• Quelle est, selon toi, la signification de cette journée du 10 mai ?
Gilbert Pago - C’est une page de l’histoire de France qui n’est pas très connue et que l’on a voulu faire oublier, car il s’agissait de continuer à justifier la colonisation. La traite négrière atlantique a sévi pendant quatre siècles, et elle a servi à développer l’économie coloniale, tout en dépeuplant et en razziant l’Afrique. Bien entendu, cette traite a pris la suite de traites et d’esclavages pré-existants, mais les puissances européennes, en se développant à l’époque moderne, ont considérablement augmenté ce phénomène. La France y a pris une part extrêmement importante, à partir de ses comptoirs, sur la côte occidentale africaine (Sénégal), pour ses colonies américaines, et à partir de la côte orientale africaine pour l’île Bourbon (la Réunion) et l’Île-de-France (l’île Maurice). C’est un phénomène qui a touché des millions et des millions d’hommes. Ce commerce a enrichi la bourgeoisie des ports français et permis l’accumulation du capital à la veille de la révolution industrielle.
Comment l’esclavage est-il tombé ?
G. Pago - La question de l’abolition de l’esclavage et de la traite a naturellement posé d’énormes problèmes à la bourgeoisie française. En 1789, elle déclarait que tous les hommes naissaient libres et égaux, mais elle refusait de reconnaître la liberté et l’égalité pour ses esclaves des colonies. Ceux-ci, ayant entendu parler de l’article 1 de la Déclaration des droits de l’Homme, ont été revigorés dans leur lutte pour l’abolition de l’esclavage. La Révolution française entraîna dans les colonies d’Amérique des insurrections dans toutes les îles, à Grenade, à Saint-Vincent, à Sainte-Lucie, en Martinique, à la Dominique, en Guadeloupe, à Antigua. La plus célèbre reste la révolution dans la partie française de Saint-Domingue - l’actuelle Haïti -, sous la direction de Toussaint Louverture et Jean-Jacques Dessalines. Si la convention a été contrainte d’abolir l’esclavage, le 4 février 1794, Napoléon Bonaparte le rétablit en 1802, ce qui entraîna un important soulèvement en Guadeloupe et en Haïti. De 1802 à 1848, les trois colonies françaises d’Amérique connurent de nombreux soulèvements qui aboutirent à l’abolition de l’esclavage au moment de la révolution française de 1848.
Sarkozy veut « en finir avec la repentance » et « la concurrence des mémoires qui nourrit la haine des autres »...
G. Pago - Ce n’est pas la classe ouvrière et le peuple français qui ont profité du colonialisme et de l’esclavage. C’était la politique de la bourgeoisie et des classes dirigeantes qui continuent aujourd’hui à exploiter. Par conséquent, il n’y a pas de solidarité à avoir avec le passé honteux des négriers et des esclavagistes. Il faut surtout tout faire pour que de tels drames ne recommencent pas. Les peuples antillais et guyanais ne se posent pas en victimes, ils veulent aujourd’hui participer à l’histoire du monde en estimant que l’on doit reconnaître leur identité et l’égalité des droits avec tous les autres peuples. On ne demande pas aux ouvriers et au peuple français de se repentir. On demande d’être solidaire du crime contre l’humanité que constitue la colonisation et de participer à la réparation. Une des meilleures façons de réparer est de faire connaître l’histoire de ces crimes.