Le racisme grossier à l’égard de l’atikamekw Joyce Echaquan l’automne dernier à l’hôpital de Joliette, comme on s’en doutait, n’était que la pointe de l’iceberg. La CAQ persiste à ne pas reconnaître le « principe de Joyce », pourtant vague à souhait, sous prétexte qu’il la forcerait à aussi reconnaître le racisme systémique. Ce racisme systémique, pourtant, se précipite pour se montrer au grand jour dans la brèche ouverte grâce au courage de Joyce qui, à l’agonie, a filmé l’effrayante humiliation dont elle était victime. En février, on apprenait que l’agente de liaison en sécurisation culturelle de l’hôpital « av[ait] vécu du racisme dès son arrivée en poste et s’êt[ait] vu retirer l’accès à un bureau pendant une période de neuf mois » l’obligeant à errer dans les corridors avec ses vêtements d’hiver (Marie-Michèle Sioui et Magdaline Boutros, Québec n’entend pas adopter le principe de Joyce, Le Devoir, 18/02/21).
À la mi-mars suite à une manifestation dans le stationnement de l’hôpital, on apprenait qu’une mère d’origine camerounaise hospitalisée sur la Rive-sud du Grand Montréal « souhaitait être transférée dans un autre hôpital » suite à son appel désespéré disant « ’’Je suis étouffée. Je suis allergique à la pénicilline, mais ils m’ont injectée à la pénicilline, sachant très bien que je suis allergique.’’ » pendant que l’hôpital lui refusait l’accès à sa famille dont sa sœur une infirmière-clinicienne. Finalement après des pressions dont la diffusion de l’appel sur les réseaux sociaux elle fut transférée à « l’Hôpital général juif, [ où e]lle y est restée un peu plus d’une journée, avant de mourir le mardi 9 mars. » (Léa Carrier et Henri Ouellette-Vézina, La communauté camerounaise réclame justice, La Presse+, 14/03/21).
Un événement n’attendant pas l’autre, on apprend que « [d]eux infirmières du CLSC de Joliette ont été suspendues sans solde, lundi [15/03/21], à la suite d’une nouvelle affaire de racisme à l’encontre d’une femme autochtone, survenue vendredi. » De dire « Ghislain Picard, le grand chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL) […] ’’[c]’est triste, mais Joliette est en train de devenir le Hérouxville en matière de santé....’’ » (La Presse canadienne, Une Atikamekw aux prises avec de la discrimination au CLSC de Joliette, Radio-Canada, 15/03/21). Tout cela après que l’ensemble du personnel ait été tenue de suivre une session de sensibilisation. De maintenir tout penaud le nouveau ministre des Affaires autochtones et ancien policier que tout cela n’est qu’une affaire de dérapage individuel qui ne mérite que des punitions individuelles, jusqu’à la perte d’emploi, sans bien entendu mettre en cause le gouvernement qui réagirait promptement et justement... tout comme il l’aurait fait vis-à-vis la gestion pandémique pour lequel il s’est accordé un certificat de bonne conduite malgré la pire gestion canadienne (Michel David, Indécence manifeste, Le Devoir, 16/03/21) !
La CAQ court après sa base encore plus à droite pendant que la gauche, sidérée, regarde ailleurs
Pendant ce temps, la popularité de la CAQ se maintient avant tout auprès de la population francophone. Faut-il cependant se surprendre qu’en même temps l’extrême-droite, le 13 mars, arrive à fédérer des milliers de personnes défilant dans les rues de Montréal avec moult drapeaux nationaux et ceux des patriotes – beaucoup plus que le 5 000 personnes annoncé par les médias – fatiguées de la gestion pandémique en yo-yo de la CAQ. La trentaine de déploiements de bannières anti GNL-Québec (projet de liquéfaction et d’exportation de gaz naturel de l’ouest canadien) à la mode Greenpeace un peu partout au Québec par Québec solidaire ne faisaient pas le poids. On comprend la CAQ, sentant sa base électorale menacée, de vouloir profiter de la présente accalmie, avant que risque de se manifester la troisième vague des variants déjà en cours en France et en Italie, et probablement à ses débuts en Ontario, pour atténuer les mesures sanitaires. Même son couvre-feu liberticide, propre à la droite, ne trouve pas grâce face au libertarisme de la manifestation comme quoi la droite charrie ses propres contradictions entre liberté économique d’exploiter et autoritarisme étatique.
Le racisme systémique qui ronge le peuple québécois comme un cancer n’explique-t-il pas en grande partie la passivité syndicale du secteur public ? On y trouve plus un réflexe nationaliste identitaire qui rapproche de la CAQ qu’un réflexe de classe qui mène à la combattre. La gauche syndicale devrait s’en soucier et amorcer au sein des rangs syndicaux une campagne interne anti-raciste qui ne peut pas être réduite à l’essentiel combat unitaire contre l’État-patron mais aussi se traduire en revendications spécifiques. Ce cancer risque à terme de contribuer à la disparition de la nation en précipitant l’immigration – adieu, heureusement, la revanche des berceaux – dans les bras de la minorité anglophone dont les ténors savent hypocritement exploiter la situation. Mais surtout ce cancer amplifie le sentiment anti-national de la jeunesse tant celle mondialiste par efficience affairiste que celle internationaliste qui tend à amalgamer lutte nationale, en particulier pour le français, avec lutte raciste.
Québec solidaire à la remorque de la CAQ en tout et partout
Quant à Québec solidaire, il se consolide comme parti de centre-gauche qui dénonce le racisme à plein poumons sans toutefois appuyer les luttes sonnantes et trébuchantes anti-racistes. On ne l’entend pas appuyer la revendication issue de Black Lives Matter pour le définancement de la police qui a encore réuni à Montréal ce 15 mars (hier) une manifestation, non couverte médiatiquement, de quelques centaines de personnes. Tout en appuyant en paroles la Déclaration des Nation unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) que récuse la CAQ, Québec solidaire n’en réclame pas l’application effective qui selon son article 32.2 donne un clair droit de veto aux nations atikamekw et anishinabe eu égard à la disposition de leurs ressources naturelles. Le parti s’esquive, sous prétexte de favoriser la conciliation avec les chasseurs non-autochtones, vis-à-vis les Anishinabe qui pendant un mois l’automne dernier ont bloqué les routes forestières de la Réserve faunique La Vérendry pour interdire la chasse.
Aujourd’hui, c’est le peuple atikamek qui avec ses alliés non-autochtones se mobilise contre l’exploitation forestière et le projet de mine de graphite en Matawinie (voit sur mon blogue « La lutte contre la mine de graphite de Lanaudière / Matawinie — Début de la coalition contre le nouvel extractivisme des « chars » électriques », 5/03/21). Au lieu de réclamer là aussi l’application rigoureuse de l’article 32.2 de sorte que la nation atikamekw ait un minimum de rapport de forces face aux grandes entreprises forestières et minières et à l’État, le parti se contente, après plusieurs mois, de réclamer la platitude centriste « d’un nouveau contrat social minier afin d’assurer une transition écologique juste et verte ». Coincé par son parti-pris pro-caquiste et pro-Libéral d’un Québec des « chars » électriques et des REM (nacelles aériennes électriques sans conducteur) qui abandonne la trame urbaine à la domination des véhicules privés et à l’étalement urbain (voir mon blogue « Tentative électoraliste pour sortir de l’orbite de la CAQ... sans succès », 14/03/21), le parti ne peut que capituler parce que, dit-il, « [l]e développement de la filière des batteries est important pour l’économie du Québec, mais il faut faire les choses dans le respect de l’environnement et des communautés locales... » (Communiqué de presse du 13/03/21).
Marc Bonhomme, 16 mars 2021
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