Le sujet est brûlant, et il divise la droite et la gauche depuis des années dans un débat qui semble souvent plus idéologique qu’historique. Les “massacres des Foibe” (ou simplement “Foibe”, comme ils sont souvent désignés en italien) est le nom donné aux actes par lesquels des partisans communistes yougoslaves tuèrent des milliers d’Italiens vivant essentiellement en Istrie (actuelle Croatie) entre 1943 et 1945. Les personnes assassinées étaient jetées dans des gouffres appelés foibe, justement, en dialecte frioulan (le Frioul est une région de l’Italie frontalière de la Slovénie).
La région de l’Istrie, longuement habitée à la fois par des Slaves et des Italiens, a changé de “propriétaire” maintes fois au cours des siècles, et, avant les épisodes de 1943-1945, une “italianisation” forcée avait été perpétrée par l’État fasciste. Dans un tel contexte de conflit, peut-on parler de génocide contre les populations italiennes pour les événements de la décennie 1940 ? C’est en tout cas l’idée de Fratelli d’Italia, parti d’extrême droite, qui a présenté une proposition de loi qui semble aller dans ce sens, relate Domani :
“Le parti de Giorgia Meloni a déposé un projet de loi qui propose de mettre sur le même plan les Foibe avec le génocide des Juifs. En effet, l’intention est de modifier l’article 604 du Code pénal, qui prévoit actuellement des peines de deux à six ans pour la propagande ou l’incitation à la discrimination fondée sur la négation ou la minimisation grave (ou l’apologie) de la Shoah, des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre.”
L’intention de Fratelli d’Italia serait d’ajouter à cette liste, après la mention de la Shoah, celle, explicite, des “massacres des Foibe”. Voilà qui mettrait en quelque sorte sur un pied d’égalité deux événements qui, selon l’historien Eric Gobetti, interviewé par le quotidien de centre gauche, n’ont pas grand-chose en commun.
“Ce qui lie l’Holocauste et les Foibe, c’est essentiellement qu’il s’agit de deux épisodes de violences qui ont eu lieu dans le même contexte historique, mais, pour le reste, il s’agit vraiment de deux choses difficilement comparables, affirme l’homme, auteur d’un livre sur le sujet. D’un côté, nous avons la Shoah, qui représente une tentative d’extermination d’un peuple entier, et, de l’autre, un épisode de violence politico-militaire, qui ressemble à des centaines d’autres, où quatre à cinq mille personnes ont été tuées car identifiées comme ennemies de la part d’une puissance [l’ex-Yougoslavie] qui a occupé un territoire. Ce sont des violences qui ont frappé en grande majorité des hommes, qui n’ont rien à voir avec la volonté d’exterminer un peuple.”
“Vive l’Istrie italienne, vive la Dalmatie italienne”
Mais voilà, cette vision n’est pas celle de tout le monde, rappelle Domani : “Pour Fratelli d’Italia et l’extrême droite du pays, le mythe d’un génocide des Italiens accompli par des Slaves communistes et volontairement oublié par les historiens est devenu, ces dernières années, un élément central de la normalisation d’une certaine frange politique. Ce processus s’est accompagné d’une vaste production de livres, de films et d’articles de journaux. Cette narration a été en partie récupérée par l’histoire officielle italienne : par exemple, en 2004, le gouvernement de Berlusconi a décidé d’instituer une journée en mémoire des Foibe.”
Dans ce contexte, des déclarations officielles peuvent parfois engager des polémiques, comme ce fut le cas en février 2019, lorsque l’ancien président du Parlement européen Antonio Tajani s’est écrié lors de cette journée de commémoration : “Vive l’Istrie italienne, vive la Dalmatie italienne !” Une envolée lyrique, qui avait provoqué l’ire des presses croate et slovène, preuve que cet épisode historique controversé divise bien au-delà des frontières italiennes.
Domani
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