Paul Wolfowitz, la main dans le sac : la tolérance zéro, c’est pour les autres
Pierre Rousset
La Banque mondiale ne cesse d’appeler les États à appliquer les règles de la « bonne gouvernance » et à lutter contre le népotisme… Mais voilà que son président, Paul Wolfowitz, vient d’être convaincu de telles « mauvaises pratiques » : il est personnellement intervenu pour que sa compagne obtienne indûment une forte augmentation de salaire, avant de s’empêtrer dans quelques mensonges quand le scandale a éclaté.
Pris la main dans le sac comme un vulgaire délinquant en col blanc, Paul Wolfowitz prétend néanmoins continuer à assumer ses fonctions, au prix d’un mea culpa bien formel devant la presse mondiale. George W. Bush en personne a d’ailleurs volé (c’est le cas de le dire) à son secours : Wolfowitz est l’homme de main qu’il a lui-même imposé à la tête de la Banque mondiale. Il est connu pour avoir été, quand il opérait encore dans les plus hautes sphères de l’administration américaine, un « faucon », véritable fauteur de guerre en Irak.
Soucieux de préserver son image, le conseil d’administration de la Banque mondiale a jugé « très préoccupante » la polémique provoquée par les actes frauduleux de son président et l’a « rappelé à l’ordre » – sans pour autant le licencier pour faute grave comme il l’aurait dû (et comme l’exigeait l’Association du personnel de la Banque qui n’a pas de mot trop dure contre son népote de patron).
Aucun des États qui comptent dans le directoire de la banque n’a osé demander le remplacement de Wolfowitz. Paris notamment, l’un des plus important actionnaire, s’est bien gardé de se confronter à la Maison Blanche. L’Union européenne se fait discrète alors que ces membres sont les principaux contributeurs de l’institution. Ses experts ont même lancé un avertissement bien révélateur : mieux vaut ne pas invoquer « des arguments vertueux dans le domaine de la gouvernance, car ceux-ci pourraient être retournés ensuite contre nous. Personne n’est à l’abri de ce genre de reproches... »
Bref, à la Banque mondiale comme à l’Élysée, à Bruxelles comme à Washington, la « tolérance zéro », c’est pour les autres.
* Paru dans Rouge.
Les Européens hésitent à demander le départ de Paul Wolfowitz
Philippe Ricard
Article paru dans le Monde, édition du 26.04.07. LE MONDE | 25.04.07 | 14h41 • Mis à jour le 25.04.07 | 14h41
BRUXELLES BUREAU EUROPÉEN
Empêtré dans une affaire de népotisme au bénéfice de sa compagne, Paul Wolfowitz, le président de la Banque mondiale, n’a toujours aucune intention de démissionner. Il s’est assuré les services de Robert Bennett, l’avocat de renom qui a défendu le président Bill Clinton dans l’affaire de harcèlement sexuel de Paula Jones. Il a promis, le 24 avril, dans un courriel interne « des changements importants » dans son mode de gouvernance.
Son entêtement embarrasse les gouvernements européens, qui hésitent à exiger son départ. Après Londres et Berlin, le gouvernement français a rappelé que l’institution devait exercer ses missions dans des conditions « irréprochables d’un point de vue éthique ».
Jean-Claude Juncker, le président de l’Eurogroupe, où siègent les ministres des finances de la zone euro, a résumé l’état d’esprit général : « Toute la lumière et toute la clarté doivent être faites », a-t-il dit, le 20 avril à Berlin. « Je souhaite qu’ensuite tous ceux qui ont la responsabilité de constituantes (sièges au conseil d’administration) agissent en conséquence. », a-t-il ajouté.
Louis Michel, le commissaire européen chargé du développement, s’inquiète des conséquences de cette crise sur l’activité de la Banque mondiale. « Cette affaire révèle surtout l’intensité de la bataille interne entre M. Wolfowitz et le personnel : si elle se prolonge ou si elle ne débouche pas sur une clarification, cela va handicaper l’institution », dit-on dans l’entourage de M. Michel, où l’on assure que les relations avec M. Wolfowitz se sont peu à peu détendues depuis la nomination de ce proche du président Bush, partisan de la guerre en Irak. Voilà quelques semaines, les deux hommes ont visité ensemble la République démocratique du Congo.
DISCRÈTES PRESSIONS
Les Européens, qui sont les principaux contributeurs de la Banque mondiale, se contentent, à ce stade, de discrètes pressions. Rares sont ceux qui, le 24 avril, à l’instar de la socialiste française Pervenche Bérès, présidente de la commission des affaires économiques et monétaires au Parlement européen, demandent à M. Wolfowitz de « partir ».
Lundi 23 avril, l’entourage de la chancelière Angela Merkel a rectifié les propos de la ministre allemande de la coopération, la sociale-démocrate Heidemarie Wieczorek-Zeul, qui a estimé dans un entretien que « Wolfowitz doit rendre service à la Banque et en tirer les conséquences. Le plus tôt sera le mieux ».
Le porte-parole de Mme Merkel a précisé un peu plus tard que « le gouvernement allemand dans son ensemble, donc la ministre et la chancelière, ont pleine confiance dans le fait que la Banque mondiale va trouver une solution correspondant à ses principes élevés bien connus ».
Par ailleurs, si des consultations informelles ont lieu entre les capitales européennes sur la conduite à tenir, peu de démarches collectives ont été entreprises au grand jour. « Se regrouper sous l’étendard européen serait dans cette affaire le plus sûr moyen de ne rien obtenir, car les Etats-Unis pourraient se braquer », dit un haut fonctionnaire français.
La composition du conseil d’administration de la Banque, où les 185 pays membres sont représentés par 24 délégués, ne facilite pas les prises de position communes. Seuls les trois principaux actionnaires européens, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, y disposent chacun d’un administrateur en propre. Dotée d’un simple statut d’observateur, la Commission européenne n’a pas voix au chapitre.
Les Européens font enfin valoir que les règles de répartition des postes à la Banque mondiale, dont la direction est réservée à un ressortissant des Etats-Unis, et du Fonds monétaire international, piloté par un Européen, les obligent à une certaine prudence.
« Il ne s’agit pas, pour mettre fin à la crise, d’utiliser des arguments vertueux dans le domaine de la gouvernance, car ceux-ci pourraient être retournés ensuite contre nous », observent plusieurs experts. « Personne n’est à l’abri de ce genre de reproches ; c’est aux Etats-Unis de se prononcer sur la base des enquêtes internes. »
Banque mondiale : Paul Wolfowitz en grande difficulté
Article paru dans le Monde, édition du 14.04.07
Le conseil d’administration de la Banque mondiale va-t-il démettre son président, Paul Wolfowitz ? La question était posée, après la révélation de l’augmentation octroyée par ce dernier à une collaboratrice de la Banque, détachée au département d’Etat à la demande de M. Wolfowitz, et qui est sa compagne. Le conseil a confirmé vendredi 13 avril que M. Wolfowitz avait décidé seul et précisé qu’il « agira rapidement pour déterminer les mesures à prendre » et qu’« il prendra en considération toutes les implications pour la Banque mondiale en matière de bonne gestion ». L’Association du personnel de la Banque avait organisé la veille une manifestation contre M. Wolfowitz et réclamé sa démission, jugeant que « sa conduite a compromis l’intégrité et l’efficacité du groupe Banque mondiale et détruit la confiance du personnel dans son autorité ».