Comme chaque année à la même époque, l’Eurovision est un des sujets les plus traités dans la presse russe. Cette compétition musicale demeure un événement international où la Russie se sent admise de plein droit, et elle s’y prépare très sérieusement, y trouvant toujours un intérêt autant sur le plan géopolitique que sur celui de son image. La candidate de l’édition 2021 n’a pas fait, loin de là, l’unanimité auprès de certaines institutions et d’une partie de la population russe. Mais, le 18 mai, elle a décroché haut la main son ticket pour la finale, première victoire pour elle et ses supporters.
Manija Sanguine, 31 ans, n’était pas une inconnue du public russe quand elle a été élue par un vote populaire candidate officielle de la Russie à l’Eurovision. Chanteuse et musicienne accomplie, ses collages vidéo musicaux sur Instagram rencontrent le succès, et son engagement auprès de causes qui lui tiennent à cœur a fait d’elle une personnalité du monde associatif, rappelle Nezavissimaïa Gazeta. Féministe, elle soutient les mouvements LGBT et les victimes de violence domestique, est ambassadrice de l’association russe Offre la vie, qui aide les enfants atteints de maladies graves, et a été nommée récemment ambassadrice de bonne volonté auprès du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.
Manija est elle-même née à Douchanbe, capitale du Tadjikistan, d’où sa famille a émigré vers la Russie alors qu’elle avait 3 ans. Cette origine ethnique est l’une des raisons du rejet que sa désignation comme candidate de la Russie a suscité auprès d’une partie de la population. “Le flot de commentaires xénophobes sur le thème ‘On n’a pas trouvé de Russes ?’ a été particulièrement déplaisant”, écrit le titre.
L’Église de Russie et certaines élues ont protesté
Dans sa prestation pour l’Eurovision, la jeune femme déploie pourtant une énergie phénoménale pour défendre une certaine russité. L’essentiel des paroles de sa chanson est en russe (ce qui n’est pas si fréquent) et, même si le titre Russian Woman et quelques passages de ce morceau mêlant musique traditionnelle et rap sont en anglais, c’est à la gloire de la femme russe et pour son émancipation que Manija a imaginé ce numéro.
Mais cela a déplu à l’Église orthodoxe de Russie, qui a dénoncé “une image indigne de la femme”, rapporte le site Gazeta.ru, et même à certaines élues, et non des moindres : la vice-présidente de la commission à la culture, Elena Drapeko, la sénatrice Elena Afanassieva et la présidente du Sénat, Valentina Matvienko.
Libération de l’ordre patriarcal
Lors de la demi-finale du 18 mai, l’artiste s’est produite dans un costume qui a fait grand effet auprès du public, au dire de Gazeta.ru : une énorme robe multicolore d’inspiration populaire russe, d’apparence rigide et étouffante, de laquelle la chanteuse s’extirpe soudain au bout de quelques instants. La parure – qui rappelle à certains une matriochka, à d’autres (plus proches de la vérité) un chauffe-théière traditionnel, souvent réalisé à l’effigie d’une grosse femme dont la jupe enveloppe la théière – est montée sur une structure à roulettes et a été réalisée à partir de tissus collectés dans toute la Russie. “Cette robe montre la diversité ethnique de notre pays”, a expliqué Manija.
Ce costume écrasant, estime le site, “symbolise la femme russe”, et le fait d’en sortir – “sa libération de l’ordre patriarcal”. Manija s’extirpe en effet de l’énorme construction sur ces paroles : “Elle s’est levée et s’est mise en marche.”
Courrier International
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