Le nombre quotidien de cas de Covid-19 en Inde a dépassé les taux d’infection dans d’autres pays comme les États-Unis et le Brésil. La fin de l’épidémie n’est pas en vue, car de plus en plus d’États et de villes tombent sous l’emprise de la pandémie. Les nouveaux cas confirmés sont en forte augmentation dans des États comme le Karnataka, le Bihar et le Bengale occidental, alors que les chiffres dans des villes comme Mumbai et Delhi commencent à se stabiliser. Ce qui est plus inquiétant, c’est que les taux de positivité sont en forte hausse, ce qui indique que le nombre réel de personnes infectées est encore plus élevé.
Après que la première vague se soit calmée en décembre 2020, le gouvernement dirigé par le BJP du Premier ministre Narendra Modi a déclaré la victoire contre la pandémie. Peut-être croyait-il vraiment à sa propre propagande. En tout cas, il n’a pas chômé, se félicitant de son grand succès. Lors du Forum économique mondial en janvier, Modi a déclaré : « Dans un pays qui abrite 18% de la population mondiale, ce pays a sauvé l’humanité d’une grande catastrophe en contenant efficacement le coronavirus. » La réunion des membres du Bureau national du BJP, en février 2021, a applaudi la performance du gouvernement Modi qui a permis de contrôler la première vague du virus. « Le parti salue sans équivoque ses dirigeants pour avoir présenté l’Inde au monde comme une nation fière et victorieuse dans sa lutte contre le Covid-19 », indique un communiqué de presse publié par le BJP. Cette victoire à la Pyrrhus et ces vantardises sont doublement douloureuses alors que l’Inde est aux prises avec une deuxième vague qui fait passer la première pour une simple bande d’annonce d’un film.
Le BJP se concentrait sur la manière de convertir ce soi-disant succès contre le Covid-19 en victoire électorale dans les élections d’État lorsque la deuxième vague a frappé [voir sur ces élections l’article publié sur ce site le 10 mai]. Lorsque les chiffres ont commencé à augmenter, le BJP a décidé que s’il ne pouvait pas contrôler la pandémie, il essaierait de contrôler le récit. Il est passé à l’offensive, et son armée de trolls a amplifié le message selon lequel les gouvernements des États ont échoué. Les personnes sont à blâmer pour avoir abandonné les normes de sécurité que sont les masques et la distanciation physique ; tout le monde est à blâmer sauf le gouvernement Modi. Et cela, bien que le gouvernement central ait signalé un retour à la normale en organisant des rassemblements publics, des campagnes électorales et de grands rassemblements religieux tels que le Kumbh Mela. Si les gens ont relâché leur adhésion aux normes de prévention face au Covid-19, ils n’ont fait que suivre l’exemple des leaders – Modi et d’autres – sur l’estrade pendant les rassemblements politiques et les tournées de meetings, durant lesquels ils apparaissaient sans masque lorsqu’ils s’adressaient à de grandes foules pendant ces événements.
La première vague de Covid-19 en Inde a atteint un pic vers la mi-septembre en 2020, touchant près de 100 000 nouvelles infections par jour. Elle était redescendue à environ 10 000 à la mi-février. Cette période aurait dû être mise à profit pour renforcer le système de santé publique : augmenter le nombre de lits d’hôpitaux et d’installations de soins intensifs, intensifier la production d’oxygène et mettre en place une chaîne d’approvisionnement pour la livraison d’oxygène médical. Tragiquement, le gouvernement central, qui a centralisé tous les pouvoirs dans le cadre de la loi sur la gestion des catastrophes, a refusé de se préparer, ou de préparer les États, ou le public, à cette deuxième vague.
La pire défaillance de la crise actuelle est le manque d’approvisionnement en oxygène. Lorsque les poumons des patients sont affectés par le virus, le médicament le plus important est l’oxygène. Cette pénurie d’oxygène a aggravé le nombre de décès, car les patients qui ont besoin d’oxygène ne peuvent pas être admis dans les hôpitaux ; ils meurent lorsque les hôpitaux manquent d’oxygène ; et les bouteilles d’oxygène ne sont pas disponibles pour les traitements à domicile. Au cours de la dernière semaine d’avril, plusieurs hôpitaux de Delhi ont signalé qu’il ne leur restait que quelques heures d’oxygène. Le manque d’approvisionnement en oxygène a entraîné la mort de patients dans divers hôpitaux, même dans les hôpitaux d’élite de la capitale. Si telle est la situation dans la capitale du pays, et qui plus est dans des hôpitaux d’élite, on ne peut qu’imaginer la situation critique des hôpitaux des petites villes et des zones rurales de l’Inde.
C’est là le cœur de la crise actuelle. La principale raison des décès lors d’une pandémie est que le nombre de patients graves dépasse le nombre de lits d’hôpitaux disponibles et l’approvisionnement en oxygène. C’est alors que les décès commencent à s’accumuler. C’est le cas actuellement en Inde.
Lors de la première vague en Inde, la propagation était limitée à quelques États et à certaines zones densément peuplées. Cette fois-ci, elle se répand dans presque tous les États et touche un échantillon beaucoup plus large de la population.
Pourquoi le gouvernement ne s’est-il pas préparé à une hausse de cette ampleur ? Ce gouvernement est malheureusement complètement centralisé ; seuls le Premier ministre et son lieutenant de confiance, Amit Shah, le ministre de l’Intérieur, peuvent agir. Les autres ministres ne sont appelés que pour écarter toute critique, même constructive – par exemple celle de l’ancien Premier ministre [de 2004 à 2014] Manmohan Singh [membre du Congrès national]. Modi avait pour objectif de remporter les élections dans l’Est, en particulier au Bengale occidental, où le BJP a récemment subi une défaite décisive. Modi a continué à organiser des rassemblements politiques et ne s’est arrêté que lorsqu’il s’est rendu compte qu’il était difficile d’être en mode électoral au milieu d’une pandémie majeure. Il était alors trop tard, et sa mauvaise gestion de la situation sur le terrain a conduit à la défaite de son parti aux élections du Bengale occidental.
Le gouvernement central n’a pas non plus réussi à assurer un déploiement harmonieux de la vaccination et a fourni des informations trompeuses sur les vaccinations, qui ne résoudront peut-être pas la crise immédiate, mais aideront à contrôler les futures vagues qui pourraient suivre en créant une immunité collective. L’annonce du gouvernement selon laquelle 157 millions de personnes avaient été vaccinées au 3 mai est trompeuse. Si 157 millions de doses de vaccin ont été administrées, seules 27 millions de personnes environ avaient reçu les deux doses requises au 3 mai.
Début avril, des États tels que le Maharashtra, Delhi et le Pendjab se sont plaints de l’épuisement de leurs stocks de vaccins. Le ministre de la Santé, Harsh Vardhan (BJP), a rejeté ces plaintes des États comme relevant d’une politisation face à leur « incapacité à contrôler la propagation de la pandémie ». Les chiffres des vaccinations reflètent toutefois une réalité différente de celle affirmée par le ministre de la Santé et montrent que le nombre de doses de vaccin administrées par jour a effectivement chuté de manière drastique à la mi-avril par rapport à ce qu’il était début avril.
Alors que l’approvisionnement en vaccins reste limité, le gouvernement Modi n’a pas expliqué pourquoi il propose maintenant que toute personne âgée de plus de 18 ans soit vaccinée dans le cadre de la troisième phase de sa campagne de vaccination. Aucune explication n’a été fournie et aucun plan n’a été annoncé sur la manière dont le pays va augmenter sa production et sa distribution pour atteindre l’objectif élargi.
Le gouvernement central a pour l’essentiel abandonné sa responsabilité de veiller à ce que les vaccins soient disponibles pour l’ensemble de la population, après avoir fait un premier effort pour vacciner les travailleurs de la santé et les personnes âgées de plus de 45 ans. Le gouvernement a déclaré qu’il continuerait à fournir gratuitement 50% de la production nationale de vaccins aux États et aux territoires de l’Union dans le cadre de la troisième phase de la stratégie nationale en matière de vaccins. Le reste des 50% devra toutefois être acheté par les gouvernements des États et les hôpitaux privés auprès des deux fournisseurs de vaccins en Inde – Serum Institute of India et Bharat Biotech. Le centre a également supprimé tout contrôle des prix des vaccins, créant ainsi une concurrence entre les États pour les rares vaccins disponibles, ce qui profitera en fin de compte aux fournisseurs privés. Au lieu d’un plan bien pensé pour augmenter la production de vaccins, les distribuer de manière centralisée et vacciner toute la population, il semble s’agir d’un exercice cynique visant à abandonner la responsabilité du gouvernement central et à rejeter sur les gouvernements des États la responsabilité de ne pas avoir vacciné la population.
Le Conseil indien de la recherche médicale (ICMR–Indian Council of Medical Research) et l’Institut national de virologie (NIV–National Institute of Virology), en collaboration avec Bharat Biotech, ont développé le Covaxin. Il n’y a aucune raison pour que l’ICMR-NIV n’accorde pas de licences à d’autres fabricants de vaccins –dont une demi-douzaine d’unités du secteur public qui tournent au ralenti aujourd’hui – pour augmenter la production de ce vaccin. Au lieu de cela, le gouvernement Modi a accordé les droits de production du vaccin, qui a été créé avec la technologie et l’argent du secteur public, uniquement à Bharat Biotech. Et aucune explication n’a été donnée sur la raison pour laquelle le gouvernement Modi a refusé de s’opposer au refus des États-Unis de fournir des fournitures vitales pour la production de vaccins en Inde jusqu’à la crise actuelle.
Le gouvernement Modi croit qu’il faut centraliser tout le pouvoir politique entre ses mains et laisser le « marché libre », dirigé par le grand capital, résoudre les problèmes du pays. Et si cette politique échoue, il peut toujours blâmer les gouvernements des États, les forces anti-nationales et, enfin, l’opposition pour ses propres échecs.
Prabir Purkayastha
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