C’est un témoignage parmi d’autres, contenu dans le rapport réalisé par l’Inserm et l’EHESS consacré aux violences sexuelles dans l’Église catholique française (lire notre article) et qui révèle l’existence d’au moins 200 000 victimes.
Bernard a 73 ans, il a été abusé à l’âge de 11 ans par un vicaire : « Il n’a jamais parlé avant l’âge de 70 ans des atteintes sexuelles qu’il pense avoir subies. Jusque-là, il avait gardé une vision de l’événement qu’il qualifie de “souvenir supportable”. La sortie du film Spotlight[en 2015 – ndlr] et les résultats de la commission d’enquête australienne lui font dire que, lui aussi, il a été agressé. »
Un tel témoignage n’est pas anodin. Si la France semble, depuis 2018 et la mise en place de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase), qui rend son rapport le 5 octobre, commencer enfin à ouvrir les yeux, elle affiche un long retard par rapport à d’autres pays.
À l’étranger, comme le retrace le rapport de l’Inserm, des commissions d’enquête ont été lancées bien plus tôt, après la révélation de nombreux scandales, notamment aux États-Unis en 2004, en Irlande en 2005, aux Pays-Bas en 2010 ou en Australie en 2012. Toutefois, peu de commissions ont pu, comme la Ciase, livrer une estimation générale du nombre de victimes. Aperçu non exhaustif de travaux réalisés à l’étranger.
Irlande
Dès 1999 en Irlande, la commission Ryan est créée pour enquêter sur les violences sexuelles commises dans les institutions, sur des mineurs, entre 1936 et 1999. Dix ans plus tard, un rapport de 2 500 pages dévoile les témoignages de 1 000 victimes dans 216 institutions différentes (écoles, orphelinats…) impliquant 800 prêtres, frères, religieuses et laïcs. En 2009, un autre rapport (« Murphy ») vise cette fois-ci l’archidiocèse de Dublin et révèle comment 46 prêtres accusés de violences sexuelles sur 125 mineurs ont été protégés par leur hiérarchie, catholique.
Une autre enquête, menée auprès d’un échantillon de 3 000 personnes en population générale, révèle que 1 % des personnes interrogées auraient connu, entre 1940 et 1980, des violences sexuelles commises par un membre du clergé alors qu’elles étaient mineures. De nouvelles conclusions actualisées sont attendues pour 2024.
De nombreuses enquêtes ont été menées à l’étranger impliquant la responsabilité des institutions catholiques. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart
États-Unis
Aux États-Unis, ce sont les révélations du Boston Globe adaptées au cinéma dans le film Spotlight qui bouleverseront le pays. Elles visent 90 prêtres accusés d’avoir commis des agressions sexuelles sur 200 victimes dans le diocèse de Boston. Entre autres révélations, deux rapports importants seront rédigés par la suite. L’un porte sur la période 1950-2002 et l’autre couvre celle de 1950 à 2010.
En 2018, la Pennsylvanie sert aussi de référence pour tester une nouvelle approche. L’État a en effet constitué un « grand jury » composé de 23 citoyens dirigés par un procureur qui a remis un rapport édifiant. Au cours des 70 dernières années, plus de 1 000 enfants ont été maltraités par plus de 300 prêtres. Depuis, une douzaine d’États ont lancé des enquêtes similaires. En 2020, une campagne a abouti au dépôt de près de 100 000 plaintes de victimes de violences sexuelles chez les Boy Scouts of America.
Belgique
En Belgique, une première commission constituée dès 2001 a été peu concluante, n’ayant enregistré qu’un faible nombre de dénonciations. En 2010, le scandale de l’évêque de Bruges – il a démissionné après avoir avoué des faits de pédocriminalité pendant plusieurs années depuis 1985 – fait bouger les lignes. Une nouvelle commission indépendante enregistre 475 dénonciations de victimes avant qu’un Centre d’arbitrage soit instauré en 2011. Une commission est alors chargée d’indemniser les victimes. On en dénombre 900 en 2012. En 2020, on comptait 59 nouvelles plaintes, selon un rapport annuel.
Allemagne
En 2013, des universitaires indépendants sont chargés d’enquêter sur les violences sexuelles dans l’Église. Selon leurs conclusions, 1 670 membres du clergé ont abusé de 3 677 enfants entre 1946 et 2015. En mars dernier, un autre rapport commandé par l’Église catholique révélait que des violences sexuelles ont été infligées à 314 mineurs par 202 membres du clergé ou des laïcs entre 1975 et 2018 dans le diocèse de Cologne.
Royaume-Uni
Une commission d’enquête a été établie dès 2014. En novembre 2020, elle a estimé qu’entre 1970 et 2015, 936 religieux catholiques et bénévoles ont été visés par des accusations d’agressions sexuelles. La commission a ainsi identifié 931 plaintes pour violences sexuelles sur des enfants, déposées entre 1970 et 2015, et qui concernent 3 072 violences sexuelles commises sur 1 753 mineurs. Mais d’après leur rapport, ce nombre pourrait être « bien plus important ». Entre 2016 et 2018, environ 100 accusations de violences sexuelles sur des enfants ont été rapportées chaque année.
Pays-Bas
Une enquête indépendante menée à la demande de la Conférence épiscopale néerlandaise et de la Conférence des instituts religieux néerlandais révèle en 2011 que « plusieurs dizaines de milliers de mineurs » ont été victimes de violences sexuelles au sein de l’Église catholique des Pays-Bas entre 1945 et 2010. En 2018, c’est le quotidien national NRC qui dévoile que plus de la moitié des évêques et cardinaux néerlandais actifs entre 1945 et 2010 ont eu connaissance d’agressions sexuelles commises au sein de l’Église catholique.
Australie
Là encore, aucun rapport n’a permis de livrer une estimation générale des victimes de violences sexuelles dans l’Église. Toutefois, la commission royale d’Australie a enquêté sur la période 1950-2010 et publié ses conclusions en 2017. Elle a recueilli le témoignage de 7 000 victimes, et analysé près d’un million de documents permettant de livrer cette estimation : 7 % des prêtres catholiques en exercice durant cette période ont été accusés d’avoir commis des violences sexuelles sur mineurs.
Canada
Le Canada a lui aussi été éclaboussé dès les années 1980 par le scandale des pensionnats autochtones. Des dizaines de milliers d’enfants ont été victimes de sévices physiques et sexuels entre 1850 et 1996. En 2008, une commission « vérité » est mise en place.
Chili
En 2018, les premières révélations de scandales sexuels ont été si déflagratoires que le pape François s’est excusé auprès du peuple chilien. Fait inédit, tous les évêques du pays ont démissionné après la remise d’un rapport accablant la même année. La commission d’enquête mise en place mettait en cause 158 évêques soupçonnés de violences sexuelles sur 266 victimes, dont 178 mineurs. Le parquet national chilien avait aussi annoncé l’ouverture de 119 enquêtes pour des violences sexuelles commises ou dissimulées par le clergé chilien.
Autriche
En 2011, une commission chargée d’enquêter sur l’Église catholique autrichienne révélait avoir enregistré durant l’année écoulée les plaintes de plus de 800 victimes. Les trois quarts des plaintes recensées concernaient des victimes de sexe masculin.
Espagne
En Espagne, il aura fallu attendre mars 2021 pour que la conférence des évêques espagnols reconnaisse pour la première fois l’existence de violences sexuelles au sein de son Église. Si elle se dit disposée à indemniser les victimes, elle refuse qu’une enquête générale soit mise en place. On sait d’ores et déjà que, depuis 2001, 220 prêtres espagnols ont fait l’objet d’investigations du Vatican. Seul le quotidien El País a réalisé une base de données établie après appel à témoins lancé en 2018. Le journal recense près de 364 prêtres ayant commis des violences sexuelles sur plus de 800 victimes.
Dans plusieurs pays, la question de la réparation a également été engagée. Des fonds d’indemnisation de victimes ont ainsi été créés au
Christophe Gueugneau et David Perrotin