Note : Cet article a été écrit début avril 2021 pour la revue imprimée Contretemps [2]. Pour cette seconde version, nettement plus ample, son économie générale a été maintenue, sans tenter une mise à jour systématique. Cependant, le texte a été partiellement actualisé et un certain nombre de formules concernant, en particulier, l’histoire du pays ont retravaillées, étendues, précisées, corrigées ou complétées
Le jeudi 1er avril 2021, deux mois après le putsch, le site Internet l’Irrawaddy [3] recensait 540 victimes [elles sont aujourd’hui plus de 800], assassinées par les forces de répression, dont des dizaines d’enfants et jeunes adolescent.es. En 1988, une révolte antidictatoriale aux caractéristiques assez similaires à celle que nous connaissons actuellement avait été brisée dans un bain de sang : au moins 3000 mort.es en quelques mois. Nul n’ignore en Birmanie ce précédent qui hante les survivant.es de la génération militante qui l’a vécu, ladite « génération 88 ». Il est possible qu’il en soit aujourd’hui différemment, mais le combat s’avère ardu, prolongé, car l’enjeu est l’éviction radicale – une bonne fois pour toutes ! – de l’armée des centres de pouvoir politique, administratif et économique qu’elle occupe sans discontinuer depuis 1962, du haut en bas de l’Etat, du haut en bas de la société.
Avant le 1er février 2021, le pouvoir était partagé de façon fort inégalitaire entre le gouvernement civil élu, dirigé par la Ligue nationale pour la démocratie (LND) qui avait emporté haut la main les élections démocratiques et, en position dominante, l’armée (appelée Tatmadaw). La Constitution, rédigée par cette dernière, lui garantissait une minorité de blocage dans toutes les assemblées législatives (25% de sièges non élus [4]), la direction de ministères clés (Défense, Intérieur et Sécurité des frontières), l’absence de tout contrôle civil sur l’institution militaire – qui, en revanche, s’approprie des pans entiers de l’économie : la Birmanie est l’un des pays où « l’économie kaki » est la plus développée [5].
Le putsch du 1er avril n’avait donc pas pour objet de « conquérir » le pouvoir. Il a sanctionné l’impasse d’une transition démocratique bloquée sine die par le refus de l’armée d’abandonner ses prérogatives. Tatmadaw a pris les devants, afin que son emprise sur l’Etat et le pays ne s’érode pas progressivement face au développement de la société civile, à la légitimité électorale de la Ligue nationale pour la démocratie et de sa figure de proue, Aung San Suu Kyi qui faisait, dans les arcanes gouvernementales, pression pour élargir les domaines de compétence de son gouvernement [6]. La LND n’a pas été la seule cible de ce « coup d’Etat préventif », il en allait de même des associations, syndicats, etc. Le précédent de 1988 aidant, le Comité de désobéissance civile (CMD) s’est constitué au lendemain même du putsch, regroupant la jeune « Génération Z » (lycéennes et lycéens), le personnel soignant, les fonctionnaires entrés massivement en grève, des syndicats, dont la fédération CTUM…. De par leur place dans la famille, la société et la production, les femmes ont joué un rôle en pointe dans ce mouvement d’ensemble [7]. Les féministes se félicitent de cette visibilité et notent des avancées significatives par rapport aux mobilisations de 1988, un changement dans les modèles de genre : en 1988, les leaders étaient des hommes. Dans le cas de ce mouvement, ce sont des femmes. C’est émouvant ». Elles craignent cependant que cette modification ne soit que temporaire en cas de « normalisation » de la situation [8].
Concernant la LND, dont bien des dirigeant.es ont été immédiatement arrêtés, elle a formalisé une représentation, dans la clandestinité ou en exil, du parlement élu sous le sigle de CPHR [9].
L’objectif du soulèvement démocratique n’est pas simplement « d’effacer » le putsch pour revenir à la situation antérieure, mais de créer une situation nouvelle qui permette de poser (et régler) une question structurelle : la place qu’occupe l’armée depuis cinq décennies dans la société birmane. Un combat qui s’annonce long et ardu et qui exige une solidarité internationale active.
Le tournant majeur qui s’est produit dernièrement est que la résistance armée se généralise. Elle était l’apanage de minorités ethniques à la périphérie du pays. Elle se manifeste maintenant dans la plaine centrale. Le mouvement continue à prendre des formes massives, comme le refus d’éducateurs et enseignants de reprendre le travail sous les ordres de la junte [10], mais il a aussi dû entrer en clandestinité. Tatmadaw se déploie dans l’ensemble du pays et n’hésite pas à bombarder des villages dans les campagnes ou de menacer de destruction des quartiers urbains. Dans des régions comme celles de Mandalay et Sagaing, en particulier, des patrouilles militaires tombent dans des embuscades, des informateurs au service du régime sont liquidés, les nouveaux administrateurs chargés de remplacer les fonctionnaires territoriaux dissidents sont exécutés… La junte riposte par des mesures de rétorsion collectives (villages brûlés, maisons pillées, cheptel volé, viols, exécutions sommaires…).
L’objet de cet article n’est pas de faire le point de la situation et des seuls enjeux présents, ce qui a été tenté par ailleurs [11], mais plutôt de s’attacher au contexte de la crise birmane et à son arrière-plan... Ce faisant, on se heurte à la complexité des réalités et des héritages qu’il est difficile d’appréhender quand on n’a pas une connaissance intime du pays (ce qui est mon cas : j’ai voyagé dans la région, mais pas en Birmanie).
La Birmanie en Asie du Sud-Est – Notes d’histoire-géo
Concernant l’arrière-plan, il est probablement utile de revenir sur le processus de formation historique de la Birmanie dans son cadre géographique et régional [12]. Elle compte aujourd’hui plus de 56 millions d’habitant.es pour une superficie analogue à celle de la France et partage ses frontières avec le Bangladesh à l’ouest, l’Inde au nord-nord-ouest, la Chine au nord-nord-est, le Laos à l’est et la Thaïlande au sud-sud-est. Sa façade maritime, dans la partie méridionale, borde la mer d’Adaman et le golfe du Bengale (dans l’océan Indien).
La Birmanie (Myanmar) en Asie. DR.
Le Sud-Est asiatique est constitué d’une péninsule et d’un ensemble d’archipels qui s’étirent jusqu’à nos antipodes. Par ses dimensions comme par le chiffre de sa population, il est comparable à l’Europe, de l’Atlantique à l’Oural. Il constitue cet « angle de l’Asie » qui trace une ligne de démarcation entre les pays riverains du Pacifique ou bien de l’océan Indien. Nous nous en tiendrons ici à la seule péninsule. Sauf pour les Français, qui pensent à leurs anciennes colonies, le terme d’Indochine évoque une région où se rencontrent deux lignées civilisationnelles, celles de l’Inde et de la Chine auxquelles se sont rajoutées, le commerce puis la colonisation aidant, celles du monde arabe et de l’Occident.
Cette région n’est pas un « fourre-tout » où l’on rangerait des « restes », après un partage des pays entre Asies du Sud et de l’Est. Elle a une histoire propre, mais cette histoire a produit beaucoup de diversité et bien des contrastes interdisant les généralisations simplificatrices.
Les influences culturelles et religieuses ont contribué à la diversité de l’Asie du Sud-Est. À l’époque précoloniale, c’est peut-être la région du monde où les influences civilisationnelles sont les plus multiples. L’animisme est présent de façon diffuse. Le bouddhisme est une référence partagée de la Birmanie au Vietnam, en passant par les pays du delta du Mékong. L’hindouisme est prégnant de la Birmanie à l’Indonésie, en passant par la Thaïlande et la Malaisie. Au-delà du Vietnam, le confucianisme accompagne l’expansion de la diaspora chinoise. Dès le XVIe siècle, le christianisme s’enracine aux Philippines – et avant cela, l’islam a été introduit du Sud philippin à l’archipel indonésien et à la péninsule malaise. En effet, dès le XIIe siècle, bien avant les Européens, des marchands arabes côtoient les marchands chinois et indiens dans les ports de Mindanao, de Java ou Sumatra…
La géographie physique a eu (et a toujours) une forte influence sur l’histoire diversifiée du Sud-est asiatique. Les massifs montagneux ont contribué, sur le continent, à la formation des frontières étatiques : ils séparent notamment l’Asie du Sud-Est de la Chine, définissent les limites septentrionales de l’actuelle Thaïlande ou du Vietnam – la chaîne annamite séparant aussi ce dernier pays du Laos… On parle de frontières naturelles, ce n’était pas pour autant des frontières historiquement nécessaires, inévitables.
La Birmanie se présente ici comme un cas d’étude. Toute la périphérie terrestre du pays est constituée de chaines de montagnes en forme de « fer à cheval » surplombant un espace clos, bien délimité : le bassin de l’Irrawaddy (Irraouaddi). Ce fleuve prend sa source dans le pays même et le contrôle de ses eaux n’est pas, comme souvent ailleurs, l’objet de conflits géopolitiques récurrents. Le bassin du Mékong voisin, en revanche, est tout à la fois un axe de contacts civilisationnels, de communications, d’échanges et un lieu de conflits entre la Chine, le Vietnam, le Laos, la Thaïlande, le Cambodge qui ont d’importantes conséquences écologiques et démographiques (la majorité des Laos vivent actuellement en Isan, le Nord-Est thaïlandais) [13].
La birmanie – Carte physique.
La Birmanie actuelle - Carte administrative.
La carte de l’Asie du Sud-Est continentale n’a cessé de se modifier au cours des siècles. C’est pour l’essentiel dans les deux espaces délimités par les massifs montagneux que s’est jouée au fil des siècles la formation des entités politiques, des royaumes précoloniaux, leur déclin et leur expansion, pacifique ou guerrière. Dans le bassin de l’Irrawaddy, après bien des vicissitudes, l’unification de l’actuelle Birmanie ne s’est imposée qu’au XVIIIe siècle – au prix du massacre d’une bonne partie des Mons. À son apogée, la dynastie Konbaung était à même de brièvement conquérir, en 1767, la capitale d’Ayutthaya, dans l’actuelle Thaïlande. En retour, cette dernière aurait pu établir son influence sur son voisin occidental et le cours de l’histoire en aurait été modifié [14].
La période coloniale
Les Européens font leur apparition dans la région au XVIe siècle, avec la prise de Malacca par les Portugais (1511), qui commande le détroit maritime du même nom, entre la péninsule malaise et l’archipel indonésien. Espagnols, Français, Britanniques, Néerlandais, Allemands suivent… La géographie océanique de l’Asie du Sud-Est leur convient, car ils se contentent alors d’établir des comptoirs dans des zones portuaires, des bases stratégiques, sans chercher à conquérir des territoires [15]. Ils veulent contrôler le commerce des denrées précieuses (épices) et les voies de communication commerciales.
Trois siècles après l’Amérique latine, la colonisation territoriale de l’Asie du Sud-Est par les puissances occidentales commence véritablement [16]. Les Pays-Bas, installés à Batavia (Djakarta) depuis 1619, ont étendu leur influence dans l’archipel. Les Britanniques cherchent à atteindre la Chine en conquérant la Birmanie (1826-1885) et les Français font de même via ce qui deviendra l’Indochine (1859-1893). Avec eux aussi le marché chinois en vue, les Etats-Unis entrent dans la danse, achetant (!) à Madrid les Philippines, puis en écrasant la révolution anticoloniale qui avait éclaté dans l’archipel en 1896 [17].
La conquête coloniale ouvre l’époque des résistances nationales en Asie du Sud-Est. La subordination directe des sociétés a des implications communes pour toutes les populations. Nous vivons au tournant du XIXe siècle un changement d’époque globale. Il n’y a cependant pas un ou deux impérialismes dominants, comme en bien d’autres parties du monde, mais cinq (Grande-Bretagne, France, Espagne, Pays-Bas, États-Unis), sans oublier par ailleurs le Portugal au Timor oriental et l’Allemagne qui garde de l’influence, même si elle n’a pas réussi à établir une colonie proprement dite.
Chaque puissance impose ses propres modes de domination dans ses possessions, donnant naissance à des formations sociales très différentiées, bien que toutes subordonnées. Dans l’ensemble, la période proprement coloniale va durer en Asie du Sud-Est moins de deux siècles, mais près de quatre siècles aux Philippines.
En Birmanie, les conflits de territoires et interethniques du passé avaient fini par produire des osmoses culturelles et une certaine tolérance mutuelle [18]. Londres, maître du pays après six décennies de guerres, raviva les tensions en mettant en œuvre sa traditionnelle politique du diviser pour régner. L’autorité coloniale créa deux territoires administratifs séparés. D’une par la région centre, qu’elle développa (riziculture…). De l’autre, les zones ethniques, largement laissées à elles-mêmes, où elle intervenait très peu. Elle utilisa aussi les troupes indiennes ou de la minorité nationale karen, pour briser les résistances sociales.
Le pays était devenu une province de l’Inde britannique. Les autorités ont favorisé la venue de commerçants chinois et indiens, dépossédant des Birmans. L’État colonial ayant besoin d’une abondante main‑d’œuvre pour développer la culture commerciale du riz et faire fonctionner son administration, il organisa, dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’installation massive de migrants originaires de l’Inde (hindous ou musulmans) [19]. De ce fait, malgré une présence ancienne de différentes populations musulmanes en Arakan, les musulmans dans leur ensemble ont pu être ultérieurement associés par des mouvements xénophobes à l’impérialisme britannique, avec des conséquences tragiques.
La colonisation ancra aussi une forme de « ségrégation » dont les Club britanniques étaient un symbole. Pour François Robinne, Mikael Gravers restitue à ce sujet le lien systématique entre passé et présent, établi en référence à l’ouvrage Burmese Days de George Orwell (1934) en rapprochant cette notion de ségrégation « de la relation patron/client et de ses stéréotypes ethniques, religieux, ou culturels sur lesquels repose le système mis en place aujourd’hui comme autrefois. » [20].
Cet ordre colonial a suscité des résistances qui entrent elles aussi en résonnance avec le présent. La plus connue d’entre elles est, dans les années 1920, le mouvement de désobéissance civile dont la mémoire est aujourd’hui ravivée [21], à savoir un vaste mouvement de boycott de l’ordre colonial, comme aujourd’hui de l’ordre militaire. Les associations Buu (mot qui veut dire « Non ») se multiplièrent prônant la non-coopération : refus de payer des taxes, d’enregistrer des licences commerciales, boycott des produits importés… La répression fut très violente. Autre exemple : la révolte paysanne et nationaliste de 1930 initiant le mouvement Dobhama Asi-Ayone (nous, Birmans) et dont les membres prennent le titre de Thakin, les maîtres, véritable défi au colonisateur.
La Seconde Guerre mondiale et ses suites
Aux résistances de références bouddhistes s’ajoutent dans l’entre-deux guerre, un éventail de courants modernes se rattachant à diverses conceptions du socialisme, du marxisme ou du communisme (dans la foulée notamment de la révolution russe et avec le retour d’étudiants de Grande-Bretagne). Les organisations les plus connues sont centralisées, verticalistes, mais des intellectuels développent aussi des conceptions valorisant une expression « de bas en haut », plutôt que « de haut en bas » [22].
C’est l’époque, aussi, où de nombreux nationalistes asiatiques se retrouvent au Japon. En Chine, l’armée nippone était engagée depuis les années 1930 dans une guerre de conquête sans merci. Le Japon impérial a pourtant réussi à se présenter, aux yeux de nationalistes d’Asie orientale, comme une puissance ouvrant la voie à la libération nationale des pays de la région.
Tokyo assure (en dehors de l’archipel) la formation militaire des « trente camarades », à savoir les cadres de la future Armée pour l’indépendance birmane. Cette dernière portera plusieurs noms successifs, dont celui d’Armée nationale birmane (BNA). Elle est commandée par Aung San (le père d’Aung San Su Kyi), lui-même issu du mouvement Dobhama Asi-Ayone, et qui a fondé, en 1939, le Parti communiste birman (PCB).
En 1942, l’invasion japonaise du pays commence avec l’appui de l’Armée pour l’indépendance birmane. A l’opposé, la plupart des minorités ethniques se sont rangées du côté des Britanniques, ce qui a creusé un fossé avec les nationalistes bamars (de l’ethnie majoritaire) qui ont réprimé les Karens, dénonçant leur « trahison ». En 1943, un gouvernement fantoche est établi avec Aung San comme ministre de la guerre et chef de l’armée. Cependant, réalisant finalement que les Japonais se comportaient en nouvel occupant, il fonde la Ligue antifasciste (AFPFL) et se rallie à son tour aux Britanniques. Le 27 mars 1945, l’armée birmane se soulève contre les Japonais. Ainsi, le 15 juin 1945, au défilé de la victoire, les drapeaux britanniques et de la résistance birmane flottaient de concert. Le 19 juillet 1947, Aung San et six autres membres du gouvernement provisoire sont assassinés par un dirigeant d’extrême droite après les accords de Panglong conclus avec les minorités ethniques [23]. L’indépendance est formellement proclamée le 4 janvier 1948 donnant naissance à l’Union de la Birmanie (nom officiel de l’Etat), dont U Nu est le Premier ministre jusqu’en 1962.
La nouvelle Constitution a établi un fédéralisme limité et octroyé le droit aux Etats shan et karenni de se séparer de l’Union après 10 ans. Les Karen, à qui Londres avait promis l’indépendance, reprennent la lutte armée. Plus généralement, la « question » des minorités ethniques reste irrésolue et il ne pouvait pas en être autrement, compte tenu de la nature des forces politiques dominantes en Birmanie, de l’héritage des décennies passées.
Malgré son histoire tortueuse, après l’indépendance, l’Armée nationale birmane devient un mythe fondateur de la Birmanie et Aung San une figure titulaire. Cependant, quelles que soient les racines populaires du PCB, il n’y a pas eu en Birmanie un long processus combinant guerre populaire, lutte de libération nationale et révolution sociale comme en Chine. Le mouvement d’Aung San est de plus resté exclusivement bamar.
Trois mots sont utilisés en français, dont un seul appartient à la langue courante : les Birmans, signifiant usuellement tou.tes les habitant.es de la Birmanie. Le terme de « bamar » renvoie précisément aux membres de l’ethnie majoritaire occupant les plaines. Le nom Myanmar, aujourd’hui très utilisé en anglais, est un synonyme de Birmanie [24]. Il a l’avantage de lever toute ambiguïté en permettant de reconnaître la pluralité nationale du pays – il est « juste », mais inconnu du grand public, même s’il commence à se répandre, au-delà des milieux universitaires, dans les cercles militants.
La question n’est pas secondaire. Le point de vue de la tradition de gauche historiquement dominante en Birmanie, telle qu’incarnée par Aung San (et prolongée par sa fille Suu Kyi), est celle de l’élite sociale bamar, à savoir un ethno-nationalisme qui se refuse à reconnaître la pluralité du pays et ressent « l’autre » comme une menace intérieure ou une ingérence extérieure. La volonté affirmée par la Ligue nationale pour la démocratie de marier socialisme et bouddhisme se fait sans tenir compte de ce qu’une partie notable de la population ne l’est pas, bouddhiste. Elle a été incapable de proposer aux minorités ethniques un plan de développement économique et social commun, répondant à leurs besoins spécifiques.
La tradition de cette gauche est à la fois autoritaire et réformiste. Elle nourrit une conception très « réaliste » de la lutte de pouvoir, monopolisé par les appareils, suspicieuse envers le développement de mouvements sociaux autonomes. Dans ce contexte, ériger l’armée en mythe fondateur, expression et garante de la nation libérée, n’a pas été sans conséquences.
Une Birmanie (Myanmar) nouvelle peut naître demain au sortir de la terrible épreuve présente, mais il lui faudra pour cela rompre avec ce qu’est l’héritage dominant des mouvements socialistes ou communistes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, quitte à retrouver d’autres racines moins connues.
Vers la dictature militaire
Pour des spécialistes (j’avoue ma totale incompétence en ce domaine), la place du pouvoir, identifiée à un ordre religieux, renvoie aussi à la cosmologie bouddhique. Le régime est garant d’un équilibre qui ne saurait être rompu au risque de perturber l’ordonnance du monde. Ce concept, développé par le « club » du général (et futur dictateur) Ne Win, est cultivé dans une dialectique de l’unité ou du chaos, selon laquelle « sans centralisme, la société tend vers l’anarchie ». Pour Mikael Gravers, l’aboutissement de cette logique conduit à donner une forme quasi religieuse au nationalisme, or « le nationalisme n’est pas religion et ni le nationalisme ni la religion ne sont en tant que tels agent de l’histoire. Nationalisme est une désignation réductrice pour le processus, ses modèles et ses stratégies » [25]
Même d’un point de vue occidental, la Birmanie n’est pas un pays « arriéré » (terme dont, en général, il vaut mieux se méfier). Le pays connaît une relative prospérité, il est le premier exportateur de riz d’Asie du Sud-Est, son système éducatif est réputé, le taux d’alphabétisation très élevé. Dans les années 1940 et 1950, l’université de Rangoon était l’une des plus renommées d’Asie. Comme en d’autres pays de la région (le Pakistan…), la poésie occupe une place importante dans la culture bamare et bouddhiste, influencée aussi avec la colonisation par la littérature anglaise [26].
Cependant, l’armée se déchire. Une période de guerre civile et d’instabilité s’ouvre dont Ne Win sort vainqueur en 1962, à la suite d’un coup d’Etat sanglant. Il instaure une dictature qui s’autodéfinit socialiste (bien des régimes qui ne le sont en rien se déclarent tels à l’époque), mais aussi, il faut le préciser, anticommuniste. C’est alors que se constitue la matrice des régimes militaires dont l’actuelle junte est l’héritière.
Ne Win isole le pays, le ferme au commerce extérieur et nationalise massivement au profit de l’armée. Tatmadaw devient l’ossature du pouvoir en tous domaines. Une grande partie des salarié.es sont employé.es par l’Etat (d’où le poids, aujourd’hui encore, des fonctionnaires). Il pourchasse le Parti communiste qui a constitué des bases aux frontières de la Chine et mène une répression féroce à l’encontre de certaines minorités ethniques, dont les Karens.
La Birmanie régresse historiquement. La « gestion » du pays par la dictature tourne au désastre. La pauvreté explose et l’éducation tombe et déshérence. La poésie est placée sous chape de plomb. En revanche, la numérologie [27], qui fait partie de la culture bamare, est à l’honneur. Au bout de 30 ans, Ne Win doit céder le pouvoir. Mais celui de l’armée perdure. Jusqu’à aujourd’hui.
Les mouvements de résistance
Retour sur l’histoire [28]. La plupart des vagues de mobilisation antidictatoriales ont eu pour étincelle ou arrière-plan une crise socio-économique.
La crise de 1988. Cette année, Ne Win retire de la circulation les coupures de 25, 35 et 75 kyats (nom de la monnaie birmane), provoquant un appauvrissement soudain d’une population déjà frappée par des difficultés économiques. Les étudiant.es politisé.es sont par ailleurs mobilisés après que la police ait relâché le fils de l’un des responsables du parti unique au pouvoir, le Parti du programme socialiste birman, impliqué dans une bagarre. Le feu est mis aux poudres quand la police antiémeute abat un étudiant pendant les mobilisations contre ce traitement de faveur et contre la démonétisation.
Le mouvement s’élargit à d’autres secteurs sociaux – dont des moines, des fonctionnaires ou des membres des forces de l’ordre. Le 8 août 1988, des centaines de milliers de Birmans manifestent dans le pays. La répression est sanglante et le nombre de mort.es gigantesque, estimé à au moins 3000 entre mars et septembre. Un grand nombre se réfugient dans l’État Karen, où ils sont accueillis et parfois entraînés militairement par l’Union nationale karen (KNU).
Le mouvement est brisé, mais Ne Win doit se retirer. Un nouveau « Conseil d’État pour la restauration de la loi et de l’ordre » est formé, dirigée par le général Saw Maung puis, dès 1992, par le général Than Shwe. Face à l’opprobre international, la junte promet l’organisation d’élections multipartis, probablement convaincue qu’elle va les remporter, car elle pense incarner la légitimité historique de l’armée d’Indépendance. Elle se trompait !
Les élections de 1990. Aung San Suu Kyi se lance dans l’arène électorale. Elle mobilise les foules et fonde la Ligue nationale pour la démocratie. Elle est la fille d’Aung San. Un combat de légitimité historique. Plus profondément, les élections sont l’occasion d’exprimer un rejet massif du régime militaire. En mai 1990, alors que Suu Kyi est assignée à résidence, la LND, privée de sa dirigeante assignée à résidence par le régime, emporte 392 des 485 sièges du Parlement !
La junte annule le résultat d’un scrutin qu’elle avait elle-même organisé. Les parlementaires de la LND sont réprimés, Suu Kyi reste en résidence surveillée. L’opposition fonde, en riposte, un gouvernement de coalition nationale pour l’union de la Birmanie (NCGUB), composé de députés élus lors des législatives. Mais ce gouvernement birman en exil n’est pas reconnu. La junte continue de représenter la Birmanie dans les instances internationales.
Face aux crises de 1988 et de 1990, la « communauté internationale » s’est divisée entre les tenants de la politique de sanctions (pas assez efficaces pour faire reculer la junte) prônée par les États-Unis, l’Union européenne, le Canada, la Nouvelle-Zélande et l’Australie – et les tenants de « l’engagement constructif » qui préserve le statu quo.
2007 et la « révolution safran ». En août 2007, la junte décide d’augmenter sans préavis le prix des carburants (un type de mesure qui induit une hausse généralisée des prix et qui provoque dans nombre de pays de véritables révoltes). D’anciens dirigeants étudiants de 1988, libérés après de longues années de prison, reprennent du service, se mobilisant conjointement contre l’augmentation des prix et pour la démocratie. Quand ils sont à nouveau arrêtés, des moines bouddhistes prennent le relais, d’autant plus qu’ils sont directement impactés par l’aggravation de la crise sociale. Ils dépendent des dons de nourriture, collectés chaque jour le matin, pour s’alimenter ! Ils fondent l’organisation clandestine « Alliance de tous les moines birmans ». Ils réclament la libération des prisonniers politiques et l‘ouverture d’un dialogue avec les forces démocratiques. Certains bonzes se rendent même devant le domicile d’Aung San Suu Kyi où elle reste assignée à résidence.
Les manifestations gagnent en ampleur au cours du mois de septembre. La répression fait cette fois-ci peu de mort.es (l’attention internationale est vive), mais le régime s’en prend aux journalistes, dont ceux de la Democratic Voice of Burma, un média audiovisuel birman dont les images se reprises dans le monde entier. Les arrestations se multiplient. Le couvre-feu est décrété. Les monastères sont l’objet de raids nocturnes. Début octobre, le mouvement d’opposition s’épuise.
La junte organise à nouveau des élections, en novembre 2010, qui ne sont cette fois-ci ni libres ni transparentes et que la LND boycotte. Le parti des militaires, l’Union pour la solidarité et le développement (USDP), emporte une victoire sans légitimité. Elle doit négocier et libère Aung San Suu Kyi. Les élections législatives de 2012, 2015 et 2020 sont toutes remportées haut la main par la LND. L’armée s’est résignée à un partage du pouvoir, mais après avoir imposé, en 2008, une Constitution garantissant la pérennité de son pouvoir (voir l’introduction à cet article). Suu Kyi, cheffe de facto du gouvernement birman à partir d’avril 2016, a fait sienne la politique de l’« engagement constructif », semble-t-il, dans l’espoir (qui s’est avéré illusoire) que Tatmadaw accepterait finalement une réforme constitutionnelle contraire à ses propres intérêts.
Les particularités de l’armée birmane
Compte tenu de ce qu’est l’armée birmane, pouvait-il en être autrement ?
La première question qui s’est posée après le putsch du 1er février était : pourquoi l’armée l’a-t-elle décidée dans un pays où elle contrôlait déjà l’essentiel du pouvoir ? En matière d’orientation politique générale, nul désaccord d’orientation avec la LND ne justifiait la rupture. Un peu pour garantir l’avenir du général en chef Min Aung Hlaing dont l’âge de la retraite approchait, beaucoup pour reprendre la main alors qu’à force d’échecs électoraux successifs, la légitimité politique de Tatmadaw déclinait au profit de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi. Les militaires birmans ont choisi de faire du Trump : nous n’avons jamais envisagé qu’il puisse en être ainsi, donc cela n’est pas arrivé.
Forte de sa légitimité électorale, la LND voulait faire bouger les lignes au sein de l’équilibre inégal du pouvoir en élargissant petit à petit la sphère de compétence du gouvernement civil. Suu Kyi s’était bien gardée de mettre en cause les sources d’enrichissement des généraux et n’avait visiblement pas anticipé la violence de leur réaction. Tatmadaw a en effet décidé d’en finir, et pour de bon, avec tout partage des prérogatives. Le putsch du 1er février a mis en terme à la coexistence entre l’armée et un gouvernement élu à la suite d’élections libre, qui donnait inexorablement la majorité à un parti concurrent, en l’état celui dirigé par la « conseillère d’Etat » Aung San Suu Kyi. Plus généralement, la junte s’est attaquée à la « société civile » entière, qui s’était développée à la suite de l’ouverture économique du pays, une décennie plus tôt : associations et syndicats, droits civiques, etc. Si le Mouvement de désobéissance civile (MDC) s’est immédiatement constitué au lendemain du putsch, ce n’est pas seulement pour protester contre le renversement d’un gouvernement élu, mais parce que leurs libertés étaient directement ciblées – le précédent de 1988 n’avait pas été oublié.
La seconde question qui s’était posée, à l’étranger, au lendemain du putsch, portait précisément sur cette question : la génération de généraux représentée par le général en chef Min Aung Hlaing agirait-elle avec la même brutalité que la précédente ou serait-elle plus modérée. Nous avons rapidement eu la réponse. Tatmadaw n’a pas changé.
Tatmadaw ne peut pas changer et c’est bien le problème. Comprenant au bas mot 350 000 hommes, elle est un Etat dans l’Etat, une forme de « pouvoir total », un monde à part. L’ossature professionnelle de l’armée (qui recrute aussi des conscrits forcés dans chaque famille) représente un ascenseur social pour des jeunes éduqués au culte du chef. Les gradés et leurs familles vivent en circuit fermé, bénéficient de privilèges qui en font une caste surplombant la société (il en va de même, soit dit en passant, pour des secteurs de la bourgeoisie mondialisée). Le corps des officiers tire d’immenses profits de son contrôle sur la bureaucratie d’Etat et sur deux grands conglomérats, le Myanmar Economic Corporation (MEC) et le Myanmar Economic Holdings Limited (MEHL) [29], ainsi que du trafic de pierres précieuses ou de bois. Ils constituent parfois de quasi-monopoles et englobent de nombreux secteurs : aviation, banque et assurance, énergie, pharmacie, importations, construction, tourisme, mines (de jade notamment), etc.
L’armée accorde les autorisations et les licences dans de nombreux secteurs d’activité. L’« économie kaki » n’est pas propre à la Birmanie, tant s’en faut, mais elle est ici particulièrement développée, donnant naissance à un « capitalisme de clientèle », instrument de corruption et de contrôle. Le pouvoir de Tatmadaw ne s’organise pas qu’à l’échelle nationale. L’armée constitue une autorité parallèle qui double, de haut en bas, l’administration civile, lui donnant à chaque niveau une forte capacité d’influence sur la société. Même par temps de crise, il est aléatoire d’espérer des défections significatives en son sein (à la différence de la police, où elles se sont produites, et de conscrits forcés qui vivent sous la menace de représailles s’ils refusent d’obéir aux ordres). L’expérience passée lui donne confiance dans sa capacité à durer, face à l’opprobre et aux (toutes relatives) sanctions internationales. Elle sait qu’elle peut compter, par gros temps, sur l’appui de la Chine et de la Russie. La junte pense qu’elle a le temps pour elle.
Le nombre de défections semble en hausse, mais reste marginal. Les rivalités internes entre commandants pourraient diviser l’état-major, cependant, notamment si le coût des sanctions devient si élevé que l’économie kaki entre en crise et que les profits qu’elle en tire s’effondrent. C’est théoriquement possible, mais cela n’a jamais, été le cas par le passé.
Les instances du bouddhisme
En Birmanie comme ailleurs, les courants de référence bouddhiste peuvent, suivant les périodes ou les enjeux, couvrir le spectre politique entier. Des monastères se sont engagés dans la contestation démocratique, comme en 2007 ou aujourd’hui à Mandalay. D’autres mouvements peuvent se situer l’extrême droite fascisante, comme ce fut le cas avec l’Organisation de Défense de la Race et de la Nation (Ma Ba Tha) qui a joué un rôle clé dans le génocide des Rohingyas. Quant aux autorités officielles (la Sangha), elles ne sont pas censées s’engager en politique, mais elles apportent traditionnellement leur appui au régime en place, sans faire de son caractère dictatorial une pomme de discorde. Après le putsch du 1er février, l’état-major a pris soin de courtiser plus que jamais la hiérarchie religieuse.
L’ordre monastique compte 500.000 membres divisées en 9 sectes [30]. Dans un premier temps, face à la crise suscitée par le coup d’Etat du 1er février, le clergé est resté en retrait. Des groupes de bhikkus (moines) ont certes rallié les manifestations, pancartes brandies, mais cela est resté anecdotique – ils étaient moins nombreux que les moines proarmée qui ont publiquement soutenu le putsch quelques jours avant qu’il se produise. Cependant, sous la pression continue du mouvement de désobéissance civile, l’alliance conservatrice entre autorités religieuses et régime militaire a commencé à se fissurer sérieusement. L’une des figures les plus influentes, Sitagu Sayada, très proche du général en chef, a subi une volée de critiques sur les réseaux sociaux. Sa secte, la Shwe Kyin, a fini par appeler les militaires à plus de modération dans la répression. Les moines prodémocratie se font maintenant entendre, notamment à Mandalay, deuxième centre urbain de Birmanie, où plusieurs monastères sont entrés en dissidence ouverte. Dans cette ville, chaque jour, l’après-midi, les moines prennent la tête d’une manifestation éclair, sachant que leur présence constitue une protection.
Tout dernièrement, le président du Comité national du Sangha – une structure mise en place par la junte où elle a nommé des « vénérables » de son choix – a annoncé qu’il cessait toutes ses activités. Une mauvaise nouvelle pour la junte !
Des monastères à Mandalay et des moines, pour la plupart jeunes, ont bravé les édits religieux qui leur interdisent toute activité politique afin de proclamer leur condamnation des généraux. Cependant, la faction promilitaire du clergé reste puissante, affirmant que régime protège l’identité bouddhiste de la Birmanie contre la soi-disant menace d’une lente prise de pouvoir par l’Islam. Parmi ce groupe on retrouve le mouvement Buddha Dhamma Parahita Foundation, prolongation du Ma Ba Tha (interdit en 2017) dirigé par Wirathu/Parmaukha, ce moine ultranationaliste et très influent qui poursuivit de sa haine les Rohingyas jusqu’au génocide. A ses yeux, Aung San Suu Kyi ouvrait la voie à « l’extinction de notre religion, de notre ethnie et du pays tout entier ». [31]
Aung San Suu Kyi et l’avenir de la LND
La personnalité d’Aung San Suu Kyi et son ascendance sur la Ligue nationale pour la démocratie a occupé une place considérable dans l’histoire politique de la Birmanie (et du mouvement de solidarité) ces dernières décennies [32]. Celles et ceux qui la connaissent (ce qui n’est pas mon cas…) ont à cet égard des opinions parfois contradictoires. Elle est très courageuse, indéniablement. Mais, tout aussi indéniablement, il y a eu un véritable malentendu sur la nature de son engagement démocratique. L’image de l’icône, prix Nobel de la paix, s’est brisée quand elle a défendu bec et ongle, dans l’arène internationale, l’intervention de l’armée qui a conduit au génocide des Rohingyas, massacrés, obligés de fuir (750.000 réfugié.es), devenus une population apatride sans avenir. Si un procès s’ouvrait enfin contre les militaires responsables de cette tragédie, Suu Kyi serait sur, le banc des accusé.es pour complicité.
Pour certains, semble-t-il, son positionnement ne serait que calcul politique dans le jeu complexe qu’elle mène avec les militaires. Pour d’autres, elle ne veut pas entacher la réputation d’une armée dont son père a été fondateur. Au vu de la virulence et de la cohérence de son discours (elle s’est refusée à prononcer le nom des Rohingyas, les considérants comme des Bangladais) et aux obstacles qu’elle met à leur retour, cela me paraît des explications bien insuffisantes, même si ce ne sont pas des justifications.
On peut espérer que l’histoire dramatique (et très spécifique) de la longue persécution et du génocide de 2017 à l’encontre des Rohingyas, population en majorité musulmane vivant dans l’Etat Rakhine (Arakan), puisse être enfin revisitée par les jeunes générations.
Comme on l’a déjà noté, Aung San Suu Kyi appartient à l’élite sociale bamar dont elle partage le regard porté sur les minorités ethniques, et s’inscrit, me semble-t-il, dans l’ethno-nationalisme dominant. Elle est démocratique dans la mesure où elle prône la prééminence d’un gouvernement civil. Elle est par ailleurs autoritaire, ne donne pas pouvoir à la société civile et n’aime pas les contre-pouvoirs alternatifs à la LND. Elle était engagée avant le putsch du 1er février dans un jeu complexe de pressions-négociation dont elle voulait garder toute la maîtrise, sans l’intervention autonome de la société civile dont elle « cadre » les libertés.
La crise actuelle est peut-être en train de rebattre les cartes. Même si en pays bamar, la résistance s’appuie massivement sur la légitimité électorale de Suu Kyi, de la LND et du CPHR, des centaines de milliers de personnes doivent contribuer à l’organisation quotidienne de la lutte dans leurs localités. Le Mouvement de désobéissance civile est né en dehors du contrôle de la Ligue – et une nouvelle génération de cadres doit se forger au sein même de cette dernière (Aung San Suu Kyi à 75 ans).
L’évolution de la LND et l’apprentissage du pluralisme militant dans le camp antidictatorial font partie des grandes questions ouvertes par la crise présente.
Bamars et Minorités nationales
Autre grande question, les rapports entre Bamars (68% de la population) au centre et membres des minorités nationales à la périphérie du bassin de l’Irrawaddy. Elle traverse, comme on l’a vu, toute l’histoire de la Birmanie. On a l’impression que pour la première fois, les conditions présentes rendent possible une solution fédérale réelle, partagée, donnant un contenu au nom officiel du pays : l’Union de Birmanie ou la république de l’Union du Myanmar, qui reconnait l’existence de 135 groupes ethniques.
Les divisions adminitratives.
Info-Birmanie, 2018.
Une nouvelle génération militante, ladite « Génération Z », très jeune (des lycéennes et lycéens) peut rompre avec les préjugés passés. Le Mouvement de désobéissance civile s’est affirmé dans quasiment toutes les régions du pays et tous les Etats des minorités nationales. Il me semble que jamais auparavant cela n’avait à ce point vrai.
Certes, il y a un décalage entre manifestations spontanées contre le coup d’Etat et le positionnement des autorités officielles (parlements) des Etats nationaux qui sont souvent restées attentistes.
Le premier objectif d’une minorité ethnique est d’être effectivement maître chez elle, d’avoir le contrôle de son territoire historique, de ne pas s’en voir dépossédée. En fonction de la conjoncture, elle peut conclure ou dénoncer des accords de cessez-le-feu avec le pouvoir central. Dans cette perspective, les autorités de chaque ethnie peuvent faire cavalier seul ou, au contraire, construire un front commun pour peser ensemble, par exemple pour imposer un véritable système fédéral. On se trouve probablement aujourd’hui dans une situation d’entre-deux [33]. Un autre facteur dont il faut tenir compte, c’est qu’il y a généralement plus d’un parti et mouvement armé dans un Etat ethnique.
L’Etat karen (ou Etat de Kayin, frontalier de la Thaïlande) est en pointe dans l’opposition à la dictature. La cinquième brigade de l’Union nationale karen (KNU) représente l’un des plus grands groupes armés du pays. Il s’est d’emblée déclaré prêt à accueillir et à protéger les membres clandestins du CPHR, puis du GUN. D’importants combats ont éclaté, l’armée bombardant le district de Papun. Plus de dix mille personnes ont fui leurs villages, certaines se réfugiant en Thaïlande d’où elles ont commencé par être refoulées [34]. Cependant, la dureté du conflit a ouvert dans ses rangs un débat d’orientation, en préparation de son prochain congrès. De nombreuses organisations politico-militaires sont en fait active dans l’Etat Karen, issues parfois de scissions, pouvant coopérer, mais aussi se combattre.
Dans l’Etat Kachin, tout au nord avec l’Inde et la Chine pour pays frontaliers, l’Armée de l’indépendance du Kachin (Kachin Independence Army) a attaqué un poste reculé de l’armée en mesure de rétorsions après qu’elle ai tué des manifestant.es du mouvement de désobéissance civile. Dans la ville de Shwegu, plus de 400 employés du gouvernement, dont des policiers, seraient en effet engagés dans le mouvement [35].
En Arakan (Etat Rakhine), la junte a retiré de la liste des organisations terroristes l’Armée d’Arakan (Arakan Army, AA) et un cessez-le-feu a été signé. Cependant, l’AA menace de le rompre si l’armée continue à attaquer dans son territoire l’opposition démocratique. En revanche, elle s’oppose violement à la position politique présentée par le Gouvernement d’Unité nationale (autorité légale s’opposant à la junte, voir ci-dessous) reconnaissant les torts fait aux Rohyngas (ces formation rejettent notamment l’usage du nom Rohynga, même si c’est ainsi que s’appelle elle-même la population musulmane concernée, ne voulant parler que d’étrangers bangladais.).
Il en va de même dans d’autres Etats minoritaires. Les forces d’autodéfense restent en posture attentiste, mais peuvent réagir quand l’armée assassine des manifestant.es.
Comme on l’a souligné, pour les minorités nationales, la question du fédéralisme est essentielle. Dans l’adversité, la Ligue nationale pour la démocratie s’est (enfin) engagée à prendre effectivement en compte cette question. Si cet engagement prend forme, cela peut changer la donne géopolitique en Birmanie même. Sinon, certaines minorités menacent d’exiger l’indépendance.
Autre question cruciale, celle de la citoyenneté. Elle est notamment traditonnellement définie à travers l’appartenance à une minorité ethnique reconnue, ce qui tend, pour l’anthropologue François Robinne, à figer dangereusement les découpages ethniques et la géopolitique des conflits militaires [36]
La formation dans la clandestinité du Gouvernement d’Unité nationale (GUN-NGU) est de ce point de vue un grand pas en avant. Sa composition est en effet pluriethnique [37].
Le GUN-NGU a publié le 3 juin 2021 sa « Position politique sur les Rohingya dans l’Etat de Rakhine » qui reconnaît la gravité des torts fait à cette minorité et la nécessité d’y remédier, s’engage à reconnaître un véritable fédéralisme à définir en coopération avec les minorités et annonce une nouvelle loi qui doit « fonder la citoyenneté sur la naissance au Myanmar ou la naissance n’importe où en tant qu’enfant de citoyens du Myanmar » [38].
Pour l’heure, la situation sur le terrain reste mouvante. La Chine continue à peser sur le positionnement des Etats de la frontière nord et, en particulier, sur celui de la très puissante Armée unie de l’Etat Wa (UWSA), la mieux dotée en armement. Quant à la junte, elle fait tout pour coopter les élites sociales des minorités et se les attacher. Un bras de fer complexe est en cours dont l’issue contribuera à façonner l’avenir du pays.
L’impact géopolitique
Si le mouvement de désobéissance civile avait été rapidement brisé, la junte aurait probablement pu s’en tirer sur le plan international sans trop de dégâts. En matière d’investissements et de commerce, l’insertion de l’économie birmane est avant tout régionale : Singapour, la Chine, la Thaïlande, l’Inde… (le premier pays occidental concerné est la Grande-Bretagne). La règle d’or de l’ASEAN [39] est la non-ingérence dans les affaires intérieures de ses pays membres (cette association est un club de régimes autoritaires). C’est aussi la position traditionnelle que défend la Chine au conseil de sécurité de l’ONU. Des firmes occidentales (dont Total est un exemple type) jouent un rôle économique et financier considérable, mais elles ont l’habitude de travailler sans état d’âme avec des dictatures.
Le mouvement de désobéissance civile ne s’est pas éteint et a du coup modifié les règles du jeu diplomatique. L’attitude de la Chine en témoigne. En temps « normal », elle se serait contentée, avec la Russie, de s’opposer au conseil de Sécurité de l’ONU à toute « ingérence » dans les affaires internes de la Birmanie (la presse chinoise avait commencé par décrire le putsch comme un gros remaniement ministériel). Cette fois-ci, si elle s’est opposée à ce que le conseil condamne la junte, elle a dû accepter qu’il exprime sa « grave préoccupation » et demande la « libération immédiate » de l’ensemble des personnes détenues ainsi que la fin des restrictions visant les journalistes et les activistes.
Plus généralement, Pékin doit concilier des intérêts contradictoires, ce qui devient difficile par temps de crise aigüe. Aung San Su Kyi avait d’excellentes relations avec Xi Jinping ; elle est aujourd’hui incarcérée et son procès pour haute trahison est annoncé. Le PCC considère que les territoires frontaliers occupés, dans le nord, par des minorités nationales font partie de son périmètre de sécurité géostratégique et leur vend des armes. Il a néanmoins besoin de sécuriser les très importants investissements réalisés dans le pays, ce qui exige un accord avec les militaires au pouvoir. Elle exige de ces derniers qu’ils protègent les entreprises textiles chinoises implantées en Birmanie (elles sont incendiées par mesure de rétorsion contre son soutien à la junte), ainsi que l’oléoduc et le gazoduc qui acheminent des ports birmans une énergie vitale. L’accès à l’océan Indien reste un objectif majeur, le « couloir birman » (en sus du « couloir » pakistanais) lui en offre un. Dans ces conditions, la « stabilité », pour l’heure introuvable, du pays est très probablement sa priorité.
La Birmanie (Myanmar) donne directement accès à l’océan Indien, c’est-à-dire à l’ouest du détroit de Malacca qui « verrouille » la mer de Chine du Sud. DR.
Il n’y a pas d’amour entre Pékin et la très anticommuniste Tatmadaw (il n’y a plus rien de « communiste » côté Etat chinois, mais il n’est pas certain que les généraux birmans s’en soient rendu compte). Cependant, par gros temps, les putschistes peuvent compter sur le soutien plus ou moins enthousiaste de la Chine, de la Russie, du Vietnam, de l’Inde de Modi. Ces pays étaient tous représentés sur l’estrade lors de la célébration du « Jour de l’armée », Pékin un peu plus discrètement que Moscou. La junte a nommé un gouvernement qui comprend des personnalités civiles birmanes connues pour leurs liens avec le PCC (sur le terrain de la coopération économique ou culturelle) [40]. Une mesure visant, probablement, à faciliter le déploiement du bouclier protecteur chinois.
Il est possible que Xi Jinping ne soit pour rien dans le coup d’Etat du 1er février (aurait-il pu l’empêcher ?), mais il est certain que la carte chinoise a été considérée comme un atout maître par la junte, nourrissant son jusqu’auboutisme. Elle peut compter sur ses deux principaux fournisseurs d’armes, la Chine et la Russie.
Les sanctions
Certaines sanctions prises au lendemain du putsch font mal, comme le gel par le président Biden d’un transfert d’un milliard de dollars de la banque fédérale US à la Birmanie. D’autres montrent ce qu’il serait possible de faire et sont un encouragement à la solidarité internationale qui peut, dans le contexte présent, être efficace. Cependant, dans l’ensemble, les mesures ne ciblent que les membres de la junte ou les ventes destinées aux forces de répression ; elles ne concernent pas l’empire économique de Tatmadaw et ne s’imposent pas, pour l’heure, aux principales firmes commerçant avec l’Etat et l’économie kaki.
Dès 2017 et la persécution des Rohingyas, des entreprises avaient commencé à quitter la Birmanie, à l’instar du cimentier LafargeHolcim. L’entreprise franco-suisse a annoncé à l’été 2020 la liquidation de sa filiale birmane, alors qu’elle était citée dans le rapport des experts indépendants de l’ONU comme entretenant des liens contractuels ou commerciaux avec l’armée. Le brasseur japonais Kirin a, pour sa part, annoncé, début février, qu’il comptait rapidement mettre un terme à ses relations avec l’armée birmane (il exploite localement deux brasseries). L’Union européenne reste cependant en retrait sur cette question ainsi que, singulièrement, les entreprises françaises.
Le groupe hôtelier Accor fait l’innocent, alors qu’il est associé à un conglomérat de l’« économie kaki » dans la construction d’un hôtel cinq étoiles de 366 chambres à Rangoun, le Novotel Yangon Max. Il a pour partenaire le Max Myanmar Group. Cette entreprise a aidé l’armée à construire des infrastructures empêchant le retour des Rohingyas sur leurs terres, dans l’Etat Rakhine (Arakan) après les persécutions de 2017 qui les avaient poussés à l’exode. En 2919, des experts indépendants de l’ONU ont conclu une enquête en jugeant que le partenaire d’Accor devait l’objet d’une enquête criminelle qui pouvait le conduire à être poursuivi en justice pour avoir contribué à un crime contre l’humanité. Rien que cela !
Total pour sa part exploite depuis 1992 une partie du champ gazier de Yadana, au large des côtes birmanes [41]. En 2020, le président birman a décerné à Moattama Gas Transportation Co, la filiale du groupe international Total enregistrée aux Bermudes, le « prix du plus gros contribuable » dans la catégorie « entreprises étrangères » pour l’année fiscale 2018-2019. Plus généralement, Total est le plus important, ou l’un des plus importants, contributeur financier de l’Etat birman, lui versant 257 millions de dollars (213 millions d’euros) en 2019. Dorénavant, comme le dénonce l’ONG Justice for Myanmar, « les investisseurs étrangers vont financer un régime militaire brutal et illégitime, comme c’était le cas avant 2011 ». Le GRU, qui représente la continuité du parlement élu, donc l’autorité légale du pays, a exigé de Total qu’il cesse de payer sous quelque forme que ce soit des revenus à la junte et aux l’armée. En s’y refusant, Total avalise le putsch.
Canal+ (groupe télévisuel français, filiale de Vivendi) possède une holding enregistrée à Singapour. Elle diffuse notamment la chaîne de la télévision d’Etat Myanmar Radio and Television (MRTV). Elle prétend être techniquement incapable de la retirer de son bouquet (ce que Facebook a fait).
D’autres entreprises françaises cherchent à pénétrer le marché birman de la cybersécurité et des systèmes d’identification biométrique. En fait, le nombre d’entreprises françaises et européennes engagées en Birmanie avec l’Etat ou l’économie kaki est fort important. Elles ne doivent pas pouvoir continuer poursuivre discrètement leur business.
Les Etats-Unis se sont (unilatéralement) dotés d’une arme nucléaire en termes de sanctions. Toute opération effectuée en dollars US où que ce soit dans le monde peut tomber sous le coup de la justice étasunienne si elle est contraire à la politique de Washington. Cette arme a déjà été utilisée contre, par exemple, des banques ou entreprises faisant affaire en Iran et les amendes exigées atteignent des sommets ! Refuser de payer, c’est se voir interdit de présence aux USA… Joe Biden a déclaré étudier la possibilité d’user de cette procédure dans le cas birman… mais ne l’a pas fait à ce jour.
L’Union européenne et les sanctions
L’Union européenne s’est arque-bouté sur une définition réductrice des sanctions et cela ne semble pas en train de changer. Selon un diplomate, les ministres des Affaires étrangères des 27 Etats membres de l’UE ont affirmé, lundi 22 février, qu’ils se tenaient « prêts à adopter des mesures restrictives visant les responsables directs du coup d’Etat militaire et leurs intérêts économiques ». « Les sanctions peuvent cibler seulement certaines administrations ou certaines personnes, militaires ou non, mais il faut d’abord réunir les preuves et constituer une base légale à ces sanctions » [42]. Comme le souligne Sophie Brondel, de l’association Info Birmanie « Il ne faut pas seulement cibler les militaires, dont l’épargne est souvent placée à Singapour, mais les vastes entreprises qui renforcent leur pouvoir ».
Un nouveau train de sanctions est annoncé à l’ONU et par divers gouvernements, il faudra juger sur pièce.
Notre solidarité
Pour conclure, il est grand temps que la solidarité en France s’affirme sur tous les plans : prises de position politiques, associatives et syndicales, pression sur le gouvernement français et l’Union européenne, mise en cause des firmes coupables de commercer avec l’économie kaki, recherche de liens directs avec les acteurs sociaux de la résistance démocratique…
Total est un groupe multinational, mais aussi, et surtout, une entreprise française dont l’Etat est actionnaire. Cette firme est bien plus : le bras de l’impérialisme français, en particulier en Afrique, où elle joue un rôle géostratégique et pas seulement économique dans le soutien que Paris apporte aux dictatures de la françafrique. De ce fait, même si la Birmanie n’appartient pas à l’espace international d’intervention politique traditionnel de la France, nous, Français, sommes impliqués dans la crise birmane et notre responsabilité est directement engagée. Ce ne serait pas le cas que nous devrions quand même nous mobiliser en soutien aux peuples du Myanmar qui subissent une violence exceptionnellement brutale.
Il y a des sujets, en France, sur lesquels la gauche reste (quasi) muette, comme l’arme nucléaire tricolore et les recherches qui se poursuivent sur sa « modernisation » (en vue de rendre son usage politiquement acceptable). Total fait partie de ces points aveugles dont il est malséant de parler. Francis Christophe a écrit un article percutant sur l’influence de Total en France [43]. Il note, en conclusion, qu’Anne Hidalgo, maire de Paris, vient de nommer à la direction des affaires internationales de la ville un ancien directeur des affaires publiques de Total : Paul-David Regnier : « sa nomination, avec un tel profil, responsable de l’image internationale d’une ville gouvernée par une majorité avec EELV [Les verts], n’a suscité aucun commentaire public. Voilà qui donne aussi la mesure de l’influence de Total, et de l’omerta qui l’accompagne. » Le mur du silence commence à se craqueler, au-delà des réseaux militants. Ainsi, le quotidien Le Monde a consacré le 4 mai deux pages à une enquête sur le géant pétrolier [44].
Une députée d’EELV (les Verts) a bien soulevé une question au Parlement sur Total à laquelle, contre tous les usages, elle n’a pas reçu de réponse. Le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) a immédiatement accordé beaucoup d’importance à la crise birmane. Il en va de même du Réseau Syndical International de Solidarité et de Luttes. Pour sa part, ESSF fournit sur son site une information quotidienne ce pays, son histoire et l’évolution de la situation. Notre association a lancé un appel à la solidarité financière destinée à des composantes du Mouvement de désobéissance civile [45].
Des Birman.es résidant en France ont créé une association – la Communauté birmane de France – demandant à ce que les autorités légitimes du Myanmar soient reconnues. Le 10 mai dernier enfin, une Tribune a été publiée dans Le Monde par un collectif de chercheurs et de spécialistes de la Birmanie appelant la France à « reconnaître sans délais le Gouvernement d’Unité nationale (GUN-NUG) [46].
La junte birmane s’est retrouvée en situation de grande faiblesse au lendemain de son putsch, du fait de l’entrée massive en désobéissance civile du gros de la population. Le coup a été mis en échec. Malheureusement, faute d’une solidarité internationale assez large et de sanctions efficaces, elle a pu reprendre progressivement l’initiative. Le temps joue actuellement en sa faveur, les instances internationales ne reconnaissant pas officiellement le GUN [47]. La résistance au Myanmar s’inscrit maintenant dans la durée. La solidarité doit faire de même.
L’enjeu de la crise birmane est international. L’Asie du Sud-Est est à la charnière de la région Asie-Pacifique dont l’importance géostratégique est devenue majeure : c’est là que se joue de façon primordiale le face-à-face entre les Etats-Unis et la Chine. C’est là aussi qu’en réaction au durcissement des régimes dictatoriaux, une vague de résistances démocratiques s’est initiée, de Hong Kong à la Thaïlande. La Birmanie prolonge cette vague. Pour bien des raisons, les mouvements progressistes dans pays comme les Philippines (où l’armée mène à nouveau une guerre totale contre tout ce qu’elle choisit de considérer subversif et où les minorités ethniques vivent aussi un processus violent de dépossession) considèrent que le combat des peuples du Myanmar est le leur. L’issue de la lutte aura des implications dans toute la région.
Pierre Rousset