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Tous les débats du Forum Elle
Nicolas Sarkozy pris à parti sur le dossier des sans-papiers, Ségolène Royal accusée de « féminisme extrême », Olivier Besancenot sifflé puis ovationné, Jean-Marie Le Pen hué du début à la fin de sa prestation... Retrouvez tous ces moments forts et l’intégralité des huit débats du « Forum Elle Elections », qui s’est déroulé le 5 avril dernier à Sciences Po Paris, en vidéos ou sur la forme de retranscriptions écrites.
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Les candidats : Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal, François Bayrou, Jean-Marie Le Pen, Olivier Besancenot, Dominique Voynet, Marie George Buffet, José Bové.
José Bové
Ses trois mesures pour les femmes :
En ce qui concerne le droit à l’avortement, allonger le délai de semaines. C’est très important parce qu’aujourd’hui, beaucoup de femmes sont contraintes de partir à l’étranger. Et il faudrait une harmonisation entre les pays mais aussi une généralisation. Notre Europe ne doit pas être une Europe où les droits des femmes sont remis en cause. Nous devons revenir à cette Europe où la valeur de l’égalité hommes/femmes est inscrite dans les textes, contrairement à ce qui est en train de se passer.
La deuxième mesure serait d’instaurer, au niveau des entreprises, l’égalité hommes/femmes en matière de revenus. Et que les entreprises qui ne l’appliqueraient pas soient lourdement sanctionnées, parce que c’est une question de dignité. Nous sommes dans le pays des droits de l’homme et l’égalité hommes/femmes est au centre de ces droits.
Il faut un ministère des Droits de la Femme, et pas seulement comme aujourd’hui un sous-secrétariat sans aucun pouvoir. Il faut un ministère qui, par délégation, irrigue l’ensemble des mesures égalitaires, pas seulement au niveau de la famille et du travail, mais que toutes les lois votées soient en accord avec les droits d’égalité entre hommes et femmes.
Ses réponses aux questions sur l’écologie
Valérie Toranian : Je reprendrai juste, pour commencer le débat, l’un des thèmes de cette enquête : 71% des femmes sont pour l’interdiction des OGM. Vous avez été, vous, à la pointe de ce combat. Ces idées et d’autres sur le développement durable se diffusent dans la population, mais vous avez très peu d’intentions de vote. Comment pensez-vous convaincre ?
José Bové : Je n’ai malheureusement pas beaucoup de temps car je dois être ce soir à Brest pour un débat sur le désarmement… Je pense, tout d’abord, que c’est une sacrée victoire qu’aujourd’hui 71% des femmes soient contre les OGM. Il y a dix ans, quand on a lancé ce combat pour dire que les OGM allaient être un danger, d’abord pour l’indépendance des paysans, qui ne pourraient plus ressemer leurs propres semences, mais aussi pour l’environnement, menacé à cause des flux de gènes, et donc d’une pollution généralisée, ça a été une découverte pour beaucoup de gens. Quand, enfin, nous avons expliqué que ça allait poser un vrai problème de santé publique, parce que jamais ces plantes n’avaient été testées en laboratoire, les gens étaient incrédules. Dix ans après, une grande majorité veut les interdire en agriculture et dans l’alimentation. Par ailleurs, tous les candidats que vous avez interrogés se sont prononcés pour un moratoire sur les OGM. Le seul qui est encore hésitant c’est Nicolas Sarkozy… C’est donc déjà une victoire. Il faut maintenant un engagement, pas seulement des candidats, mais de Jacques Chirac, pour qu’il interdise dès maintenant les OGM dans les champs et dans les assiettes. Ça ne concerne d’ailleurs pas uniquement les agriculteurs mais aussi les consommateurs. Aujourd’hui, dans les cantines de beaucoup d’entreprises, les salariés sont parvenus à imposer que les produits consommés soient sans OGM.
Delphine Halgand de Sciences Po : Pourquoi ne signez-vous pas le pacte de Nicolas Hulot, si vous êtes d’accord avec toutes ses idées ?
JB : La première raison, c’est que notre candidature collective a été annoncée le 1er février, et le pacte écologique a été signé publiquement le 31 janvier. J’ai rencontré Nicolas Hulot avant, puis pendant le mois de février et je lui ai dit que le pacte, c’était bien. Mais quand je vois que huit candidats (Laurence Ferrari : « il n’y en a que cinq ») l’ont signé mais ne changent rien dans leur programme, je me demande à quoi il sert. J’ai donc dit à Nicolas Hulot que ce pacte n’allait pas assez loin parce qu’il ne remet pas en cause le modèle qui génère ces problèmes (le modèle libéral international et le rôle des multinationales, qui sont responsables de cette fuite en avant). Ce qui est important c’est le combat concret. Et je lui ai donc proposé une idée qu’il a reprise : nous allons demander quatre moratoires : sur les OGM, sur la construction de la centrale nucléaire européenne, sur les incinérateurs, et sur les plans autoroutiers. Je crois qu’il faut des actes concrets : les paroles ne suffisent pas.
Delphine Halgand : Justement, vous êtes d’accord et vous vous affichez avec lui. Pourquoi ne pas dire clairement que vous êtes d’accord. Vous gardez votre rôle d’opposant par principe ?
JB : Quand je vois que tous les candidats signent, alors que dans leurs projets, l’écologie est uniquement un supplément d’âme, je me dis que ça ne va pas changer les choses. Ce n’est pas parce qu’il y aura un super ministère de l’Environnement ou du Développement durable que les choses vont changer. Il faut aller beaucoup plus loin. Pour moi, l’écologie n’est pas un supplément. C’est aussi important que la lutte pour la redistribution des richesses. Pour nous, il est important de changer les modes de consommation, les modes de production et de répartir les richesses. Or, dans le pacte écologique, il n’y a pas le constat de la responsabilité du système productiviste et du rôle des institutions internationales qui favorisent les multinationales qui pillent les ressources de la planète.
Ses réponses aux questions sur l’égalité et la parité
Anissa Euzen : Face à des structures de garde trop onéreuses et insuffisantes, quelles mesures concrètes proposez-vous aux femmes pour qu’elles puissent mieux concilier vie familiale et professionnelle ?
JB : C’est vrai que les femmes sont les premières victimes de la responsabilité de s’occuper des enfants. Dans leur vie professionnelle, ce sont elles qui sont souvent sacrifiées dans le couple et qui acceptent un travail moins enrichissant ou moins rémunérateur, voire l’abandonnent. Et le congé parental n’est pas du tout adapté pour faire face à la situation : il n’y a aucune flexibilité. Du coup, il ne sert pas à grand chose. C’est pourquoi nous avons proposé qu’il puisse être adapté en fonction des périodes ou des accidents de la vie. Par ailleurs, il faut que la question de la petite enfance soit une priorité en termes de service public, et qu’il y ait des moyens conséquents pour accueillir les enfants dès deux ans, pour que les femmes puissent travailler comme elles l’entendent.
Emmanuelle Latour : Vous parlez des paysans, des consommateurs… On a souvent l’impression que vous nous parlez d’un monde d’hommes. Et pour les femmes, vous parlez de cas particuliers ou de mesures spécifiques. Dans votre équipe, avez-vous des femmes autour de vous qui alimentent votre réflexion ?
JB : Ce n’est pas un supplément d’âme dans la campagne. Dans notre collectif de campagne, il y a des porte-paroles hommes et femmes. Et les femmes ne s’occupent pas que des questions des femmes. Sur les droits des femmes, nous travaillons avec des associations. C’est quelque chose de collectif, comme la campagne. Je n’appartiens à aucun parti politique et on regroupe des collectifs et des gens très divers.
Ses réponses sur la désobéissance civile
Aurélie, étudiante à Sciences Po : Pensez-vous vraiment que les actions de « désobéissance civile » soient la meilleure manière de faire partager vos idées et de les faire connaître du plus grand nombre et qu’elles soient dignes d’un candidat à la présidentielle ?
JB : La vraie question, c’est de savoir comment la démocratie fonctionne. Et, quand elle ne fonctionne pas, que reste-t-il au citoyen comme façon de défendre les droits ou l’environnement. Nous parlions tout à l’heure des OGM. Si, en 1998, au moment où le gouvernement Jospin a autorisé les cultures en plein champ sans aucun débat, nous avions laissé faire, la France serait aujourd’hui recouverte d’OGM. Il n’y aurait plus aucun choix possible, ni pour les agriculteurs bio, ni pour les consommateurs qui seraient mis devant le fait accompli. C’est parce que nous avons mené des actions de désobéissance civile, et parce que nous avons neutralisé les stocks de semences de Novartis, que nous avons empêché cela.
Aurélie : Mais 80% des Français sont contre ce type d’actions…
JB : 71% des gens disent qu’ils ne veulent pas d’OGM. Mais quand il y a des lois injustes… Je pense que vous avez tous entendu parler de ce qui s’est passé à l’école de la rue Rampal, où une institutrice a empêché que l’on puisse arrêter un grand père qui venait chercher son petit-fils. Si je vous écoute, elle n’avait pas le droit de le faire : elle s’est opposé à une loi de la République qui stipule (c’est M. Sarkozy qui l’a instaurée) que l’on peut arrêter les sans-papiers pour les renvoyer chez eux et les mettre en centre de rétention. Le Réseau Éducation sans Frontières a décidé de protéger ces enfants, de les cacher pour pouvoir les soustraire aux lois injustes instaurées par le gouvernement. Ça, c’est de la désobéissance civile : ces personnes sont rentrées dans l’illégalité. Et pour la référence collective, quand au début des années 70 les femmes ont rédigé le manifeste des 343 salopes, en affirmant qu’elles avaient désobéi à la loi, c’est encore un acte de désobéissance. On pourrait remonter à d’autres exemples…
Aurélie : Oui mais elle n’ont pas porté atteinte à la propriété privée…
JB : Il y a deux ans, nous avons introduit dans la Constitution la charte de l’Environnement avec le principe de précaution. C’est le seul moment dans la Constitution où l’on parle des devoirs de protéger l’environnement (dans tous les autres chapitres, on parle des droits). Quand on s’introduit dans une parcelle pour la faucher, nous sommes dans une logique de devoir. La Constitution a inversé la notion de propriété en disant qu’il fallait d’abord défendre la propriété globale du territoire contre ceux qui la menacent, c’est-à-dire ceux qui mettent en place des OGM au détriment de la collectivité. À tel point que les tribunaux d’Orléans et de Versailles ont relâché à deux reprises des faucheurs, au nom de ce principe de précaution. Moi, j’ai été condamné, et je l’assume parce que j’ai défendu l’environnement. Et je n’ai pas été privé de mes droits civiques, ce qui veut bien dire que, y compris pour ces magistrats qui m’ont renvoyé derrière les barreaux, je suis un citoyen digne, qui a mené une action politique pour la protection de l’ensemble des citoyens face à ceux qui menacent le territoire en mettant en place des OGM. Au début des années 80, nous nous étions posé la question avec les syndicats de médecins d’aller détruire les poches de sang contaminé destinées aux hémophiles. Si nous l’avions fait, que n’aurait-on pas dit ? Eh bien cela aurait été une question de santé publique de commettre un acte illégal pour protéger les gens.
Ses réponses sur l’immigration
Nadia Babika : Que proposez-vous face au vieillissement de la population française ? Accepteriez-vous des immigrés pour répondre aux besoins en personnel des entreprises françaises, en particulier dans le bâtiment ?
JB : Aujourd’hui la France n’a toujours pas ratifié le traité de l’ONU sur le droit des migrants. Elle est donc en violation avec le droit international. D’autre part, elle ne respecte pas les valeurs fondamentales de la République, en traitant les habitants de ce pays de manière différente selon qu’ils ont ou pas des papiers. Nous sommes donc dans une situation de non-droit, et il est faux de dire que les immigrés sont un problème aujourd’hui dans ce pays. Il y a maintenant moins d’immigrés qu’il y a cent ans. Ils ne sont donc non seulement pas un problème, mais une chance pour l’économie. Il est évident qu’avec le vieillissement de la population, les flux vont continuer à augmenter, et la circulation des personnes dans le monde va augmenter, comme ça a toujours été le cas. Il faut quand même savoir que nous avons deux millions de Français à l’étranger. Si on les traitait de la même manière que nous traitons les immigrés, que n’entendrait-on pas !
La deuxième chose, c’est que les personnes qui viennent du Maghreb ou d’Afrique Noire aujourd’hui ne le font pas par plaisir, mais parce qu’elles y sont contraintes, par la guerre militaire ou économique. Et parce que nous avons tué la capacité de leur propre pays à pouvoir les faire vivre, elles essayent de rejoindre notre pays au péril de leur vie, à cause du pillage et de l’exploitation des pays du Sud. Les personnes qui sont contraintes à immigrer pour nourrir leur famille devraient inspirer le respect et non pas le racisme qui se développe de manière insupportable ici.