Le Maroc est fondamentalement une société patriarcale – les lois codifiant les relations de genre reposent essentiellement sur la suprématie de l’homme en tant que chef de famille. Celui-ci est considéré comme le principal pourvoyeur de ressources et décideur : la vie, les choix et la mobilité des femmes sont contrôlés par les membres masculins de leur famille.
Malgré les progrès accomplis pour combler l’écart entre les sexes dans l’éducation, les femmes n’ont pour l’instant atteint les postes de décision ni dans la sphère privée, ni dans la sphère publique.
Partant de cette situation profondément inégalitaire, j’ai découvert que la pandémie a chargé les femmes de plus de tâches ménagères en les retenant davantage dans la sphère du foyer. La violence à leur encontre a également augmenté. Ce phénomène est particulièrement visible pour les femmes des classes populaires, et celles travaillant comme employées de maison, plus vulnérables.
Des réformes de l’éducation, de la législation et de l’application des lois paraissent indispensables pour changer la donne.
Des inégalités entre les sexes en pleine explosion
Pour cette étude, j’ai effectué une analyse approfondie des documents officiels et des recherches antérieures sur les femmes et le genre. J’ai également procédé à des travaux de terrain entre avril et décembre 2020 dans la région de Fès, la troisième plus grande province du pays, avec une forte économie informelle dirigée par des femmes. Mes entretiens, réalisés avec 40 personnes (25 femmes et 15 hommes), visaient à comprendre les obstacles qu’elles avaient rencontrés pendant la pandémie.
Pour atténuer la propagation du coronavirus, le gouvernement marocain a mis en place diverses mesures de confinement dont la fermeture des aéroports, des écoles, des cafés et des mosquées, d’abord quelques mois en 2020 puis à nouveau en 2021. Il a également émis une ordonnance qui oblige les citoyens à rester chez eux et mis en place des couvre-feux.
J’ai pu observer que ces mesures avaient généré des pertes d’emplois, plus fortes pour les femmes (17,5 %) que pour les hommes (15,1 %). Les plus touchées ont été les femmes travaillant dans le secteur des services – comme l’industrie du tourisme, les cafés et les restaurants, autant de domaines qui comptent un taux d’emploi féminin élevé. L’économie informelle, massivement formée de femmes travaillant à leur compte, de petites productrices et distributrices de biens et services et de travailleuses domestiques, a également été touchée.
Pour tenter d’endiguer la pandémie et soutenir ceux qui avaient perdu leurs revenus, le gouvernement a mis en place un Fonds spécial de gestion et de réponse au coronavirus, doté à plus de 3 milliards de dollars. Moins de femmes que d’hommes ont bénéficié de cette aide gouvernementale, principalement fléchée vers les chefs de famille : c’est généralement l’homme qui s’inscrit pour demander l’aide financière au nom du foyer.
L’augmentation des tâches domestiques, liée à la fermeture des écoles et aux mesures de verrouillage, a également affecté de manière disproportionnée les femmes, qui effectuent la majorité des travaux domestiques non rémunérés. Les femmes marocaines consacrent 38 % de leur temps libre au travail domestique, contre seulement 5 % pour leurs homologues masculins. En ce sens, la pandémie a relégué davantage encore les femmes dans la sphère du foyer.
En ce qui concerne les violences faites aux Marocaines, plusieurs rapports mettent en évidence une aggravation pendant la pandémie. Une enquête de Mobilizing for Rights Associates, une ONG œuvrant pour la promotion des droits des femmes, révèle une augmentation de la violence à l’égard des femmes et des filles : en collaboration avec 16 ONG locales, entre avril et mai 2020, l’enquête menée sur 159 femmes a établi qu’une sur quatre souffrait de violence physique. L’étude a également signalé la maltraitance psychologique comme une autre forme de violence prédominante. Les maris sont identifiés comme les principaux auteurs.
Selon un récent rapport du Haut-Commissariat au Plan du Maroc – une institution statistique gouvernementale publique – 25 % des Marocains ont connu des relations genrées conflictuelles vis-à-vis des personnes avec lesquelles ils ont été confinés.
L’impact de la pandémie sur la santé des femmes ne s’est pas fait sentir uniquement par l’augmentation des violences. Le confinement a également réduit l’accès des femmes aux soins, en raison des limitations imposées aux déplacements. Par exemple, 30 % d’entre elles n’ont pas pu se rendre dans un centre de santé sexuelle et reproductive.
Le Haut-Commissariat au Plan constate également le plus grand risque pour les femmes de contracter le coronavirus : un grand nombre d’entre elles travaillent en effet dans le soin ou dans des « services de première ligne ». Au Maroc, les femmes représentent 58 % du personnel médical et 67 % du personnel paramédical, comme les infirmières et les techniciennes.
Une réforme impérative pour plus d’égalité et de résilience
Les décideurs politiques devront tenir compte des informations données par ces études et enquêtes pour élaborer des politiques de relance économique. Elles nous enseignent également qu’une réforme est nécessaire pour assurer les droits et l’inclusion des femmes, tout en garantissant la justice.
Pour cela, une revalorisation du travail de soin fourni par les femmes, ainsi qu’une redistribution de cette charge au sein des familles, semblent nécessaires. Dans ce travail, l’État jouera un rôle essentiel : les politiques sociales devraient être repensées de manière à garantir une répartition équitable du travail domestique et des soins. En Tunisie, par exemple, le Code du Statut Personnel, historiquement islamique et patriarcal, a connu plusieurs réformes successives. La plus récente pousse les hommes à effectuer leur part des tâches ménagères et favorise l’accès des femmes au marché du travail. Cela montre qu’un modèle de droit de la famille fondé sur l’égalité des sexes peut être intégré avec succès dans des sociétés majoritairement musulmanes.
Les femmes travaillant dans le secteur informel doivent également pouvoir bénéficier de filets de sécurité appropriés, tels que les soins de santé et la sécurité sociale. Le gouvernement a récemment lancé un projet visant à généraliser la protection sociale. Cette initiative semble aller dans la bonne direction, mais les décideurs doivent s’assurer que les femmes en bénéficieront.
La fin de la pandémie, et la reprise économique qui l’accompagnera, doit ainsi conduire à un monde plus égalitaire, et par là même plus résistant aux crises futures.< !—> http://theconversation.com/republishing-guidelines —>
Moha Ennaji, Professor, Université Sidi Mohammed Ben Abdellah