Le gouvernement chinois fait face à un rebond du mouvement #MeToo dans le pays. Le 9 août, le géant de l’e-commerce Alibaba a annoncé avoir licencié un employé accusé d’avoir agressé sexuellement une collègue lors d’un dîner d’affaires. La semaine précédente, la police de Pékin a arrêté la pop star sino-canadienne Kris Wu, le chanteur étant soupçonné de viol après des témoignages de près de 24 femmes, rapporte le Global Times. “Dans les deux cas, les victimes avaient publié leurs accusations sur les réseaux sociaux chinois, des révélations qui ont scandalisé et abouti à des enquêtes policières”, explique CNN.
L’action rapide des autorités a été saluée par les internautes. Mais certains ont souligné que ces accusations n’étaient pas toujours autant prises au sérieux, comme l’exprime Feng Yuan, une universitaire et militante féministe, à CNN :
“Il n’est pas surprenant que ces deux affaires aient autant attiré l’attention, dans la mesure où le chanteur Kris Wu et l’entreprise Alibaba sont très connus. Mais il ne faut pas oublier que dans de nombreux autres cas de harcèlement et d’agressions sexuels, si l’accusé n’est pas célèbre ou influent, il est très probable que les victimes ne soient pas écoutées.”
La chaîne américaine ajoute que “les victimes d’agressions sexuelles ont toujours fait l’objet d’une forte stigmatisation et opposition en Chine, à l’échelle des administrations publiques ainsi que dans la société”.
De #MeToo à #GirlsHelpGirls
Le mouvement MeToo avait commencé à prendre de l’ampleur en 2018, mais il a été rapidement censuré par le gouvernement chinois. Sur les réseaux sociaux, le terme “MeToo” avait été bloqué, et certains témoignages ont été supprimés. “Les femmes qui ont raconté qu’elles étaient victimes de harcèlement sexuel ont été visées par des plaintes en diffamation”, ajoute Quartz.
Le média note que pour les deux affaires récentes, “les internautes ont été bien plus nombreux, dans l’ensemble, à soutenir les femmes qui témoignaient”. En réaction, un nouveau hashtag, #GirlsHelpGirls, est apparu sur Sina Weibo, réseau social populaire en Chine, pour encourager les femmes qui ont témoigné contre le chanteur, note le Global Times. “À l’étranger, certains affirment que cette campagne est l’équivalent chinois du mouvement Me Too”, écrit le tabloïd d’État.
#girlshelpgirls Several young girls including influencers and idols, are brave enough to post their past chat with Kris Wu, who has been accused of allegedly raping a nineteen-year old girl, as the evidence that he's a sexual predator hunting for many young girls. #LouisVuitton pic.twitter.com/xnDGWJ5iIV
— Alice Jing (@alicejing03) July 19, 2021
Discriminations de genre systématiques
L’affaire d’Alibaba a particulièrement mis en lumière la “culture d’entreprise malsaine” en Chine, selon Quartz. “Cette affaire n’est ‘sans aucun doute pas la seule dans son genre, et elle ne concerne pas qu’Alibaba’, souligne Pocket Sun, cofondatrice et directrice de SoGal, une société de capital-risque qui est implantée à New York et en Chine. Pour elle, ‘on en déduit que les inégalités hommes-femmes et la misogynie sont généralisées dans les entreprises chinoises’”, relate le magazine Fortune. Quartz rapporte entre autres l’exemple d’“annonces d’emploi discriminatoires publiées par des géants du web comme Alibaba, Baidu et Tencent, qui promettaient aux candidats qu’ils travailleraient avec des ‘filles sublimes’ et des ‘déesses’”.
Des changements sont toutefois opérés par la Chine pour faire du monde du travail un lieu plus sécurisant pour les femmes. En 2020, “la Chine a adopté un nouveau Code civil, qui, pour la première fois, qualifie les actes relevant du harcèlement sexuel”, relève CNN. En réaction aux derniers faits, Alibaba a annoncé ce jeudi 12 août qu’il allait “mettre en place un comité pour enquêter sur les plaintes de harcèlement sexuel”, signale The Wall Street Journal.
Dans un éditorial, le Global Times estime que le scandale d’Alibaba reflétait la nécessité de renforcer “la supervision juridique et morale” dans le monde de la technologie et, pour les entreprises, de mieux aligner leur “capital” sur les valeurs sociétales. Toutefois, CNN dénonce le fait que cette vision tend à masquer les discriminations de genre systématiques, ancrées dans la société chinoise. En retour, le même Global Times conteste dans un éditorial plus récent “la stratégie des médias occidentaux, qui ont profité d’un cas présumé de viol commis par une star pour orchestrer leur propagande”, alors que “le gouvernement chinois s’est engagé à protéger les droits des femmes et des mineurs et à réprimer toutes les formes de crime”.
Pour l’heure, “ni Kris Wu ni l’employé d’Alibaba n’ont été inculpés”, note CNN. Mais Lu Pin, une féministe chinoise aujourd’hui installée à New York, assure : “On peut difficilement anticiper l’issue judiciaire de ces affaires […] Mais au tribunal de l’opinion publique, c’est une victoire.”
Manon Selli
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