Des millions de femmes et de filles afghanes ont été scolarisées ces vingt dernières années. Aujourd’hui, l’avenir qui leur était annoncé est dangereusement compromis. Les talibans sont de nouveau au pouvoir, eux qui, jusqu’à leur expulsion en 2001, interdisaient à quasiment toutes les femmes et filles d’aller à l’école, et châtiaient brutalement ceux qui les défiaient. Comme beaucoup de femmes, j’ai peur pour mes sœurs afghanes.
Je ne peux m’empêcher de penser à mon enfance. Quand les talibans ont envahi en 2007 ma ville natale au Pakistan, dans la vallée de Swat, puis interdit aux filles toute scolarisation, je cachais mes livres sous mon long et épais châle, et je marchais jusqu’à l’école la peur au ventre. Cinq ans plus tard, quand j’avais 15 ans, les talibans ont tenté de m’assassiner parce que j’avais défendu publiquement mon droit à l’éducation.
Ma vie d’aujourd’hui m’emplit de gratitude. Diplômée de l’université en 2020 [en philosophie, en politique et en économie], je commence ma vie professionnelle et il est inimaginable pour moi de tout perdre, de revenir à une existence dictée par des hommes armés.
Des discours qui ne suffisent pas à rassurer
Les filles et les femmes afghanes se retrouvent dans la situation que j’ai connue : elles sont emplies de désespoir à l’idée ne plus jamais avoir le droit d’entrer dans une salle de classe ou d’ouvrir un livre. Certains talibans affirment qu’ils n’interdiront pas aux femmes et aux filles d’aller à l’école ou au travail. Mais compte tenu de la répression violente des droits des femmes dont se sont rendus coupables les talibans par le passé, les inquiétudes des Afghanes sont justifiées. Des témoignages indiquent déjà que des étudiantes et des salariées ont été expulsées de leur université ou de leur lieu de travail.
Rien de tout ça n’est inédit pour les Afghans, piégés depuis des générations dans les affrontements indirects entre les puissances régionales et internationales. Les enfants naissent dans ces guerres. Des familles vivent depuis des années dans des camps de réfugiés ; ces derniers jours, des milliers d’Afghans ont encore fui de chez eux.
Les kalachnikovs des talibans sont un lourd fardeau qui pèse sur les épaules de tous les Afghans, transformés en pions par des pays qui se sont servis d’eux dans leurs guerres idéologiques et cupides, pour ensuite les abandonner à leur sort.
Mais il n’est pas trop tard pour aider le peuple afghan et tout particulièrement les femmes et les enfants.
Scolariser les enfants réfugiés
Depuis le début du mois d’août, j’ai discuté avec plusieurs personnes qui défendent le droit à l’éducation en Afghanistan, et nous avons parlé de leur situation actuelle et future. (Je préserve ici leur anonymat pour des raisons de sécurité.) Une femme à la tête d’écoles rurales m’a expliqué qu’elle avait perdu contact avec ses enseignants et écoliers.
“Habituellement, notre travail porte sur la scolarisation, mais actuellement nous cherchons à obtenir des tentes, a-t-elle témoigné. Les gens fuient par milliers et nous avons besoin d’une aide humanitaire sans délai, afin que les familles ne meurent pas à cause du manque de nourriture ou d’eau potable.” Comme d’autres de mes contacts, elle a appelé les puissances régionales à s’employer à protéger les femmes et les enfants. Les pays voisins – la Chine, l’Iran, le Pakistan, le Tadjikistan, le Turkménistan – doivent ouvrir leurs frontières aux civils en fuite. Ils sauveront ainsi des vies et contribueront à stabiliser la région. Ils doivent aussi permettre aux enfants réfugiés de s’inscrire dans les écoles locales et aux organisations humanitaires de créer des écoles éphémères dans les camps.
Concernant l’avenir de l’Afghanistan, une autre personne militante veut que les talibans indiquent précisément ce qu’ils autoriseront :
“Ça ne suffit pas de dire que les filles pourront aller à l’école. Nous avons besoin d’accords spécifiques permettant aux filles d’être scolarisées jusqu’au bout de leur cursus, de faire des études en sciences et en mathématiques, d’aller à l’université et d’occuper l’emploi de leur choix.”
Les personnes avec qui je suis en contact craignent le retour d’une instruction exclusivement religieuse, ce qui priverait les enfants des compétences nécessaires pour réaliser leurs rêves, et priverait le pays de médecins, d’ingénieurs et de scientifiques.
Le temps viendra d’analyser ce qui a mal tourné dans la guerre en Afghanistan, mais à cet instant précis il est vital d’écouter les voix des femmes et des filles afghanes. Elles sollicitent notre protection, elles veulent avoir accès à l’éducation, à la liberté et à l’avenir qui leur ont été promis. Nous ne pouvons pas continuer à les trahir. Le temps presse.
Malala Yousafzai
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