Certains le croyaient mort, emporté lui aussi par la pandémie de Covid-19. Lui, c’est le Hirak, ce mouvement populaire né le 22 février 2019 pour dégager Bouteflika du pouvoir avant de déborder sur l’exigence d’un changement radical du système politique en Algérie.
Un mouvement qui a forcé l’admiration du monde par sa force de mobilisation, son pacifisme et sa persévérance mais qui a dû marquer une halte au printemps 2020 pour cause de Covid. Ce lundi 22 février 2021, le rendez-vous est pris dans les rues d’Alger pour commémorer l’an II du mouvement et, pour les plus engagés, sonner le retour des manifestations de rue.
L’histoire a cette inexplicable faculté de se répéter. Deux ans après, tout commence par la même grosse interrogation qui taraude les esprits : les appels à marcher seront-ils suivis ?
Tôt dans la matinée, rien ne laisse penser que la capitale s’apprête à vivre une journée particulière. Les mêmes embouteillages et les mêmes automobilistes impatients.
La Grande Poste “bleue” de policiers
Une pluie fine tombe depuis le milieu de la nuit et ne plaide pas pour une forte mobilisation. À Bab El Oued [un quartier de la capitale], d’où partaient des grappes humaines impressionnantes pendant la première année du Hirak, l’ambiance est aussi routinière vers 10 heures. Quelques véhicules de police au centre-ville et rien d’autre. Même morosité à Belcourt, l’autre quartier populaire de la capitale.
Le centre d’Alger est par contre complètement quadrillé. À défaut d’être noire de monde comme l’espéraient les auteurs des appels à manifester, l’esplanade de la Grande Poste, centre névralgique du Hirak, est “bleue” de policiers, de CRS et de leurs camions bariolés.
Sur les trottoirs, les passants pressent le pas, se dévisagent, s’interrogent du regard. Vers un remake des fameux samedis de l’année 2011 où les agents de l’ordre étaient plus nombreux que les marcheurs qu’ils jetaient sans peine dans leurs paniers à salade. C’était la “gestion démocratique des foules”, chère à Abdelghani Hamel, chef de la police de l’époque, aujourd’hui incarcéré pour corruption.
“La magie du Hirak”
Puis soudain, peu avant midi, des cris parviennent d’on ne sait où. Le slogan entonné est à peine audible : “Klitou leblad ya seraqine” (“Voleurs, vous avez bouffé le pays”). Ça vient de la rue Asselah Hocine, mitoyenne de la Grande Poste et passage fétiche des manifestants des quartiers ouest d’Alger, Bab El Oued en tête.
D’où sortent-ils ? C’est la magie du Hirak. Lorsque, vers midi, la longue rue devient noire de monde, les derniers doutes se dissipent. La marche aura bien lieu. Mais le meilleur est à venir. La foule grossit à vue d’œil, remonte vers la Grande Poste, l’avenue Pasteur et redescend vers la rue Didouche Mourad.
Une autre vague arrive de la place Audin. Les automobilistes sont pris au piège et un énorme embouteillage se forme. Vers 13 h 30, le décor est planté, tout est là : des milliers de manifestants, beaucoup de jeunes et de femmes, des enfants en bas âge, l’emblème national et même quelques drapeaux amazighs, des pancartes et des slogans. Il ne manque que le soleil du premier jour du Hirak.
Les jeunes, par groupes, chantent des refrains bien connus. Des slogans aussi. “Nous ne sommes pas ici pour faire la fête, mais pour vous faire partir”, “État civil et non militaire”, “Tebboune illégitime”, “Changement radical”, “Justice indépendante”…
Rien n’a changé
Tout autour, des policiers placides et leurs engins d’acier. Comme si le temps s’était figé depuis le printemps dernier. Il y a bien remake, mais du scénario du 22 février 2019 et des 54 vendredis qui ont suivi. Comme il y a deux ans, ça sent l’improvisation et la spontanéité. Il y a moins de drapeaux et de pancartes par rapport aux moments forts du mouvement, comme lorsque des milliers de portraits de Lakhdar Bouregaâ et des autres détenus étaient arborés simultanément.
Au fil des minutes, la police qui sait maintenant faire avec ce genre de marches, parvient à canaliser la foule dans la rue Didouche Mourad en fermant l’esplanade de la Grande Poste, le tunnel des Facultés et la place Audin. Les jeunes ne tentent pas de forcer les cordons de policiers. Ces derniers aussi sont calmes. Seule fausse note, beaucoup de manifestants sont venus sans masque de protection.
Vers 14 h 30, la procession s’étend le long de la plus importante artère du centre d’Alger, de Ferhat Boussad jusqu’à la Poste, sur au moins un kilomètre. “Le Hirak est de retour”, s’écrie un manifestant d’un certain âge.
Le retour de manifestations monstres ?
Ce ne sont pas les millions des premières marches de février-mars 2019, du 5 juillet ou du 1er novembre de la même année, mais il est certain qu’il y a plus de monde que lors du creux du mouvement pendant l’été 2019.
Des dizaines de milliers, au moins. “Et encore, il faut relativiser tout ça”, lâche un jeune, visiblement un habitué des marches. “On est un lundi, jour ouvrable, il pleut et le Covid est toujours parmi nous”, explique-t-il. De quoi prévoir le retour de manifestations monstres ? C’est ce qu’il insinue en tout cas, et ce qu’il dit n’est pas insensé.
“Je m’attendais à ce que les gens sortent depuis que j’ai vu le succès de la marche de Kherrata il y a une semaine”, entend-on. Ou encore : “C’était inévitable avec tout ce que le pouvoir a fait depuis la suspension des marches. Ils ont incarcéré des dizaines de jeunes. Rien n’a changé. Figurez-vous que, pas plus tard qu’hier, celui qui lisait les messages de Bouteflika a été nommé ministre.”
On se perd dans les analyses, les prédictions, les propositions, mais on est d’accord sur l’essentiel : Alger a bien renoué avec les grandes manifestations de rue et le Hirak n’a jamais quitté l’esprit des Algériens. La preuve par cette marche dont le succès est pour beaucoup une surprise. Bonne ou mauvaise.
En Algérie, le réveil du Hirak pour son deuxième anniversaire
Des milliers de manifestants ont défilé lundi à Alger et dans d’autres villes du pays, à l’occasion du deuxième anniversaire du soulèvement.
Après “une halte”, au printemps 2020 pour cause de Covid-19, le Hirak était-il “mort, emporté lui aussi par la pandémie ?”, s’interrogeait Tout sur l’Algérie (TSA) en amont des manifestations prévues lundi 22 février pour le deuxième anniversaire du soulèvement. Ou bien pouvait-il “rebondir”, comme l’écrivait Algérie Focus ?
Pour TSA, cette journée dédiée à commémorer l’an II du mouvement a bien sonné le retour des manifestations de rue. Des dizaines de milliers de personnes, “au moins”, ont participé à cette marche, que le site d’information qualifie de “succès”. Et ce alors qu’elle se déroulait “un lundi, jour ouvrable”, qu’il pleuvait, et sur fond de coronavirus toujours présent, souligne un jeune manifestant interrogé pour les besoins de l’article. “Ce ne sont pas les millions des premières marches de février-mars 2019, du 5 juillet ou du 1er novembre de la même année, mais il est certain qu’il y a plus de monde que lors du creux du mouvement pendant l’été 2019”, évalue TSA.
“Comme si le temps s’était figé”
À travers le pays, les manifestants ont scandé le slogan “Silmiya… Silmiya” pour confirmer leur attachement au caractère pacifique de la marche qui s’est déroulée dans le calme, rapporte El Moudjahid.
À Alger, de nombreux manifestants ont investi à partir de midi la Grande-Poste, lieu de rassemblement emblématique du Hirak, et la place Maurice-Audin, “drapés de l’emblème national, brandissant pancartes, banderoles et posters, pour marquer leur détermination au maintien des revendications, en lançant des youyous”, raconte le journal.
Dans la foule, où flottent aussi quelques drapeaux amazighs (berbères), TSA a de son côté vu “beaucoup de jeunes et de femmes, des enfants en bas âge”. Pour le site, la scène “sent l’improvisation et la spontanéité, comme il y a deux ans”, et a des airs de déjà-vu :
“Les jeunes, par groupes, chantent des refrains bien connus. Des slogans aussi. ‘Nous ne sommes pas ici pour faire la fête, mais pour vous faire partir’, ‘État civil et non militaire’, ‘Tebboune illégitime’, ‘Changement radical’, ‘Justice indépendante’… Tout autour, des policiers placides et leurs engins d’acier. Comme si le temps s’était figé depuis le printemps dernier. Il y a bien remake, mais du scénario du 22 février 2019 et des 54 vendredis qui ont suivi.”
“Seule fausse note”, estime TSA, beaucoup de manifestants n’ont pas de masque pour se protéger du coronavirus.
Plusieurs manifestants arrêtés
Des manifestations ont aussi eu lieu dans d’autres grandes villes comme Sidi Bel-Abbès, Tizi Ouzou, Sétif, Constantine ou Béjaïa, relate El Moudajhid. Selon le quotidien, “aucun incident majeur n’a été enregistré” dans le pays, et “les policiers fortement déployés ont fait preuve de maîtrise et de professionnalisme.”
Algérie Focus nuance quelque peu ce bilan. Selon un communiqué du Comité national pour la libération des détenus (CNLD), relayé par le site, l’opposant Rachid Nekkaz, qui avait été libéré de prison trois jours plus tôt, a été arrêté dans l’après-midi à Mostaganem. Et plusieurs manifestants ont été arrêtés à Alger et dans d’autres wilayas (préfectures) notamment à Tiaret, à Tébessa, à Msila, et aussi à Oran, selon le CNLD. Par ailleurs, Amnesty international a dénoncé, dans un communiqué publié lundi à l’occasion du deuxième anniversaire du Hirak, les arrestations arbitraires en Algérie. L’ONG critique “une stratégie délibérée des autorités algériennes visant à écraser la dissidence” ces deux dernières années, malgré le caractère pacifique des marches.
Et maintenant ? “On se perd dans les analyses, les prédictions, les propositions, mais on est d’accord sur l’essentiel : Alger a bien renoué avec les grandes manifestations de rue et le Hirak n’a jamais quitté l’esprit des Algériens”, constate TSA.
Makhlouf Mehenni
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