En France, pays supposé disposer d’un des meilleurs systèmes de santé au monde, un lit d’hôpital sur cinq est désormais fermé, faute de personnel, dans les grands hôpitaux publics (CHR/CHU). Ce chiffre effrayant émane d’une enquête menée par le Pr J-F. Delfraissy, président du « Conseil scientifique » (covid) et du Conseil consultatif national d’éthique, sur la base des données fournies par les directeurs d’hôpitaux. Selon les données officielles 19% des 20 000 lits de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) sont actuellement fermés. La situation est la même en province.
Conditions de travail insupportables
L’écho médiatique de ces révélations met sous les projecteurs une réalité constatée depuis des mois dans les services hospitaliers. Faute d’aides-soignantEs, d’infirmierEs, de médecins, et plus généralement de personnel de toutes les catégories, des lits, toujours plus nombreux, doivent être fermés. Des opérations chirurgicales, parfois déjà différées à cause de l’épidémie sont à nouveau ajournées. Des patienEs qui relèveraient de soins hospitaliers sont renvoyés chez eux. Des dépistages de maladies graves (cancers) sont reportés.
Crédit Photo. Photothèque rouge/Martin Noda/Hans Lucas
Conséquence de conditions de travail insoutenables, les chiffres de l’absentéisme dans le personnel est passé au plan national à 11% alors qu’il était entre 8 et 9% il y a deux ans.
Épuisés par des conditions de travail insupportables, démotivés par l’impossibilité de faire correctement et humainement leur travail, soumis aux impératifs gestionnaires de l’hôpital entreprise, las de ne voir rien changer après avoir été « au front », sans protections, contre le virus, des hospitalierEs ne trouvent d’autre solution que la démission pour éviter le « burn out ». Les remplacer devient de plus en plus difficile. C’est un cercle vicieux : les départs rendent les conditions de travail encore plus dures ; l’aggravation des conditions de travail provoque de nouveaux départs et dissuade les nouveaux arrivants.
Mi-octobre, plus de 1000 postes étaient vacants à l’AP-HP, et à l’AP-HM (Marseille) 120 postes d’infirmierEs n’étaient pas pourvus. Dans les deux cas c’est le double d’avant l’épidémie.
Dans une interview à Libération le ministre Véran admet : « Si on extrapole les données, on constate une hausse de près d’un tiers des postes vacants chez les paramédicaux par rapport à l’automne 2019. »
Mal payées, pénibles, perdant leur sens, les professions hospitalières attirent de moins en moins. Ceux qui s’y destinaient abandonnent parfois avant d’être entrés dans le métier. Sans rire, Véran annonce qu’il va « lancer une enquête », pour « comprendre » pourquoi plus de 1000 étudiantEs infirmierEs ont abandonné leur formation entre 2018 et 2021. Une écoute un peu plus attentive de celles et ceux qui galèrent tous les jours dans les services aurait accéléré sa « compréhension » et lui éviterait de dépenser inutilement les deniers publics…
Austérité, attaques sur l’hôpital public : le pouvoir responsable
Dans son interview à Libération, le ministre de la Santé tente de justifier une situation qu’il ne peut désormais nier. Il avance deux arguments : Les départs seraient la conséquence de l’épuisement dans la lutte contre l’épidémie : « Beaucoup de nos soignants sont épuisés par la charge mentale et le rythme de travail de la crise ». Quant à la pénurie de personnels hospitaliers, ce serait la conséquence des politiques menées par ses prédécesseurs : « Il y a des décisions qui n’ont pas été prises il y a vingt ans, on les paye aujourd’hui ». Le gouvernement tenterait aujourd’hui « d’inverser la vapeur ». Les milliards d’euros de revalorisations salariales du « Ségur de la santé », l’élargissement du nombre de médecins formés (« numerus clausus ») et l’ouverture de 6000 places supplémentaires pour la formation des aides soignantes et infirmières, en seraient la preuve.
Oubliant au passage qu’il faisait partie de la précédente majorité (PS) dont « on paye » les décisions, Véran voudrait faire oublier que, depuis le début du quinquennat, Macron et son équipe avaient pour projet non pas « d’inverser la vapeur », mais au contraire d’accélérer et de renforcer les politiques d’austérité, de destruction de l’hôpital public, et de privatisation du système de santé, menées par leurs prédécesseurs.
Quinze milliards d’« économies » sur l’Assurance maladie étaient prévues pour la période 2017-2022. dont la moitié sur l’hôpital. En 2018, la loi Buzyn a accéléré les restructurations, regroupements et fermetures de services, et la transformation des hôpitaux de proximités en EHPAD.
En 2019, la crise hospitalière a éclaté au grand jour avec la grève des services d’urgence, débouchant sur plusieurs mobilisations de l’ensemble du monde hospitalier. Elle s’est heurtée au mépris et à l’intransigeance du pouvoir, cramponné au dogme qu’il n’y avait pas de manque de personnel et de moyens à l’hôpital… et que tout était affaire « d’organisation ». En janvier 2020, à la veille de l’épidémie de covid, la situation était devenue telle que 1000 chefs de services hospitaliers envoyaient leur démission pour dire : « Assez ».
En 2020, 5800 lits ont encore été fermés
Quoi qu’il en dise, avec la pandémie, le pouvoir n’a pas changé de cap. L’exigence massivement formulée au lendemain du premier confinement par les hospitalierEs et la population n’a reçu pour toute réponse que le « Ségur de la santé » : des revalorisations salariales qui ne placent même pas les rémunérations au niveau de la moyenne européenne, et aucune avancée réelle pour donner à l’hôpital les moyens de fonctionner. En 2020, 5800 lits ont encore été fermés, les restructurations hospitalières se sont poursuivies.
L’épidémie a été une épreuve très dure pour les hospitalierEs, mais la désespérance et les départs proviennent avant tout de la conviction qu’avec la politique menée par le pouvoir rien ne changera, sauf en pire. Les maigres augmentations salariales sont déjà rognées par l’inflation (énergie, produits de première nécessité) et aucun plan à la hauteur des besoins n’est mis en place pour remettre à niveau les effectifs de personnel. La loi de financement de la Sécurité sociale actuellement en discussion le confirme. Hors mesures déjà appliquées, elle ne prévoit qu’une augmentation de 2,7% des budgets, quand il en faudrait au moins 4% pour maintenir les moyens.
Alors que l’hiver approche, que dans le monde et en France, une remontée de l’épidémie (espérons-le limitée grâce à la vaccination) s’annonce, l’hôpital, épuisé et fragilisé, peut être submergé à tout moment par un événement habituel en cette saison (grippe, bronchiolite…).
Reprendre les mobilisations
Il y a effectivement urgence à « inverser la vapeur », mais ni Macron ni Véran ne le feront. C’est dans la reprise des mobilisations brisées par le « Ségur de la santé », dans l’exigence politique portée par toute la société de faire de la santé et de l’hôpital une véritable priorité que réside la solution :
– en revalorisant les professions hospitalière pour les rendre à nouveau attractives : 300 euros pour touTEs, tout de suite, et indexation des salaires sur l’inflation ;
– en engageant dès aujourd’hui les moyens nécessaires à un véritable « plan emploi formation » pour remettre à niveau les effectifs statutaires de personnels (100 000 dans les hôpitaux, 200 000 dans les EHPAD) ;
– en en finissant avec une politique qui veut limiter au minimum les soins remboursés à touTEs par la Sécurité sociale et ramener l’hôpital public à un hôpital du pauvre. Les meilleurs soins étant réservés aux détenteurs d’une bonne assurance « complémentaire » permettant d’accéder à des services privés « haut de gamme » : 100% sécu ! 100% pour le service public !
Des exigences à porter dans les luttes, et à faire entendre dans les prochaines échéances électorales.
Jean-Claude Delavigne