Ce sont des parents et des enfants poursuivis par les talibans, qui ont perdu des proches et risqué leur vie en essayant de rejoindre la Turquie, puis la Grèce. Ils sont maintenant à un pas de retourner en enfer. Des milliers de personnes se trouvent dans la même situation. Le gouvernement a rendu clair son objectif : les réfugiés vont souffrir et la plupart seront renvoyés. C’est dans cette logique qu’il fait passer des lois assimilables à l’extrême droite, compliquant les procédures d’asile.
La décision ministérielle de juin en est le parfait exemple, puisqu’elle qualifie la Turquie de “pays sûr”, malgré les nombreux documents qui prouvent le contraire. Le pays est tout sauf sûr pour les réfugiés de Syrie, d’Afghanistan, du Bangladesh, du Pakistan et de la Somalie. Le gouvernement de la Nouvelle Démocratie a choisi sciemment de changer de manière drastique la procédure d’obtention de l’asile. Les réfugiés ont été contraints d’attendre des années pour leur entretien, et au bout de cette attente, la plupart des demandes ne sera même pas étudiée. Elles seront considérées comme irrecevables, et les réfugiés seront renvoyés vers la Turquie “sûre”.
“Combien d’injustice encore je vais pouvoir endurer ?”
Les voix d’Islamoudin et de Zaïnab n’atteignent pas les oreilles du gouvernement. Parce qu’elles sont perçues comme des menaces. Après la prise de Kaboul par les talibans, le gouvernement a préféré terminer le mur d’Evros [frontière terrestre entre la Grèce et la Turquie], pour empêcher l’arrivée de “flux migratoires massifs”. Son entreprise de protection à l’encontre de persécutés est soutenue par Frontex, qui reçoit des pactoles de l’Union européenne pour empêcher l’entrée d’“envahisseurs”.
Certains, bien sûr, ont réussi à s’infiltrer. Comme, à l’époque, pour le basketteur Giannis Antetokounmpo et sa famille, considérés par l’État comme des étrangers jusqu’à ce que Giannis atteigne la NBA et qu’ils deviennent tous grecs. Mais ceux qui ne sont pas des Antetokounmpo n’ont pas cette chance. C’est le cas de ces enfants d’école maternelle à Athènes, dont les noms [d’origine étrangère] ont été diffusés par un média proche du député de la Nouvelle Démocratie, Constantinos Bogdanos. Une publication qu’il a lui-même partagée avant de plaider “l’erreur” face au tollé provoqué.
La seule erreur dans un pays qui cible des enfants, c’est que des gens restent volontairement dans le groupe politique qui conduit à la mort et au désespoir de milliers de personnes. Zaïnab, 16 ans, en fait partie. Elle s’interroge : “Combien d’injustice encore je vais pouvoir endurer ?” Les vies de Islamoudin Amin et de sa famille sont menacées depuis vingt ans. Les talibans les pourchassent depuis 1999. Après de nombreuses tentatives qui ont failli leur coûter la vie, ils sont arrivés en Grèce en 2018. Mais le danger persiste encore aujourd’hui, ils sont désormais menacés d’être renvoyés en Turquie. Si la décision tombe, il s’agira d’une condamnation à mort.
Le 1er juillet s’est déroulée la première série d’entretiens pour Islamoudin et ses deux filles, dans le cadre de leur demande d’asile. Après quelques jours, on les a informés que leur première demande avait aboutie et qu’ils devaient passer un deuxième entretien, programmé le 30 août. Mais celui-ci a finalement été annulé pour un vice de procédure.
“Je continuais de recevoir des appels de talibans qui me menaçaient”
La vie d’Islamoudin a changé en 1999, quand il s’est engagé auprès d’une femme dans un village d’Afghanistan. Il a vite compris que la famille de sa compagne était proche de l’idéologie des talibans lorsqu’il a fait sa demande en mariage et exprimé le souchait de s’installer à Kaboul. La famille a refusé et Islamoudin a alors voulu rompre son engagement. Là encore, les membres de la famille ont refusé. Ils exigeaient d’Islamoudin qu’il donne une femme de sa famille en échange, sa nièce de 15 ans, pour la marier à un homme de 25 ans. C’est là que les ennuis ont vraiment commencé. “Puisque vous ne voulez pas donner la fille, je vais tous vous tuer”, a menacé l’homme avant de venir déposer une bombe. “Ma compagne est décédée et mon frère est resté handicapé”, précise Islamoudin.
Il décide alors de fuir à Kaboul et tente de reprendre une vie normale. Il trouve un travail, se marie, devient père et décide de s’installer dans un village. Les années passent mais le retour progressif des talibans s’accompagne des menaces du passé. “L’homme qui avait lancé la bombe nous a retrouvés. Il voulait l’une de mes filles”, retrace Islamoudin. Un soir, “il m’a appelé et m’a décrit ce que portaient mes filles à l’école. Il m’a dit que c’était le dernier avertissement. On est retournés à Kaboul puis on a traversé l’Iran, on a marché deux semaines pour arriver. Moi, ma femme, et nos quatre enfants”. Ils ont ensuite essayé de traverser la Turquie, interceptés trois fois par la police avant de réussir.
Finalement arrivés à Istanbul, “on a trouvé un passeur pour qu’il nous emmène en Grèce. On nous a arrêtés et mis dans un camp en Turquie. C’était très dur. Je continuais de recevoir des appels de talibans qui me menaçaient. J’avais gardé tous ces messages mais une fois arrivés en Grèce, la police nous a pris nos téléphones et les a jetés dans la rivière”, explique Islamoudin.
Il ajoute : “Le passeur nous avait mis dans une petite embarcation avec une trentaine de personnes. Il a montré à l’un d’entre nous comment la conduire et il nous a laissés. L’eau entrait. Les enfants pleuraient. Les garde-côtes nous ont trouvés après trois heures. Ils nous ont emmenés à Alexandroupolis, dans un endroit qui ressemblait à une prison. Ils nous ont fait signer un papier assurant qu’on voulait rester en Grèce. Ils nous ont menacés, nous disant que si on ne signait pas on serait renvoyés. On a signé et deux semaines plus tard, ils nous ont envoyés à Athènes.”
“On a appelé le passeur pour qu’il nous envoie en Allemagne”, poursuit Islamoudin. “On est montés à 50 dans un camion, direction la Macédoine du Nord. Le conducteur a accéléré pour échapper à la police et on est plusieurs à être tombés du camion. Mon fils avait disparu. On s’est cachés plusieurs jours dans la forêt et on est rentrés à Athènes.”
Un mois plus tard, son fils l’appelle. Il avait rejoint l’Allemagne. “Ma femme a réussi à le rejoindre, puis j’ai envoyé ma petite fille et moi, je suis toujours en Grèce avec mes deux autres filles de 15 et 16 ans. Après quatre années très difficiles, on nous a dit que notre demande avait été acceptée. On pensait que d’ici à quelques mois on aurait nos papiers et que je pourrais retrouver ma femme.” Tout ne s’est pas passé comme prévu. “Ils nous ont dit oui et ils ont changé d’avis”, se lamente-t-il.
“Ma vie est devenue un enfer”
Zaïnab, la fille de 16 ans d’Islamoudin, a été diagnostiquée dépressive. Victime de harcèlement sexuel par des passeurs en Turquie, elle ne peut plus supporter d’autres injustices. Assise sur une chaise cassée, mouchoir à la main pour essuyer ses larmes, elle témoigne de ses moments très durs : “En Turquie, on habitait dans le même appartement que les passeurs. Ils ne se comportaient pas bien avec nous. Il n’y avait que des hommes. Un Afghan me disait que si je ne faisais pas ce qu’il voulait, on se ferait tous renvoyer. Quand j’allais aux toilettes avec ma mère et ma sœur, on se faisait embêter. Il me disait d’aller avec ses connaissances, sinon ça ne se passerait pas bien. Ma vie est devenue un enfer. J’ai failli me noyer dans la rivière qu’on a traversée pour entrer en Turquie, et dans la forêt en Grèce, j’ai cru que j’allais mourir.”
Arrivés à Athènes, “on a commencé à vivre comme une famille, poursuit-elle. Mais ma mère est partie. Je n’en pouvais plus. J’ai commencé à avoir des problèmes psychologiques. Quand j’ai appris qu’on allait avoir nos papiers, une lumière s’est allumée. C’était notre dernier espoir. Mais quand j’ai entendu qu’on nous les refusait, j’ai ressenti de la fatigue. Combien d’injustice encore je vais devoir vivre si jeune ?”
“La gestion de la demande d’asile de cette famille non seulement viole les principes fondamentaux de la justice, mais en plus se moque complètement d’eux. Il est clair que le gouvernement essaye de s’en débarrasser par n’importe quel moyen. Que ce soit par des refoulements illégaux en mer Égée, ou en mettant des ‘croche-pieds judiciaires’ pour que les demandes d’asile n’aboutissent pas et qu’ils partent du pays. La politique migratoire voulue par ce gouvernement ressemble plus aux caractéristiques d’un régime fasciste qu’à ceux d’un État de droit qui respecte les droits de l’homme”, accuse l’avocate de la famille.
Danaë Kiskira-Bartsoka
Vasilis Andrianopoulos
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