Le petit livre de Sébastien Fontenelle est constitué de brefs chapitres, chacun centré sur un personnage et une déclaration. Il s’attache en particulier à démonter une des assertions du discours dominant : il n’y aurait plus d’antisémites que parmi les musulmanEs et les « islamo-gauchistes ». Fontenelle souligne au contraire la permanence de l’antisémitisme ou des complaisances à son égard, notamment dans une fraction des milieux intellectuels.
Permanence de l’antisémitisme
Les allusions négatives aux Juifs sont, chez les intellectuels d’aujourd’hui, moins brutales et plus insidieuses que dans les années 1930. Fontennelle montre qu’elles se parent de la dénonciation du « politiquement correct » ou des limites que la loi imposerait au débat sur la Shoah (ce qui est faux, souligne l’auteur, la loi ne réprime que le négationnisme ouvert). L’académicienne Hélène Carrère d’Encausse, Renaud Camus (par ailleurs « théoricien » du « grand remplacement »), le journaliste du Figaro Ivan Rioufol ont, parmi d’autres, mis en avant cet argument.
Fontenelle voit une forme de complaisance dans des rééditions (ou projets de réédition) d’auteurs comme Céline et Drieu la Rochelle sans rappel (autre que très atténué) de leur antisémitisme exacerbé et de leur rôle pendant l’Occupation. Pour se justifier, l’éditeur Antoine Gallimard a eu cette phrase : « Aujourd’hui, l’antisémitisme n’est plus du côté des chrétiens mais des musulmans et ils ne vont pas lire les textes de Céline ». On pourrait également souligner le projet du Haut Comité aux commémorations nationales en 2018 de commémorer le 150e anniversaire de la naissance Charles Maurras, le théoricien de l’Action française.
Autre forme de complaisance, celle d’Alain Finkielkraut, toujours en pointe pour dénoncer l’islam et l’immigration, qui, confronté à des écrivains aux considérations équivoques sur les juifs et la Seconde Guerre mondiale, assimile celles-ci à des dérapages ou des exagérations ponctuelles et invite Renaud Camus dans son émission sur France culture.
« Grand remplacement » et complot juif
Quittant le monde des intellectuels, Fontenelle souligne que l’extrême droite qui défend la thèse du « grand remplacement » en attribue souvent la responsabilité à un complot juif. Les écrits et déclarations des terroristes d’extrême droite (qui ont tué en Norvège, aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande, en Allemagne,…) panachent souvent islamophobie et antisémitisme, et ils se sont attaqués aussi bien à des mosquées qu’à des synagogues.
Même s’il a été écrit avant la montée électorale d’Éric Zemmour, le petit livre de Sébastien Fontenelle constitue une aide à la compréhension du phénomène Zemmour. Celui-ci, qui a droit à plusieurs développements dans le livre, prospère dans un contexte qui lui a fourni des tribunes pour dénoncer les migrantEs, l’islam et exonérer Pétain d’une large part de sa responsabilité dans les persécutions et déportations des Juifs (ce qui prouve d’ailleurs qu’on peut débattre de la Shoah quitte, comme Zemmour, à proférer des mensonges justement dénoncés par l’historien Robert Paxton).
Ce livre, un peu décousu, est un rappel de la nécessité de ne dissocier en aucun cas les combats contre tous les racismes et la xénophobie – comme le soulignait en son temps Frantz Fanon : « Quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l’oreille, on parle de vous ».
Henri Wilno