Ceux qui (comme Ennhahda) comptaient sur l’administration Biden pour débouter le président Kaïs Saïed et les reconduire au pouvoir, contre vents et marées, devront se résigner à accepter le fait accompli et à cesser d’entraver le processus engrangé le 25 juillet 2021.
Le coup de force constitutionnel, qu’ils condamnent fortement et dénoncent vertement, est approuvé par la majorité du peuple tunisien et cela, les Américains l’ont finalement compris et approuvé à leur tour.
C’est le tweet du sénateur Chris Murphy, publié après sa rencontre avec le président tunisien et résumant les décisions, sinon les appréciations, de la délégation des représentants démocrates du Congrès américain, qui l’a attesté.
Le sénateur américain, fervent défenseur du « Printemps arabe », y a clairement indiqué que ce qui compte pour les Etats-Unis est de protéger la démocratie, soulignant que son pays se tient aux côtés du peuple tunisien, qui lui revient de choisir le modèle de réforme politique, et ne soutient aucun parti aux dépens des autres.
Les choses sont désormais claires et la voie libre est balisée devant Kaïs Saïed qui a su convaincre les Américains.
Mais attention ! Les Tunisiens, qui lui ont accordé leur confiance et qui comptent sur lui pour les sortir de la série sans fin des crises politiques et du désastre économique dans lesquels ils ont été embourbés au cours de la décennie islamiste, ne lui ont pas signé un chèque en blanc et attendent impatiemment que Kaïs Saïed, désormais seul maître à bord de l’Etat après avoir accumulé tous les pouvoirs, mette à exécution toutes ses promesses, toutes sans exception et sans plus tarder. Et c’est à eux qu’il rendra tôt ou tard des comptes.
Si les besoins vitaux les plus urgents sont d’ordre économique et social (emploi, pouvoir d’achat, santé, éducation), outre les problèmes de développement qui s’accumulent et s’aggravent (pénurie d’eau potable, dégradation des infrastructures), la reddition des comptes politiques est primordiale pour les Tunisiens.
C’est une nécessité, voire même une urgence afin de pouvoir recouvrer la con fiance en les institutions de l’Etat, aujourd’hui quasiment en panne, et permettre leur bonne remise en marche.
La stratégie adoptée par Kaïs Saïed, qui a commencé par la traque des pratiques commerciales illicites (monopole, spéculation), ne correspond pas, en effet, aux attentes les plus immédiates de la plupart des Tunisiens, très impatients de voir les députés gelés, certains responsables de partis politiques, des magistrats, avocats et autres hommes d’affaires soupçonnés de grande corruption répondre de leurs actes devant la justice.
Mais l’espoir né du coup de force du 25 juillet dernier nourrit leur patience -malgré le passage à vide qui dure depuis sept semaines- et leur optimisme de bâtir une Tunisie nouvelle, moins corrompue, plus prospère, plus nationaliste, après le « limogeage » constitutionnel des islamistes.
La dernière entrevue Saïed-Murphy a contribué de manière importante à baisser l’inquiétude générale devenue perceptible au fil des jours en l’absence d’annonces claires sur l’après-25 juillet. Implicitement, les Américains ont donné leur feu vert au projet politique de Saïed, dont on commence à percevoir les contours qu’il divulgue au compte- gouttes à chacune de ses sorties et de ses rencontres en aparté avec les représentants de la société civile, du monde des affaires ou des membres du gouvernement en exercice.
Kaïs Saïed a, à chaque fois, lâché des messages permettant d’entrevoir son programme qui reposerait sur une petite constitution provisoire et un projet de réforme du système politique et électoral qui sera proposé à un référendum.
Il y a un autre élément non négligeable dans le programme de Saïed, qui risque de déplaire à beaucoup de Tunisiens et qui stipule « qu’aucun citoyen ne sera visé ou exclu pour ses idées, ses convictions ou ses croyances ».
Ceci traduit fidèlement l’esprit de la Constitution de 2014, mais qui n’est pas pour plaire aux adeptes de la dissolution du parti Ennahdha pour les crimes politiques, économiques et sociaux commis au cours de la décennie 2011-2021, sans oublier sa responsabilité politique, peut-être même pénale, quant aux assassinats politiques et l’implantation du terrorisme en Tunisie, dont la présidente du Parti destourien libre et ses partisans, ainsi que beaucoup de citoyens non partisans du PDL mais qui partagent la même revendication.
Il ne faudra donc pas compter sur Kaïs Saïed pour traduire devant la justice Rached Ghannouchi pour le simple fait qu’il soit le président d’Ennahdha et le leader des islamistes et de l’islam politique.
Cependant, le chef de l’Etat a de quoi demander des comptes au parti Ennahdha, des comptes politiques et financiers, sur la base des enquêtes et des rapports de la Cour des comptes qui l’a épinglé, avec d’autres partis politiques, lors des campagnes électorales précédentes. Mais, à ce jour, aucun responsable politique n’a été inquiété pour cela, sauf pour des crimes de droit commun de types diffamation, corruption ou outrage à un fonction- naire dans l’exercice de ses fonctions (affaire de l’aéroport).
Il ne faut donc pas non plus compter sur Kaïs Saïed pour mettre hors service les deux antennes (de Tunis et de Sfax) de l’Union d’Al Qaradhaoui parce que celui-ci est l’un des idéologues de l’islam politique. Cependant, qu’attend-il, s’interrogent nombre de Tunisiens, pour enquêter sur les financements étrangers de ces deux structures et sur les programmes qui y sont enseignés et qui prônent la radicalisation, ce qui est contraire aux principes de la Constitution tunisienne, au projet de société et à l’histoire réformatrice de la Tunisie ?
Le dossier est à n’en point douter complexe et sujet à pression étrangère, notamment de l’axe turco-qatari qui soutient l’islam politique. A ce jour, rien n’indique que le président de la République entend l’ouvrir, il n’en a pipé mot.
De grands chantiers attendent les Tunisiens qui aspirent à une nouvelle Tunisie libre, démocratique et prospère. La tâche est ardue et nécessitera des années, mais la balle est dans leur camp. C’est en unissant leurs forces et leur volonté qu’ils pourront les concrétiser et peut-être rattraper le temps perdu et les retards accumulés.
En tant que président de la République, Kaïs Saïed a les prérogatives pour faciliter le lancement de ces chantiers mais il ne pourra le faire seul, isolé dans sa bulle présidentielle. Et il doit le faire maintenant.
Les Tunisiens s’inquiètent du flou qui plane sur l’avenir politique de la Tunisie, personne ne sait combien de temps ils pourront patienter encore.
Les partenaires étrangers aussi s’inquiètent, leurs communiqués successifs et les multiples rencontres avec des acteurs politiques et de la société civile l’attestent.
Il y a urgence en effet, car tout retard profite te à ceux qui cherchent à semer le doute et à inquiéter davantage les Tunisiens, notamment en prétendant une ingérence outrageuse des partenaires étrangers sur le cours des événements.
Or, la Tunisie n’est pas un îlot dans le désert, ses partenaires étrangers y ont investi et l’ont soutenue économiquement et dans sa lutte contre la pandémie de la Covid. Leurs inquiétudes sont légitimes, ainsi que leurs appels à la remise en marche des institutions de l’Etat, dont le Parlement, autrement dit le retour à une situation normale qui garantit un climat d’ affaires préservant leurs investissements et un climat politique qui permet des relations « normales », basé sur des relations entre institutions.
Ce qui compte donc aujourd’hui, c’est le front intérieur. Mais les Tunisiens sont-ils aussi unis et volontaires que nécessaire pour sauver le processus du 25 juillet ?
La guerre contre les prix lancée par Kaïs Saïed est un échec, les résistances sont aussi fortes que multiples.
Les soucis et les revendications des partis politiques n’ont pas changé depuis 2011 et se concentrent sur les nominations du Chef du gouvernement, des ministres et autres hautes fonctions dans l’Etat.
Ils n’ont rien fait quand la Tunisie se noyait sous la corruption, ni aujourd’hui pour soutenir les mesures de baisse des prix et de lutte contre la spéculation. Ils sont, toutefois, prompts à former un front contre Kaïs Saïed pour le sortir de son isolement.
En effet, le président est appelé à communiquer et à faire participer les forces vives de la nation pour tracer la voie de la 4e étape après le 14 janvier 2011, mais la classe politique est aussi appelée à changer de visages, de méthodes, de calculs et de visions et peut-être même, à laisser sa place à une autre classe politique plus conforme au nouveau modèle de gouvernance que Kaïs Saïed projette de mettre en place et de faire valider par les Tunisiens par référendum.