Dans le cadre de cette politique, depuis 1967, l’État a exproprié plus d’un tiers des terres annexées à Jérusalem – 24 500 dunams [24,5 km2], dont la plupart sont des propriétés privées de Palestiniens – et y a construit 11 quartiers réservés aux seuls habitants juifs. En vertu du droit international, le statut de ces quartiers est le même que celui des colonies israéliennes implantées en Cisjordanie.
Zones inconstructibles
Immédiatement après l’annexion, Israël a annulé tous les plans d’urbanisme jordaniens pour les zones annexées, mais a laissé en place ceux du reste de la Cisjordanie. Cela a créé un vide en matière de planification qui a mis du temps à être comblé. Ce n’est que dans les années 1980 que la municipalité de Jérusalem a élaboré des plans-cadres pour tous les quartiers palestiniens de Jérusalem-Est. La caractéristique la plus frappante de ces plans était la désignation d’immenses étendues de terre comme « zones panoramiques ouvertes » où le développement est interdit. En 2014, après plusieurs modifications apportées aux plans au fil des ans, ces « zones panoramiques » représentaient environ 30 % des terres des quartiers palestiniens. Seuls quelque 15 % des terrains de Jérusalem-Est (environ 8,5 % de la juridiction municipale de Jérusalem) sont zonés pour un usage résidentiel par des résidents palestiniens, bien que les Palestiniens représentent actuellement 40 % de la population de la ville.
Crédit Photo. Center for Middle East peace
Une autre mesure utilisée par Israël pour limiter la quantité de terres disponibles pour les Palestiniens consiste à déclarer des parcs nationaux où le développement est presque entièrement interdit. À ce jour, quatre parcs nationaux ont été déclarés à Jérusalem-Est, à l’intérieur des limites municipales de la ville, y compris sur des terres palestiniennes privées ou sur des terres situées à l’intérieur ou à proximité des zones bâties des quartiers et villages palestiniens. La municipalité de Jérusalem prévoit d’autres parcs à Jérusalem-Est.
Le nombre inhabituellement élevé de parcs nationaux à Jérusalem-Est, dont certains ne contiennent rien d’important sur le plan archéologique ou naturel, indique que – contrairement aux autres parcs déclarés par l’Autorité israélienne de la nature et des parcs – l’objectif de ces parcs n’est pas la conservation. Il s’agit plutôt d’un instrument permettant de fermer de vastes étendues de terres à Jérusalem-Est afin de poursuivre des objectifs politiques tels que la garantie d’une contiguïté exclusivement juive entre la vieille ville et les zones de colonisation, tout en augmentant la présence juive à Jérusalem-Est.
Sous-développement urbain
Dans tous les cas, la municipalité évite systématiquement d’établir des plans de construction urbains détaillés (UBP) – une condition préalable à l’obtention de permis de construire – pour les quartiers palestiniens. En conséquence, les communautés palestiniennes de Jérusalem-Est souffrent d’une extrême pénurie de logements, de bâtiments publics (tels que les écoles et les cliniques médicales), d’infrastructures (y compris les routes, les trottoirs et les systèmes d’eau et d’égouts), de services commerciaux et d’installations de loisirs.
En l’absence de réserves foncières pour le développement, la population palestinienne de Jérusalem-Est – qui a plus que quintuplé depuis 1967 – reste confinée dans des quartiers de plus en plus surpeuplés. Selon les statistiques recueillies par le Jerusalem Institute for Policy Research, en 2015, la densité de population dans les quartiers palestiniens situés à l’intérieur des limites municipales de Jérusalem était presque le double de celle des quartiers juifs : une moyenne de 1,9 personne par pièce et de 1 personne par pièce, respectivement.
Face à cette réalité, les Palestiniens n’ont d’autre choix que de construire sans permis. La municipalité de Jérusalem estime qu’entre 15 000 et 20 000 unités de logement ont été construites sans permis dans les quartiers palestiniens jusqu’en 2004. Un nombre inconnu a été construit depuis, y compris des immeubles de plusieurs étages très denses à l’est de la barrière de séparation. Ces structures font ensuite l’objet d’un ordre de démolition de la part des autorités israéliennes, qui ignorent délibérément le rôle qu’elles ont joué pour mettre les habitants dans cette situation impossible. Des milliers de Palestiniens de Jérusalem-Est vivent sous la menace constante de voir leurs maisons et leurs commerces détruits. Dans de nombreux cas, les autorités mettent cette menace à exécution ou obligent les habitants à démolir eux-mêmes les structures.
B’Tselem
• Hebdo L’Anticapitaliste - 569 (20/05/2021). Publié le Samedi 22 mai 2021 à 18h00 :
https://lanticapitaliste.org/arguments/international/freiner-le-developpement-urbain-des-palestiniennes
Comment les Palestinien·nE·s de Jérusalem-Est sont devenus des étranger·E·s sur leur propre terre
Après la guerre de 1967, Israël a illégalement annexé Jérusalem-Est à son territoire. Depuis lors, et malgré le fait qu’il se soit installé sur leur terre natale, l’État d’Israël traite les résidents palestiniens de la ville comme des immigrants indésirables et s’efforce systématiquement de les chasser de la région.
Crédit Photo. DR
En juin 1967, immédiatement après avoir occupé la Cisjordanie et la bande de Gaza, Israël a annexé quelque 70 000 dounams [70 km2] de terres de Cisjordanie aux limites municipales de Jérusalem, et y a appliqué la loi israélienne, en violation du droit international. Le territoire annexé dépassait largement la taille de Jérusalem sous le régime jordanien (environ 6 000 dounams [6 km2]), englobant environ 64 000 dounams [64 km2] supplémentaires. Ces terres supplémentaires appartenaient, en grande partie, à 28 villages palestiniens, et certaines d’entre elles se trouvaient dans les juridictions municipales de Bethléem et de Beit Jala. La zone annexée abrite actuellement au moins 350 000 Palestiniens et quelque 209 000 colons israéliens [1].
« Résidents permanents »… sur leurs propres terres
Les nouvelles frontières municipales de Jérusalem ont été tracées en grande partie en fonction de préoccupations démographiques, dont la principale était d’exclure les zones palestiniennes densément peuplées afin d’assurer une majorité juive à Jérusalem. Conformément à cette logique, Israël a inclus certaines terres appartenant à des villages proches de Jérusalem dans la juridiction municipale de la ville, tout en laissant les propriétaires en dehors. C’est ce qui s’est passé, par exemple, avec Beit Iksa et al-Birah au nord, et avec les zones peu peuplées des juridictions municipales de Bethléem et de Beit Sahour au sud. Ce faisant, Israël a divisé les villages et les quartiers palestiniens, n’en annexant que certaines parties.
En juin 1967, Israël a organisé un recensement dans la zone annexée. Les Palestiniens qui étaient absents à ce moment-là ont perdu leur droit de retourner chez eux. Ceux qui étaient présents se sont vu attribuer le statut de « résident permanent » en Israël – un statut légal accordé aux ressortissants étrangers souhaitant résider en Israël. Pourtant, contrairement aux immigrants qui choisissent librement de vivre en Israël et peuvent retourner dans leur pays d’origine, les résidents palestiniens de Jérusalem-Est n’ont pas d’autre domicile, pas de statut légal dans un autre pays et n’ont pas choisi de vivre en Israël : c’est l’État d’Israël qui a occupé et annexé la terre sur laquelle ils vivent.
La résidence permanente confère moins de droits que la citoyenneté. Elle permet à son titulaire de vivre et de travailler en Israël et de bénéficier des prestations sociales prévues par la loi, comme l’assurance maladie. Cependant, les résidents permanents ne peuvent pas participer aux élections nationales – que ce soit comme électeurs ou comme candidats – et ne peuvent pas se présenter au poste de maire, bien qu’ils aient le droit de voter aux élections locales et de se présenter au conseil municipal.
Impossible « regroupement familial »
Les résidents permanents sont tenus de présenter des demandes de « regroupement familial » pour les conjoints qui ne sont pas eux-mêmes résidents. Depuis 1967, Israël applique une politique stricte aux demandes de « regroupement » des Palestiniens de Jérusalem-Est avec des conjoints originaires d’autres parties de la Cisjordanie, de Gaza ou d’autres pays. En juillet 2003, la Knesset a adopté une loi interdisant à ces conjoints de recevoir la résidence permanente, sauf rares exceptions. Cette loi prive effectivement les Palestiniens de Jérusalem-Est, qui sont des résidents permanents d’Israël, de la possibilité de vivre à Jérusalem-Est avec des conjoints de Gaza ou d’autres parties de la Cisjordanie, et refuse à leurs enfants le statut de résident permanent.
La politique israélienne à Jérusalem-Est vise à faire pression sur les Palestiniens pour qu’ils partent, façonnant ainsi une réalité géographique et démographique qui contrecarrerait toute tentative future de contester la souveraineté israélienne dans cette ville. Les Palestiniens qui quittent Jérusalem-Est, en raison de cette politique ou pour d’autres raisons, risquent de perdre leur statut de résident permanent et les avantages sociaux qui en découlent. Depuis 1967, Israël a révoqué la résidence permanente de quelque 14 500 Palestiniens de Jérusalem-Est dans de telles circonstances.
B’Tselem
• Hebdo L’Anticapitaliste - 569 (20/05/2021). Publié le Samedi 22 mai 2021 à 13h00 :
https://lanticapitaliste.org/arguments/international/comment-les-palestiniennes-de-jerusalem-est-sont-devenus-des-etrangeres-sur
Des quartiers et villages victimes du nettoyage ethnique en 1948 : al-Baq’a et Ayn Karim
En 1947-1949, la future « Jérusalem-Ouest » fut elle aussi le lieu d’une politique de nettoyage ethnique
Crédit Photo. Wikimedia Commons
Avant la création d’Israël et la destruction de la société palestinienne en 1948, Jérusalem était ethniquement hétérogène, les principaux groupes sociaux/religieux répartis dans la ville. Il y avait des quartiers à dominance juive (y compris ceux qui se seraient dits « Juifs palestiniens »), tout comme il y avait des zones chrétiennes palestiniennes ou musulmanes palestiniennes, mais il n’y avait que peu de ségrégation à proprement parler, comme cela sera le cas à partir de 1948 jusqu’à nos jours.
Apartheid de facto et de jure
Cela était vrai à la fois dans la vieille ville, malgré sa division informelle en quartiers, et pour les quartiers situés en dehors des murs de la ville. L’actuelle dimension ethnique de la « Jérusalem-Ouest juive » et de la « Jérusalem-Est palestinienne » ne peut être comprise que comme une situation créée par l’État d’Israël par le nettoyage ethnique et la mise en œuvre de facto et de jure de politiques d’apartheid.
Israël a procédé au nettoyage ethnique des quartiers de l’ouest de Jérusalem durant l’Opération Jevussi, le 26 avril 1948. L’immigration sioniste avait consolidé une majorité juive dans l’ensemble de la ville. Toutefois, les musulmans et chrétiens palestiniens possédaient encore plus de 80 % des biens de la ville, dont 40 % dans la partie ouest. Environ 80 000 Palestiniens furent chassés de Jérusalem, dont quelque 30 000 vivaient dans les quartiers urbains et 50 000 dans les villages alentour. Comme à Jaffa, Haïfa et d’autres zones urbaines, la majorité de la communauté urbaine palestinienne de Jérusalem a fui à l’étranger durant les premiers mois de la guerre, laissant derrière elle ses biens. Les villageois et les plus modestes ont généralement fui à pied et sont finalement devenus des réfugiéEs dans les camps de Cisjordanie et au-delà. Les foyers abandonnés furent pillés puis confisqués par l’État selon une nouvelle « loi des biens des absents » et remis aux Juifs Israéliens.
Israël empêcha le retour de tous les non-Juifs et ne proposa jamais de compensation. Aujourd’hui encore, Israël interdit le retour de PalestinienEs de Jérusalem vivant à l’étranger depuis plus de quelques années, tandis que sont offerts automatiquement des droits de citoyenneté « améliorés » à n’importe quel Juif désirant s’installer à Jérusalem.
Une histoire effacée
De nos jours, les zones de la « Jérusalem-Ouest juive » ethniquement épurées, qui étaient autrefois palestiniennes, sont perçues par les Israéliens ordinaires comme faisant partie intégrante du territoire israélien, aussi « israéliennes » que Tel Aviv ou une quelconque autre ville israélienne, à l’instar de l’ancien quartier palestinien d’al-Baq’a, fermé par les militaires israéliens en 1948, la plupart de ses habitantEs ayant déjà fui.
Jusqu’à la conquête par Israël du reste de Jérusalem en 1967, les quartiers comme al-Baq’a n’étaient pas des lieux où il faisait bon vivre en raison de leur proximité avec la ligne d’armistice (militarisée) avec la Jordanie : les fusillades transfrontalières étaient fréquentes dans les années 1948-1967. Ils furent donc investis par des immigrants juifs venus des pays arabes, qui avaient déjà tendance à être marginalisés dans la société israélienne. Quand Israël conquit le reste de Jérusalem en 1967, la zone fut le théâtre d’une forte gentrification avec un afflux d’Israéliens de classe sociale supérieure souhaitant acquérir des propriétés immobilières. Aujourd’hui al-Baq’a (rebaptisé Baka) est une zone très convoitée, habitée presque exclusivement par de riches Israéliens juifs, prisée pour ses rues ombragées et ses demeures « traditionnelles arabes » ou « de style méditerranéen ».
Ayn Karim (rebaptisé Ein Karem) était un village mixte chrétien et musulman dont la population fut chassée par les forces israéliennes en 1948. À la différence de la plupart des autres villages de Jérusalem-ouest il fut épargné de la destruction physique, peut-être en raison de sa signification religieuse pour la communauté chrétienne internationale, puisque étant le lieu de naissance de Saint Jean-Baptiste. Intégré à Jérusalem en raison de l’extension des limites municipales de la ville, Ein Karem se situe dans une zone verte à l’ouest du centre de la ville, non loin du complexe hospitalier d’Hadassah (l’un des deux principaux hôpitaux de Jérusalem). Ein Karem est aujourd’hui un quartier composé exclusivement de villas, d’une colonie d’artistes, et un lieu dont les Israéliens ordinaires profitent le week-end. Une personne visitant la ville ne trouvera aucune information concernant les anciens habitantEs palestiniens musulmans et chrétiens.
Ben Scribner
Extrait de « La normalisation du nettoyage ethnique et de l’apartheid à Jérusalem », dans Julien Salingue et Céline Lebrun (dir.), Israël, un État d’apartheid ? Enjeux juridiques et politiques, L’Harmattan, 2013.
• Hebdo L’Anticapitaliste - 569 (20/05/2021). Publié le Samedi 22 mai 2021 à 12h00 :
https://lanticapitaliste.org/arguments/international/des-quartiers-et-villages-victimes-du-nettoyage-ethnique-en-1948-al-baqa-et
Les chiffres de l’apartheid à Jérusalem
Crédit Photo Wikimedia Commons
En 2017, 75 % des familles palestiniennes de Jérusalem vivaient sous le seuil de pauvreté, contre 22 % des familles juives ; 86 % des enfants palestiniens de Jérusalem vivaient sous le seuil de pauvreté, contre 33 % des enfants juifs.
Le taux d’occupation des logements dans les quartiers palestiniens de Jérusalem-Est est en moyenne de 1,8 personne par pièce – soit près du double du taux d’occupation des logements dans les quartiers juifs de l’ouest de la ville, qui est d’une personne par pièce.
Environ 15 % de la superficie de Jérusalem-Est (soit 8,5 % de la superficie totale de Jérusalem) est destinée à un usage résidentiel pour les PalestinienEs, alors qu’ils représentent près de 40 % de la population de Jérusalem.
En 2018, seuls 44 % des habitantEs palestiniens de Jérusalem-Est disposaient de raccordements appropriés (et légaux) au réseau d’eau, contre 100 % à Jérusalem-Ouest.
32 % des élèves palestiniens de Jérusalem-Est ne terminent pas leurs 16 années d’études, contre seulement 1,5 % des élèves juifs de Jérusalem. Le taux moyen national d’abandon scolaire des établissements d’enseignement est de 0,9 %.
La municipalité de Jérusalem gère six cliniques pour mères et enfants dans les quartiers palestiniens de Jérusalem, contre 25 cliniques dans les quartiers juifs.
Dans les quartiers palestiniens de Jérusalem-Est, huit agences postales sont en activité, contre 33 dans les quartiers juifs.
Source : Association for Civil Rights in Israel (ACRI)
Extrait de « La normalisation du nettoyage ethnique et de l’apartheid à Jérusalem », dans Julien Salingue et Céline Lebrun (dir.), Israël, un État d’apartheid ? Enjeux juridiques et politiques, L’Harmattan, 2013.
• Hebdo L’Anticapitaliste - 569 (20/05/2021). Publié le Samedi 22 mai 2021 à 10h00 :
https://lanticapitaliste.org/arguments/international/les-chiffres-de-lapartheid-jerusalem