• Peux-tu nous présenter ton parcours ?
Souleyman Diamanka - En fait, j’écris depuis toujours. À partir de 1991, j’ai décidé d’y consacrer ma vie. Cette année-là, j’ai eu la chance de faire la première partie de NTM, au moment de leur premier album et de leur première tournée. J’avais quinze ans. À l’époque, j’étais danseur et j’avais aussi un groupe. Ensuite, on nous a proposé beaucoup de premières parties et de festivals. Ce fut le début de tout. J’ai rencontré les Nubians à Bordeaux, un peu avant d’écrire, pour elles, Princesse nubienne, le titre de leur album qui a cartonné aux États-Unis. Cela m’a convaincu que je pouvais mettre ma plume au service d’autres artistes, comme aujourd’hui Kayna Samett ou Henri Salvador, qui reprend une de mes chansons pour un projet de l’abbé Pierre en faveur des orphelins du Sida en Afrique.
• Comment te définirais-tu ? Poète ? Slameur ? Rappeur ?
S. Diamanka - J’appartiens toujours à la famille du hip-hop. C’est un peu mon école. Les albums d’IAM, toute cette période originelle... cela m’a beaucoup instruit. Je ne sais pas si on peut rester poète toute sa vie. Peut-être, en écrivant, est-il possible de toucher la poésie, de l’effleurer ? En tout cas, j’aime écrire et proclamer aux gens ce que j’ai écris. L’écriture constitue d’ailleurs la dernière étape. Je rédige très rarement. J’ai des bouts de phrase qui s’accumulent dans ma « large » mémoire. Même si je ne suis pas issu d’une famille de griots, l’oralité s’avère très importante à la maison. Je pense que je suis l’héritier de cette manière de raconter et de narrer les choses. J’ai besoin d’écrire à partir d’une palette d’émotions, que ce soit pour la politique ou la sensualité, un thème assez rare dans le rap parce que le ridicule guette toujours qui veut l’évoquer. Pourtant, l’amour et la sensualité existent dans les quartiers. Je voulais que cet album représente un ascenseur émotionnel, qu’il propose un voyage aux auditeurs. C’est aussi pour cette raison que le disque compte beaucoup de collaborations : Kayna Samett, le griot peul Sana Seydi, Roy Ayers (sur Le Rêve errant du révérend, hommage à Martin Luther King), Grand corps malade, etc.
• Tu reprends l’expression de Jean-Michel Basquiat, « l’art ignare ». Que signifie-t-elle pour toi ?
S. Diamanka - Quand j’ai arrêté l’école, en terminale, mon père, pourtant très attaché aux diplômes, m’a dit : « L’école, c’est juste une instruction, si tu n’as pas celle-là, va en chercher une autre. Quand tu auras un savoir, tu pourras apprendre à apprendre. » L’instruction, je l’ai trouvée dans la rue et au travers de mes rencontres artistiques, comme les Nubians, dont je suis artistiquement tombé amoureux, ou de projets tels Echoes, où se retrouvent des poètes américains et français.
• Quelle place occupe l’héritage peul dans ton art ?
S. Diamanka - Je vis cela d’abord comme une richesse. Mes parents parlent quasiment toutes les langues du Sénégal, sept dialectes différents, qui sont autant de langues vivantes. Par rapport au peul, au lieu d’avoir le sentiment d’être le cul entre deux chaises, j’ai vraiment l’impression d’être en parfait équilibre entre deux cultures. C’est pour cette raison que, dans mon disque, les deux cohabitent. Mon père a vraiment désiré que l’on se considère comme des Peuls bordelais. Nous sommes sept enfants : chacun d’entre nous est aussi bien français que sénégalais et joue sur les deux tableaux.
• Justement, tu vas sortir un livre avec John Banzaï, J’écris en français dans une langue étrangère, comment ressens-tu le débat autour de l’identité nationale et de l’immigration ?
S. Diamanka - C’est une chance d’avoir quelque chose à partager, car une langue véhicule un système de raisonnement. En peul et en français, les imaginaires collectifs, les métaphores diffèrent énormément. J’ai enrichi l’univers français avec le peul, et vice-versa. Plus tu maîtrises de langues, plus elles te décloisonnent l’esprit. Avec John Banzaï, il s’est immédia-tement produit ce rapport et cette fraternité artistique, car il s’exprime aussi dans sa langue natale, le polonais. Il m’a appris des poèmes en polonais, et moi je lui en ai enseigné en peul. Nous sommes attachés à notre culture, et nous nous savons aussi 100 % français. Pour moi, on est français dès lors que l’on pense en français. Ce n’est pas une fiche d’état-civil qui le détermine. Un ministère ne pourra jamais le définir ou le délimiter. J’ai grandi à Bordeaux, dans une cité. Quand je me rends dans mon village, au Sénégal, je suis de là-bas, et quand je reviens à Bordeaux, je suis toujours chez moi. Ma vie construit une passerelle entre les deux. Mais pas à 50-50 : je suis 100 % de là-bas et 100 % d’ici. Je ne suis ni immigré, ni émigré. Vu la conjoncture actuelle, prendre le temps d’écrire, c’est donc déjà, d’une certaine façon, défendre une grande cause. Il existe une formule d’Amadou Hampâte Bâ, auteur « d’oralités manuscrites », ayant traduit des contes peuls en français : « Je suis habitant de nulle part et originaire de partout. » L’endroit où l’on naît est un hasard, il faut en faire un heureux hasard.
• Souleyman Diamanka, L’Hiver peul, Barclay. À lire : John Banzaï et Souleyman Dimianka, J’écris en français dans une langue étrangère, Complicités, 15 euros.