Mégafeux en Amérique du Nord, en Sibérie, et depuis peu en Turquie et en Grèce. Pluies diluviennes en Allemagne, en Belgique, en Chine ou en Inde. Famine à Madagascar – considérée comme la première de l’histoire moderne a être entièrement causée par le changement climatique. Depuis le début de l’été, les catastrophes liées au réchauffement planétaire se succèdent.
Et les nouvelles sur le front des sciences du climat ne cessent de se faire de plus en plus alarmantes. Dernière en date, la probable disparition du Gulf Stream. D’après des travaux scientifiques révélés le 5 août par The Guardian, un courant océanique majeur, baptisé « circulation méridienne de retournement atlantique » (Amoc), montre des signaux de déstabilisation « effrayants » aux dires de Niklas Boers, auteur de l’étude.
L’effondrement de l’Amoc aurait des conséquences désastreuses dans le monde entier – ce que les chercheurs dénomment « un point de bascule » ou tipping point en anglais. Il perturberait gravement les moussons dont dépendent des milliards de personnes pour se nourrir, augmenterait les tempêtes et ferait baisser les températures en Europe ou encore ferait monter le niveau de l’océan dans l’Atlantique Nord.
C’est donc dans ce contexte climatique sans précédent que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a publié ce lundi 9 août le premier volet de son sixième rapport d’évaluation – leur dernier rapport était paru en 2013-2014.
Rédigée par 234 auteurs de 66 nationalités différentes qui ont travaillé pendant plus de trois ans, cette première partie est consacrée aux sciences physiques du climat. Les deuxième et troisième volets du rapport, qui porteront respectivement sur les conséquences du changement climatique et les mesures d’adaptation, seront dévoilés au premier trimestre 2022.
Un dérèglement climatique qui s’amplifie
Les 1 400 pages de ce premier volet qui passent au crible plus de 14 000 articles scientifiques nous renseignent tout d’abord sur l’état actuel du climat.
Premier constat : les experts soulignent qu’il est « sans équivoque » que les activités humaines ont réchauffé l’atmosphère, les terres et les océans depuis 1750, début de la révolution industrielle. L’ampleur, la rapidité et la généralisation des changements du système climatique actuellement observés sont sans précédent. « Chacune des quatre dernières décennies a été successivement plus chaude que toute décennie depuis 1850 », peut-on lire dans le rapport.
Directeur de recherche au CNRS et coauteur de ce rapport, Christophe Cassou explique pour Mediapart : « L’influence humaine explique entièrement le réchauffement planétaire observé pour la décennie 2010-2019. C’est avec certitude la décennie la plus chaude depuis deux mille ans et même probablement depuis cent mille ans. »
Le rapport montre par ailleurs que les émissions de gaz à effet de serre sont responsables d’un réchauffement d’environ 1,1 °C depuis 1850-1900. Et d’ici 2040 au plus tard, la température mondiale devrait atteindre voire dépasser les 1,5 °C de réchauffement.
Des catastrophes naturelles liées au changement climatique
Le Giec a consacré tout un chapitre aux « événements climatiques extrêmes ». Il avance que le changement climatique induit par l’homme affecte de nombreux phénomènes météorologiques d’ampleur et ce, dans toutes les régions du monde.
Depuis leur dernier rapport de 2013-2014, les scientifiques ont encore renforcé leurs preuves que les vagues de chaleur, les fortes précipitations, les sécheresses ou encore les cyclones tropicaux peuvent être attribués à « l’influence humaine ».
« Ce n’est même plus un consensus scientifique mais un fait établi,précise Christophe Cassou. Le changement climatique conduit à des événements climatiques extrêmes plus intenses et plus fréquents. Cela se traduit par exemple par des canicules plus longues et qui surviennent plus tôt ou plus tard que leur saisonnalité habituelle. »
Nous sommes entrés dans le dur, et cet été n’est qu’un avant-goût de ce qui nous attend si nous n’agissons pas dès maintenant.
Christophe Cassou, directeur de recherche au CNRS et coauteur du rapport du Giec
La canicule de 2016 en Asie ou la vague de chaleur de 2020 en Sibérie auraient été impossibles sans le dérèglement climatique d’après les experts. Le Giec estime par exemple qu’une vague de chaleur extrême comme celle qu’a vécue le Canada en juin pouvait avant 1900 se produire en moyenne une fois tous les dix ans. Avec un réchauffement de 4 °C, ces vagues de chaleur arriveront quasi une fois par an.
« Nous sommes entrés dans le dur, et cet été n’est qu’un avant-goût de ce qui nous attend si nous n’agissons pas dès maintenant », résume le directeur de recherche au CNRS.
Le changement climatique s’accentuera dans toutes les régions du globe
« Le changement climatique affecte déjà toutes les régions de la Terre et de multiples façons », a avancé Panmao Zhai, climatologue chinois et coprésident du groupe de travail I du Giec.
Nouveauté par rapport à leur publication de 2013-2014, le Giec a pu se pencher sur les conséquences du réchauffement à l’échelle régionale. Des focus plus précis permis grâce à l’augmentation de la puissance de calcul des ordinateurs mais aussi à un ensemble de connaissances, d’estimations et d’observations locales de plus en plus robustes.
« Le pourtour méditerranéen est une des régions mondiales les plus impactées par le réchauffement, c’est assez frappant dans le rapport, détaille Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue et coprésidente du groupe 1 du Giec depuis 2015. Aujourd’hui, les épisodes de sécheresse peuvent s’étendre jusqu’à quarante jours en moyenne, mais avec un réchauffement à 2 °C, on pourra atteindre soixante-dix jours. Les caractéristiques météorologiques qui renforcent les feux de forêt en Méditerranée seront aussi accentuées, c’est très net. »
En ce qui concerne les zones urbaines, le rapport insiste par exemple sur le fait que « l’urbanisation a exacerbé l’évolution des extrêmes de température dans les villes », mais aussi « modifié le cycle de l’eau, en générant une augmentation des précipitations et en augmentant l’intensité du ruissellement de surface ».
Pour résumer, plus le réchauffement augmente, plus les espaces urbanisés seront potentiellement victimes de pluies diluviennes et d’inondations catastrophiques telles celles qu’ont vécues des villes en Chine ou en Belgique ces dernières semaines.
Ces travaux du Giec sur le dérèglement climatique à l’échelon plus local ont été opérés pour servir d’aide aux décideurs, à la fois en termes d’évaluation des risques et de stratégie d’adaptation. Un atlas interactif a même été élaboré à ce propos.
Des futurs climatiques mieux appréhendés
Autre innovation dans ce rapport : cinq scénarios d’émissions de gaz à effet de serre en fonction de l’activité industrielle humaine permettent d’explorer les réponses du système climatique. « Ce sont de véritables narratifs de l’évolution socio-économique de nos sociétés pour esquisser des trajectoires de changement climatique, indique Christophe Cassou. Quand on prend en compte les scénarios les plus proches de la tendance actuelle, à savoir une augmentation des inégalités sociales, des progrès climatiques lents, une résurgence des nationalismes et des conflits régionaux, on s’oriente vers un réchauffement de 3 à 3,5 ° C. »
Ces scénarios d’émissions démontrent également que les puits de carbone océaniques et terrestres seront moins efficaces au fur et à mesure de l’accumulation de CO2 dans l’atmosphère.
« Sur les soixante dernières années, les puits de carbone naturels comme les forêts ou les océans absorbent 56 % des rejets de CO2 par an. Mais plus les émissions augmenteront, plus cette fraction diminuera pour n’atteindre plus que 38 % dans les scénarios les plus pessimistes qui prévoient un réchauffement entre 3,3 °C et 5,7 °C d’ici à 2100 », indique à Mediapart Gerhard Krinner, directeur de recherche au CNRS, et auteur principal du chapitre concernant les océans, et le changement du niveau de la mer.
Enfin, les points de basculement ou tipping points ont plus de chances de se produire sur une planète où nous ne parvenons pas à rester sous le seuil des 1,5 °C. « Ce sont par définition des événements à faible probabilité mais à fort impact. Nous n’avons pas encore de connaissances suffisantes pour savoir quand surviendra par exemple l’effondrement des calottes glaciaires, mais on sait que si cela arrive, l’élévation du niveau de la mer s’approchera dès lors de 2 mètres d’ici à 2100 et 5 mètres d’ici à 2150 », poursuit Gerhard Krinner.
« Une des bonnes nouvelles de ce rapport, c’est que si on agit rapidement, nous verrons les bénéfices sur le climat dans les dix à vingt ans », assure néanmoins Valérie Masson-Delmotte. Et Christophe Cassou d’ajouter : « Ces scénarios nous démontrent que sans réduction des émissions de gaz à effet de serre immédiate, forte, soutenue et à grande échelle, on ne pourra pas limiter le réchauffement climatique à moins de 2 °C. Il faut y aller sans détour, ni tergiversation. »
Le rôle croissant du méthane
Si le CO2 est le principal moteur du changement climatique, la concentration de méthane connaît une hausse très rapide depuis environ dix ans, explique le Giec. Ce gaz à effet de serre est responsable de près d’un quart du dérèglement climatique : son potentiel de réchauffement est vingt-huit fois supérieur à celui du CO2 sur une période d’un siècle.
40 % du méthane émis par des activités humaines est d’origine agricole. 35 % provient de la production de pétrole et de gaz naturel.
« Le méthane est le deuxième contributeur en termes d’émissions de gaz à effet de serre mais il a une courte durée de vie. Si on réussit à diminuer drastiquement nos rejets de méthane, on peut vraiment agir sur le réchauffement climatique. C’est un composé ‘’gagnant-gagnant’’ car il permet aussi de diminuer la pollution à l’ozone », avance Sophie Szopa, autrice du rapport et spécialiste de la modélisation des cycles biogéochimiques.
Ce premier volet du rapport d’évaluation du Giec est publié à la veille de la COP 26, qui se déroulera du 1ᵉʳ au 12 novembre 2021 à Glasgow, en Écosse, et réunira les 195 États membres de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Il incarnera le socle scientifique le plus récent et le plus précis pour s’atteler aux révisions des politiques climatiques.
« Géophysiquement, c’est encore possible de stabiliser le climat, conclut Christophe Cassou qui se veut malgré tout optimiste. Le changement climatique nous engage dans un voyage sans retour, et nous entrons en territoire inconnu mais nous pouvons encore décider du chemin que nous avons à prendre. »
Mickaël Correia