Alexeï Navalny effectuera sa peine de deux ans et demi de détention à la colonie pénitentiaire IK-2 de la ville de Pokrov, région de Vladimir, à environ 200 kilomètres de Moscou, informe le quotidien russe Kommersant. Depuis le rejet de l’appel de sa condamnation le 20 février, aucune information n’avait été donnée sur le lieu où il serait incarcéré.
Arrêté à Moscou le 17 janvier à son retour d’Allemagne où il avait été soigné après une tentative d’empoisonnement, l’opposant numéro un au régime de Vladimir Poutine a été condamné le 2 février pour “violation du contrôle judiciaire” dans une affaire remontant à 2014. Sa peine de sursis a alors été commuée en peine de prison ferme.
Le créateur du Fonds de lutte contre la corruption (organisation inscrite au registre russe des “agents de l’étranger”) et dirigeant du parti La Russie de l’avenir n’a pas été condamné au “régime sévère” mais, selon Kommersant, les lieux de détention de la région de Vladimir sont réputés pour leur dureté. À ce sujet, le titre s’appuie sur le témoignage d’un ancien détenu, qui s’est confié au site Znak.com..
L’isolement total
Dmitri Démouchkine, militant nationaliste russe condamné pour “incitation à la haine”, a séjourné deux ans et demi à la colonie de Pokrov entre 2017 et 2019. Selon lui, les colonies les plus dures de Russie se trouvent à Krasnoïarsk, en Carélie, à Omsk et à Pokrov. La peine de Navalny n’étant pas accompagnée de mesures sévères, il ne pouvait pas être envoyé en Sibérie ou dans le Grand Nord, mais devait demeurer dans le district central des larges environs de la capitale.
L’ancien détenu raconte comment se passent les premières semaines à la colonie de Pokrov.
“Après deux semaines de quarantaine, Alexeï Navalny sera dirigé vers le secteur de contrôle renforcé où les conditions sont extrêmement dures : on doit avoir en permanence les mains dans le dos et la tête baissée. Interdit de parler, de bouger, de se retourner. On ne peut que se tenir assis, debout, ou exécuter les ordres. Les prisonniers ordinaires restent dans ce baraquement deux semaines. On y a froid et faim. Moi j’y ai été maintenu huit mois, je suis passé de 105 à 60 kilos. Combien de temps y garderont-ils Navalny, impossible à savoir.”
Si Navalny a été envoyé à Pokrov, poursuit Démouchkine, c’est parce que “là-bas, l’isolement est total, pas de téléphone, pas d’Internet”. L’ancien détenu espère cependant que le séjour de l’opposant dans cette colonie permettra de “faire savoir ce qui se passe derrière ces murs”. Lui n’a pas voulu parler, car il n’avait pas assez de soutiens. “Mais Navalny n’en manque pas.”
Alexeï Navalny ne devrait pas sortir de cet enfer avant l’été 2023. Comme le rappelle Kommersant, plusieurs de ses proches collaborateurs, assignés à résidence sous divers prétextes, ont également été écartés provisoirement de la vie politique. Cependant, la coordination du mouvement a été transférée par Navalny à Leonid Volkov, actuellement à l’étranger, qui a déclaré que ses structures fédérales étaient “toujours opérationnelles”.
Navalny n’a pas vraiment rompu avec le nationalisme
Malgré tout, les politologues interrogés par le quotidien sont pessimistes quant aux possibilités des partisans de Navalny de poursuivre une action efficace en l’absence de leur leader. Par ailleurs, ces derniers ont dû encaisser ces jours-ci une très mauvaise nouvelle : l’association Amnesty International a retiré à l’opposant russe le statut de “prisonnier d’opinion” qu’elle lui avait attribué le 17 janvier dernier, date de son arrestation.
Comme le relève le quotidien économique Vedomosti, cette décision a provoqué un “scandale international”. Mais le règlement de l’association est très strict, et certains propos, fixés sur des vidéos, tenus par l’opposant dans la seconde moitié des années 2000 l’ont obligée à changer d’avis. Les propos en question sont qualifiés de “nationalistes et haineux”. Selon Vedomosti, ils s’adressaient aux musulmans de Russie. Les partisans de l’opposant ont crié à la “manipulation du Kremlin”, dont les campagnes de discrédit contre l’opposant auraient fait céder l’association. Mais selon le quotidien, Navalny n’a malheureusement jamais vraiment “désavoué” ses liens avec l’extrême droite russe.
Laurence Habay
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