ou de consolidation de la droite traditionnelle, ils apparaissent comme une option pour une grande partie du « peuple de gauche », bien qu’ils soient plongés dans une crise historique. Quel type de relation avec le PS proposez-vous ?
Les relations du Bloco de Esquerda avec le PS ont toujours été marquées par d’intenses conflits politiques. Le Parti socialiste est, au même titre que le PSD [Parti social-démocrate, de droite], le principal protagoniste du modèle de modernisation conservatrice qui explique les retards persistants du pays, allant de la privatisation de secteurs stratégiques de l’économie à la consolidation revendiquée de mesures visant à bâillonner les travailleurs sur les lieux de production. En deux décennies, ce conflit a fait place à d’importantes convergences (dépénalisation de la consommation de drogues, droits des LGBT), mais a persisté dans des domaines clés des politiques sociales et financières.
Si en 2015, le Bloco, à tort, aurait pu croire qu’existaient les conditions programmatiques et la confiance suffisantes pour mettre en place un gouvernement de coalition, un tel gouvernement n’aurait duré que quelques semaines. En décembre 2015, deux mois seulement après les élections, le Parti socialiste vendait une banque contrôlée par l’Etat, la Banif [Banco Internacional do Funchal], à Santander avec des pertes de plus de 2 milliards d’euros pour l’Etat portugais [après une nationalisation à hauteur de 60%, la vente à Santander est accompagnée par restructuration de la Banif pour un coût de plus 2 milliards à la charge de l’Etat]. Aucun ministre de gauche ne pourrait faire passer un tel décret.
L’expérience de la « geringonça » (accords 2015-2019) a parfois été traitée dans le débat international comme s’il s’agissait d’un « modèle ». Pour nous, il ne s’agit pas d’un modèle prêt à être appliqué, car il est le fruit de circonstances nationales très particulières. C’était un gouvernement minoritaire d’un parti centriste, pas un gouvernement de gauche. Sa base parlementaire était le résultat d’importants compromis sur le changement politique : la fin de l’austérité et le redressement des revenus. Cette plate-forme s’est ensuite essoufflée et le Parti socialiste a refusé d’accepter les exigences de la gauche qui souhaitait que son soutien au gouvernement soit assorti de la récupération des droits du travail perdus (indispensable pour corriger la stagnation prolongée des salaires moyens) et de la création des conditions de la continuité du SNS (dégradé par la prédation du secteur privé de la santé).
Le Portugal semblait être l’un des derniers pays d’Europe à ne pas avoir d’extrême droite significative. Mais Chega [ça suffit] est apparu. Cela peut paraître surprenant dans un pays dont la constitution est née du renversement d’une dictature par une alliance entre des secteurs de l’armée et les classes populaires. A quoi ressemble l’extrême droite portugaise et quelles sont les causes de son ascension ?
Dans la réorganisation actuelle de la droite portugaise, deux nouveaux pôles se distinguent, l’un d’extrême droite et l’autre ultra-libéral. Ils partagent le même programme économique, basé sur des avantages fiscaux pour les riches et la privatisation des services publics. La radicalisation de la droite dans son ensemble, héritière de la Troïka, hostile à l’Etat social – et pour ce qui est du parti Chega, ouvertement raciste – est un processus de dimension internationale. Le mandat de Trump aux Etats-Unis a apporté une « culture » et des ressources au courant qui alimente cette radicalisation. C’est avant tout cette dynamique internationale qui a motivé le lancement de Chega.
Sous cette impulsion, une poignée de militants d’extrême droite et d’autres mécontents du PSD (qui ont quitté le parti après la fin du mandat, en novembre 2015, de l’ancien premier ministre Passos Coelho) ont entrepris de créer le nouveau parti. Des segments conservateurs des partis traditionnels (PSD et CDS-PP) ont pensé que le moment était venu d’affirmer un programme ultra-réactionnaire et ultra-libéral. Ils ont réussi à rassembler autour d’eux suffisamment de « lumpens » politiques pour obtenir une présence territoriale significative en peu de temps et absorber l’électorat d’un CDS-PP moribond. Il a obtenu des résultats électoraux significatifs dans des municipalités. Une partie de l’électorat de Chega se trouve dans les périphéries défavorisées et était abstentionniste. Mais une autre fraction est issue d’un vieil électorat ultra-conservateur ou salazariste qui s’est abrité pendant des années sous les bannières de la droite traditionnelle. Nous verrons, en janvier 2022, comment l’appel du PSD au vote utile tiendra. Mais Chega est une force qui a déjà gagné son propre espace.
La grande majorité de l’électorat portugais n’a aucun souvenir direct de la dictature et de la guerre [au Mozambique et en Angola], qui a pris fin il y a près d’un demi-siècle. Chega a un électorat très masculin et plus âgé, même si le côté nostalgique de son discours est beaucoup moins accepté que celui de Vox [dans l’Etat espagnol], par exemple. C’est un parti de droite extrême, au machisme agressif, qui exploite les tensions dans les périphéries, la haine des Roms et des musulmans, et en général des pauvres, qu’il qualifie de « dépendants de l’aide sociale ».
Dans les secteurs de la jeunesse, la croissance de l’Iniciativa Liberal a été plus importante. Il s’agit d’un parti de droite avec une rhétorique brutalement individualiste et « méritocratique », libertarien en termes de « mœurs » et anticommuniste. Il provient également de segments du PSD et du CDS. Il s’est présenté pour la première fois en 2019 et n’a élu qu’un seul député, mais a des perspectives de croissance.
Le Bloco affronte cette droite fragmentée sur la base de son héritage commun – la politique de la troïka – et de sa rage de privatisation, que le cadre pandémique a révélé comme une menace pour le bien-être de la majorité de la population, quand le rôle de l’Etat dans la santé, l’éducation ou le maintien de l’emploi reléguait au silence la propagande de la droite.
En ce qui concerne la lutte contre Chega, en plus d’exposer les liens du parti avec des secteurs peu recommandables de « l’élite » économique ou son inclination pour le négationnisme le plus fanatique et dangereux, le Bloco met à l’ordre du jour les questions de la migration et des réfugiés, du racisme et de la mémoire historique que nous refusons de reléguer sous la pression d’un sens commun émergent, violent et révisionniste. La présence sociale d’un nouveau mouvement noir est importante, très jeune et inspiré du Black Lives Matter des Etats-Unis, avec lequel le Bloco entretient des relations très étroites.
Comment le Parti social-démocrate (le nom du principal parti de centre-droit au Portugal) et le reste de la droite affrontent-ils les élections ?
Aujourd’hui, la droite traverse une période de fragmentation, avec une dispute concernant la direction du PSD, avec la disparition du CDS, avec l’émergence d’un nouveau parti ultra-libéral (Iniciativa Liberal) et la forte affirmation de Chega, dirigé par un transfuge du PSD. Vox est le parti dont il s’inspire le plus directement. Cette situation fait que la droite, depuis l’intervention de la troïka, ne parvient pas à dépasser le seuil du tiers des voix.
Dès lors, les visées de la droite pour le pouvoir gouvernemental restent aléatoires. La montée de Chega aggrave encore ce contexte car, aussi définitives que soient les assurances des leaders de droite que les racistes ne feront pas partie de leurs gouvernements, une partie de l’électorat du « centre » – qui oscille entre le PS et le PSD – craint qu’un vote pour la droite traditionnelle n’aboutisse à faire entrer l’extrême droite dans la sphère gouvernementale. Pour l’instant, les perspectives électorales de la droite sont donc minces.
Le Portugal est un cas exceptionnel où deux gauches, l’une plus philo-soviétique (PCP) et l’autre plus liée aux traditions radicales qui ont réapparu dans l’après-68 (Bloco), parviennent à se consolider au milieu du contexte néolibéral. Quelles sont les relations entre elles ?
Les relations entre le Bloc et le PCP sont distantes. Le PCP a une lecture profondément « campiste » de la situation mondiale, qui conduit le parti à défendre des régimes allant du PC chinois au poutinisme, de la dynastie syrienne des Al Assad à la partie de l’oligarchie angolaise tombée en disgrâce. En matière de droits et libertés, voici quelques exemples de divergences : le PCP est contre la « mort médicalement assistée » ou la légalisation du cannabis, refuse la parité hommes-femmes sur les listes électorales, nie l’existence d’un problème de racisme structurel dans le pays et n’a adopté que tardivement un programme développé sur les questions LGBT.
Malgré ces différences, nous sommes d’accord sur la grande majorité des votes parlementaires de nature économique ou sociale. Cela aurait pu augmenter la possibilité d’une articulation politique ces dernières années, mais malheureusement le PCP a toujours refusé, non seulement les réunions tripartites avec le PS pendant la période des accords, mais même des formes d’articulation bilatérale régulière qui permettraient des efforts et des agendas communs de négociation et de mobilisation. De plus, les dirigeants syndicaux du PCP se sont employés ces dernières années à exclure de leurs responsabilités les militant·e·s liés au Bloco et à d’autres courants syndicaux, au point de refuser de mener à bien les débats proposés par les minorités de la direction de la CGTP (Confédération générale des travailleurs portugais).
Quelles sont les perspectives en matière de mobilisation sociale ? Quelles luttes et quels secteurs sont actuellement à « l’avant-garde » de la recomposition d’un camp combatif au Portugal, à travers lequel la gauche pourrait recomposer une alternative à la droite mais aussi au social-libéralisme ?
La pandémie a eu un impact très fort sur les mouvements et les luttes sociales. Les confinements successifs et l’isolement social ont entraîné une démobilisation générale et la rupture des liens avec les militants.
Il y a eu des luttes isolées dans le secteur des soins de santé, les services publics ou dans des professions précarisées comme la sécurité et le nettoyage. Dans les services publics, en particulier, plusieurs grèves prévues ont été annulées à l’approche des élections. Il est encore trop tôt pour évaluer la profondeur de l’effet de la pandémie sur l’aggravation d’un long cycle de désertification syndicale et de faible conflictualité sociale, ce qui pose des questions difficiles pour une gauche combative qui dépend de l’organisation d’affrontements en articulant au niveau parlementaire et social des propositions de mobilisation pouvant gagner une audience majoritaire dans la société.
Ces derniers mois, on observe quelques signes de reprise dans le mouvement pour la justice climatique et dans la lutte antiraciste et afro-descendante (qui a produit la plus grande manifestation de la période pandémique, associée aux protestations mondiales contre l’assassinat de George Floyd le 6 juin 2020). Toutefois, le mouvement féministe n’a pas encore réussi à reprendre le cycle ascendant qu’il avait dans la période précédant immédiatement le covid, avec une présence sans précédent dans la rue.
Enfin, le débat sur la question européenne a pris une nouvelle importance avec la pandémie. Comment évaluez-vous la situation au niveau européen ?
La crise pandémique accentue les asymétries entre les Etats de la monnaie unique (euro). Les fonds destinés à la relance économique apparaissent tardivement, sont insuffisants et, pour la plupart, génèrent de nouvelles dettes. Certes, le tabou allemand sur la mutualisation des dettes a été partiellement brisé. Mais alors que l’économie allemande bénéficie d’aides publiques massives, les gouvernements des pays les plus endettés se soumettent volontairement à l’étranglement budgétaire parce qu’ils anticipent que les déficits désormais autorisés déclencheront des mesures d’austérité dans un avenir proche. Le tabou du financement direct des Etats par la BCE n’a pas été brisé, pas plus que les règles budgétaires qui, crise après crise, se sont avérées contre-productives. Avec ces règles, les ressources financières désormais mobilisées pourraient même aggraver les asymétries qui existent déjà dans l’Union européenne, comme le montre la disparité entre les plans nationaux de réponse aux crises.
Aucun programme de reconstruction ne sera suffisamment ambitieux s’il n’inclut pas la restructuration des dettes souveraines (en particulier la dette détenue par la Banque centrale européenne) et la rupture avec les traités néolibéraux qui attaquent les services publics et les investissements de l’Etat.
Entretien avec Jorge Costa conduit par Brais Fernández