En juillet 2018, Jovenel Moïse était à deux doigts d’être chassé du pouvoir par un soulèvement populaire à l’occasion d’une augmentation brutale du prix de l’essence (« Fòk chodyè a chavire », « Il faut renverser la marmite »). La goutte qui faisait déborder la vase d’une succession de gouvernements qui ne sont que corruption et répression. Les milliards reçus pour la reconstruction après le séisme de 2010 ? Engloutis. Les milliards pour le développement du programme Petrocaribe offert par Chavez ? Pareil. Le président Moïse s’est accroché au pouvoir en ignorant la constitution, gouvernant par décret, ressuscitant l’armée et faisant seconder une police corrompue, donc peu sûre, par des milices, les fameux « gangs », équivalents, sans l’idéologie « noiriste », des tontons macoutes de Duvalier.
Rivalités internes ?
Après l’assassinat du 7 juillet, a presse et le chef de la police ont immédiatement laissé entendre que les assassins étaient des mercenaires agissant pour une mafia contre une autre. Les affrontements entre secteurs de la bourgeoisie ne manquent pas dans un contexte de désastre économique, écologique et sanitaire. La bourgeoisie, en Haiti, ce sont quelques grands propriétaires mais surtout les premiers de cordée de tous les trafics : import et export de toutes les denrées, drogue incluse. Il faut ajouter certains services, notamment l’électricité.
Le parquet a lancé il y a plus d’un an une action contre une des riches familles d’Haïti, les Vorbe, qui dispose d’un contrat avec l’État pour la gestion de centrales électriques. Jovenel Moïse est accusé de vouloir occuper le créneau de la fourniture privée d’électricité avec une entreprise dans laquelle son épouse aurait des intérêts. Le 22 décembre 2019, c’est le défunt président qui annonçait que certaines personnes « risquent d’être victimes d’accidents si jamais je les retrouve au travers de mon chemin. »
Impossible d’écarter une seconde hypothèse, plus « politique » : la volonté du Premier ministre intérimaire Claude Joseph de prendre le pouvoir — ce qu’il a fait en s’auto-désignant président par intérim et en déclarant l’état d’urgence suite à l’assassinat, survenu deux jours après que le président Moïse l’eut remercié et eut désigné un nouveau Premier ministre, Ariel Henry. Le ministre chargé des élections, a déclaré que les élections présidentielles et législatives et le référendum constitutionnel auraient lieu comme prévu le 26 septembre prochain. Il a ajouté que l’actuel Premier ministre intérimaire, Claude Joseph, resterait au pouvoir jusqu’à ce qu’un nouveau président soit élu. Le conflit est patent.
Intervention étrangère ?
Mais on ne peut s’empêcher de penser à un coup beaucoup plus politique. C’est la stratégie « Couper l’herbe sous le pied ». Les puissances impérialistes l’utilisent facilement, sur tous les continents. En Haïti, la CIA l’a utilisée en 1986 et en 2004.
En 1986, la CIA a ainsi organisé un coup de l’armée, dirigée par le général Namphy débarquant Duvalier fils, face а la montée inexorable du mouvement populaire. L’alternance, que ce soit par les bulletins ou par les balles, est la clé de la gouvernance par la bourgeoisie.
En 2004, rebelote. Aristide, partisan de la théologie de la libération, avait été élu par un vote massif en 1990. Il avait été renversé par un coup militaire en 1991. Puis remis en selle par les États-Unis, après avoir été retourné lors d’un « exil » doré а Washington et ramené à Port-au Prince pour imposer les plans du FMI. Mais le nouveau joujou de Washington fait face en 2004 а une montée du mouvement populaire que ses milices sont loin de pouvoir contenir. Alors, toujours pour « couper l’herbe sous le pied » d’une révolution populaire, l’armée US occupe le pays et exfiltre Aristide, cette fois-ci en Afrique du Sud. Les USA « déléguent » leur domination militaire à la Minustah, véritable force d’occupation des Nations unies sous direction brésilienne, qui dès son arrivée s’illustre par la répression des révoltes de la faim, par des meurtres, des viols et des violences en tout genre vis-à-vis de la population pauvre.
Aucune hypothèse confirmée
On ne peut donc exclure cette hypothèse, d’autant que la composition du commando, 26 colombiens et deux haitiano-américains, correspond au vivier de tueurs couramment au service des États-Unis. Enfin, que 11 d’entre eux aient tenté de se réfugier dans l’ambassade de Taïwan, la « Chine » (encore) protégée des USA, n’est peut-être pas par hasard.
Mais attention : 11 sur 28, cela ressemble plus à une débandade qu’à un plan d’évacuation. Il faudrait avoir la chronologie de tous les faits qui ont suivi la sortie de la résidence du président assassiné. Ce commando est-il tombé dans un piège ? Enfin, notons que le président, qui n’avait qu’une confiance limitée dans la police, avait recruté un service de protection auprès de la société Blackwater, très liée au Pentagone. Or le commando est entré dans la résidence comme dans une église…
Conclusion : aucune hypothèse n’est confirmée. De plus, le crime peut profiter à plusieurs acteurs. C’est la tâche du peuple de réellement renverser la marmite.
Jean-Marc B.