“La transition de la Birmanie [Myanmar] vers la démocratie après cinq décennies de règne militaire a été brutalement interrompue”, souligne The Straits Times. Au vu de l’ampleur du coup d’État des militaires birmans, difficile d’imaginer “une issue rapide”.
Lundi matin, la chef de l’État de fait, Aung San Suu Kyi, était détenue ainsi que les principaux dirigeants civils du pays par les militaires. La Ligue nationale pour la démocratie (LND) dirigée par l’emblématique femme d’État de 75 ans avait remporté triomphalement les élections du 8 novembre 2020..
Cette victoire était un véritable camouflet pour l’armée, connue sous le nom de Tatmadaw, qui, depuis, contestait le résultat du scrutin. La commission électorale n’a pas tenu compte des allégations de fraudes émises par les militaires selon lesquels de nombreuses irrégularités auraient été commises dans les listes électorales.
La formation issue des rangs de l’armée, le Parti de l’union, de la solidarité et du développement (USDP), s’était écroulée dans les urnes. “Cette victoire montre que tout ce qui est associé à l’armée demeure toxique”, estimait à l’époque des analystes cités par Frontier.
Le prétexte des fraudes électorales
Les discussions qui se sont tenues la semaine dernière entre le gouvernement civil et l’armée n’ont pas abouti, explique The Straits Times. L’armée a agi le jour où les membres du Parlement élus le 8 novembre devaient prendre leur fonction dans la capitale, Naypyidaw, entérinant ainsi le résultat électoral.
L’armée a dirigé avec brutalité le pays entre 1962 et 2011 avant d’organiser une transition démocratique sous son contrôle, car, comme l’explique The Straits Times, “même si les militaires n’avaient pas pris le pouvoir, ils en contrôlaient néanmoins de nombreux leviers du fait de la Constitution de 2008 écrite par la junte”.
Un quart des sièges du Parlement sont réservés aux militaires. Ils sont donc incontournables pour adopter toute décision majeure. Ils nomment notamment un des vice-présidents du pays, et leur approbation est nécessaire à toute modification de la Constitution. Par ailleurs, le texte leur réserve les postes clés du ministère de l’Armée, des Frontières et de l’Intérieur.
Une démocratie sous surveillance militaire
En arrivant au pouvoir en 2016, après sa victoire triomphale en novembre 2015, lors du premier scrutin libre du pays en vingt-cinq ans, Aung San Suu Kyi avait souhaité modifier la Constitution pour lever la mainmise des militaires sur le pouvoir civil. Un combat qui avait échoué.
Pour Ko Ko Gyi, l’un des leaders du mouvement démocratique de 1988, très sévèrement réprimé par l’armée, interrogé par le quotidien de Singapour, le Parlement ne pourra pas se réunir de sitôt. Ancien membre de la LND, Ko Ko Gyi avait pris ses distances avec la formation d’Aung San Suu Kyi, déplorant notamment le culte de la personnalité dont elle était l’objet. Il a fondé le Parti du peuple. Selon lui :
“La meilleure solution est la négociation au nom des 50 millions d’habitants.”
“Des militaires fatigués d’une cohabitation difficile
Selon l’analyste Soe Myint Aung interrogé par The Straits Times :
“L’ampleur et la logistique nécessaire à cette prise de contrôle exigent de la planification et de l’organisation. Il y a donc peu de chance d’assister à une désescalade prochainement. Pour le moment, la fraude électorale est le prétexte donné par les militaires. Mais la raison principale est sans doute qu’ils se sentent de plus en plus mal à l’aise avec l’idée d’une cohabitation difficile à venir durant les cinq prochaines années ou encore plus avec la LND. Les militaires sentaient qu’ils avaient perdu la main sur la politique birmane.”
The Straits Times
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