Londres (Grande-Bretagne).– « Des dizaines de milliers de morts pour rien. » C’est certainement l’expression qui restera dans les esprits parmi les propos de Dominic Cummings mercredi 26 mai. L’ancien proche conseiller de Boris Johnson a été questionné pendant plus de six heures par une commission parlementaire afin d’analyser la réponse du gouvernement face à la pandémie.
Chemise blanche impeccablement négligée, l’air concentré, accoudé à une chaise la main posée sur le front, l’ancien homme de l’ombre de Downing Street a frappé fort. S’excusant pour la première fois auprès des familles qui ont perdu des proches à cause du Covid, il a ensuite détaillé les erreurs du gouvernement ainsi que les siennes.
Avec une voix parfois tremblante d’émotion, Cummings n’a ensuite pas hésité à démolir la stratégie – ou plutôt l’absence de stratégie – de Downing Street, notamment au début de la crise sanitaire : « La vérité est que les ministres, hauts responsables et conseillers comme moi n’avons pas été à la hauteur, de manière désastreuse, de ce que le public attend de son gouvernement lors d’une crise comme celle-là. »
Un coup très dur pour Boris Johnson qui défendait il y a un an presque jour pour jour son plus proche stratège. À l’époque, Cummings était accusé de ne pas avoir respecté la consigne du confinement « Stay at home » – restez chez vous –, en emmenant sa femme et son fils chez ses parents à plus de 400 km de Londres.
Dans une conférence de presse à Downing Street il avait justifié ce voyage en arguant qu’il était malade du Covid et que sa femme et lui avaient besoin d’aide pour s’occuper de leur fils. Mais dans les révélations qu’il a faites hier, Dominic Cummings a dévoilé une autre version de l’histoire.
À l’époque, explique-t-il, il aurait reçu des menaces et aurait préféré emmener femme et enfant loin de Londres, dans sa famille, pour les mettre en sécurité. Concernant une visite au château de Barnard qu’il avait justifiée l’an dernier pour « vérifier sa vue » avant de rentrer à Londres, Cummings a conservé cette version, expliquant qu’il « écrivait son testament » quelques jours avant, pensant qu’il n’allait pas survivre au Covid.
Au fur et à mesure des questions, Dominic Cummings s’est excusé maintes fois, avouant que « des dizaines de milliers de personnes sont mortes pour rien », à cause de la mauvaise gestion de la crise par le gouvernement. Il a notamment accusé le ministre de la santé Matt Hancock d’avoir menti à plusieurs reprises à des officiels mais aussi au public lors des conférences de presse : « Il aurait dû être viré pour au moins 15 ou 20 faits différents, y compris celui de mentir. » Selon ses propos, Dominic Cummings et Mark Sedwill, le plus haut fonctionnaire du gouvernement à l’époque, auraient demandé la démission de Matt Hancock au premier ministre, qui l’a refusée.
Ces révélations étaient attendues depuis plusieurs semaines. En avril, Dominic Cummings avait publié sur son blog un billet affirmant que Boris Johnson n’avait pas la capacité requise pour être premier ministre, des propos qu’il a répétés hier : « Il était comme un caddie qui viendrait se taper dans tous les rayons d’un magasin. »
Selon Cummings, Boris Johnson aurait même dit vouloir se faire injecter le virus en direct à la télévision pour montrer à quel point « il n’y [avait] pas de quoi s’inquiéter ». Des propos qui, selon lui, prouvent combien le gouvernement a pris trop de temps pour mesurer l’ampleur du virus.
Mais au-delà des critiques, l’ancien conseiller de Boris Johnson a avoué avoir lui aussi participé à l’échec collectif : « Je suis désolé de ne pas avoir réagi plus tôt et, si je l’avais fait alors, beaucoup de gens pourraient être encore en vie. » Dominic Cummings a affirmé qu’il aurait dû démissionner « en mars, pendant l’été ou encore en septembre » mais qu’il ne l’a pas fait pour tenter de gérer le « chaos » ambiant à Downing Street.
Cette journée de révélations a fait réagir, notamment dans l’opposition. Le chef du Parti travailliste Keir Starmer a interrogé Boris Johnson sur le sujet lors des questions au premier ministre à la mi-journée, puis a renchéri sur Twitter : « Un aveu dévastateur. De très sérieuses allégations ont été faites contre Boris Johnson et sa gestion du Covid. » Du côté des conservateurs, on fait plutôt profil bas. À la question de savoir si Boris Johnson accorde toujours toute sa confiance à Matt Hancock, un porte-parole de Downing Street a répondu : « Oui. Le ministre de la santé a toujours travaillé en étroite collaboration avec le premier ministre. »
Au-delà des révélations politiques, c’est donc un Dominic Cummings jamais vu qui s’est exprimé hier. D’habitude dans l’ombre du pouvoir et détestant la presse, l’ancien conseiller de Boris Johnson, qui a démissionné en décembre, a semblé étrangement « humain ». Certains y verront peut-être un jeu d’acteur, mais ces révélations, étayées la plupart du temps par des preuves, marqueront un avant et un après. Malgré un programme de vaccination extrêmement efficace, le manque de réactivité du gouvernement au début de la crise, l’hésitation à instaurer un second confinement ou la confusion dans les messages de prévention ne seront pas oubliés à la suite de ces déclarations.
Plus d’un an après le début de la pandémie, le Royaume-Uni reste l’un des pays les plus meurtris par le Covid en Europe avec plus de 128 000 morts.
Elodie Goulesque