Peng Sovannarin, coordonnateur du contrôle du respect de la loi pour l’ONG Conservation International, patrouille depuis des dizaines d’années dans le massif des Cardamomes, dans le sud-ouest du Cambodge. Après y avoir travaillé comme garde forestier, il apporte aujourd’hui son assistance technique à l’équipe chargée de défendre l’immense forêt tropicale au sein du parc national des Cardamomes centrales.
Peng Sovannarin reconnaît que le braconnage et les coupes illégales massives sont encore monnaie courante dans cette forêt, pourtant protégée depuis de nombreuses années. Et ce malgré les efforts déployés par la communauté locale, les ONG et divers organes gouvernementaux.
En février, les gardes forestiers ont confisqué plus de 600 pièges dans un seul camp de braconniers qui sévissaient dans le centre du massif.
“La pauvreté pousse à de mauvaises décisions”
“Lorsque le braconnage est pratiqué à une telle échelle, cela signifie que nous ne sommes pas face à un problème seulement local, explique le coordonnateur. Nous savons qu’il existe un vaste réseau de commerce illégal d’animaux en voie de disparition et de bois précieux. Les habitants que nous prenons sur le fait comprennent la nécessité de protéger la forêt, mais la pauvreté les pousse souvent à prendre de mauvaises décisions et à pénétrer dans la zone protégée.”
Les monts Cardamomes sont couverts par la deuxième plus grande forêt pluviale d’Asie du Sud-Est. Elle est constituée de plus de 800 000 hectares de forêt de mousson et de mangroves et abrite au moins 60 espèces sauvages menacées, parmi lesquelles l’éléphant d’Asie, le crocodile du Siam, l’ours malais, le gibbon et le pangolin.
Des communautés locales et des organisations de défense de l’environnement se sont attelées à la tâche de protéger cette biodiversité en tentant d’empêcher l’accaparement illégal des terres, les coupes rases et le braconnage, qui dépouillent la forêt de ses ressources naturelles depuis de nombreuses années.
Les Cardamomes abritent également des milliers de villageois qui, après des années d’accaparement foncier et de développement agricole, ne savent plus où sont les limites entre la zone protégée et les terres communautaires. Avec 16 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté dans les zones les plus reculées, gagner de l’argent en vendant des bois précieux et des animaux menacés est trop tentant pour certains. Surtout lorsqu’on y ajoute les difficultés économiques provoquées par la pandémie de Covid-19.
Des chrysalides, des papillons et des revenus
Pour empêcher l’exploitation forestière illégale et le braconnage, des organisations comme Conservation International travaillent avec les habitants au développement d’autres moyens de subsistance, comme la production d’huile essentielle de citronnelle, l’écotourisme et l’élevage de papillons.
Suon Sareth a commencé à élever des papillons en 2019. L’agricultrice a vu dans ce projet un bon moyen de gagner sa vie et d’avoir en même temps un impact positif sur la forêt. Sa ferme a contribué à renforcer la population de papillons et à donner une source de revenus aux habitants, les détournant ainsi des activités nocives pour l’environnement.
Les chrysalides excédentaires peuvent être vendues au Centre des papillons de Banteay Srey, à Siem Reap [dans le complexe des temples d’Angkor], et les papillons sont ensuite relâchés dans toutes les zones boisées du pays. Suon Sareth veut aider à créer d’autres fermes de papillons dans la région pour redonner vie à la forêt. Elle assure :
Nous savons que lorsque la forêt est en bonne santé, les gens sont en bonne santé. Les papillons montrent à ma communauté comment vivre à nouveau en harmonie avec la nature.”
Les activités telles que l’élevage de papillons sont plus durables que les opérations de coupe et les plantations que l’on voit dans tout le massif des Cardamomes. L’exploitation agricole à grande échelle qui résulte souvent de l’accaparement illégal des terres reste une menace majeure pour les huit zones boisées protégées des Cardamomes.
La possibilité de raser des zones protégées
Selon l’ONG Global Forest Watch, plus de 148 000 hectares de couverture arborée ont été détruits entre 2001 et 2019, soit 8,6 % de la surface de cette forêt. Les défrichements illégaux n’ont pu être empêchés à cause de la difficulté à faire respecter la loi sur la propriété dans un territoire aussi étendu. Parallèlement, le gouvernement a augmenté le nombre de concessions permettant aux entreprises forestières et agro-industrielles de raser des zones protégées.
Le projet REDD + [Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation forestière, mécanisme dans lequel les pays développés rémunèrent les pays en développement pour leurs efforts dans la lutte contre la déforestation] des Cardamomes du Sud a été mis en place pour délimiter les zones protégées, reboiser les parcelles rasées avec des essences locales, favoriser une agriculture durable et développer l’écotourisme en partenariat avec les communautés locales et autochtones. Cette initiative assure la préservation de 497 000 hectares de forêt tropicale humide et évite ainsi l’émission de plus de 3 millions de tonnes de CO2 par an, soit 20 % des émissions annuelles du Cambodge.
Selon Suwanna Gauntlett, fondatrice et présidente de l’association Wildlife Alliance, qui gère le dispositif REDD + au Cambodge, beaucoup de monde s’est rué sur la forêt pour s’emparer de terrains et les raser avant que le projet ne soit officiellement lancé et que la zone ne soit placée sous protection. Aujourd’hui, son équipe rencontre régulièrement les autorités locales pour empêcher l’attribution de concessions à des investisseurs privés.
“Les terres sont souvent accaparées par des gens qui ont des relations haut placées, précise Suwanna Gauntlett. Nous essayons de donner aux autorités locales la volonté politique de résister et de ne pas permettre la cession des forêts domaniales, car celles-ci se trouvent désormais clairement à l’intérieur de zones protégées dont la gestion relève des compétences du ministère de l’Environnement. C’est pourquoi nous maintenons une présence sur place, afin de fournir une assistance lorsqu’il est nécessaire de travailler avec les autorités.”
Quelques 50 millions de dollars débloqués
Les engagements pour protéger les monts Cardamomes ne cessent de croître : la Banque mondiale a récemment débloqué 50 millions de dollars pour améliorer la gestion de la zone et promouvoir l’écotourisme. Avec un tel investissement, combiné aux efforts de conservation des communautés locales et au soutien grandissant des organisations de défense de l’environnement, le massif pourrait devenir le théâtre d’un vrai projet de restauration de la forêt pluviale, ce qui n’est pas fréquent en Asie du Sud-Est.
“Après des décennies de développement industriel et agricole, nous essayons de pousser le Cambodge à ne pas se focaliser uniquement sur l’expansion économique et à prendre également en compte la protection et la conservation des forêts pour que tout le monde puisse bénéficier d’un environnement sain, insiste Peng Sovannarin. Y compris et surtout la forêt elle-même.”
Joe Patchett
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